Luc Rémont : « Situation et des perspectives de la filière nucléaire française » (03/06/2024)
Synthèse du diner-débat avec Luc Rémont (03/06/24)
Ce diner-débat avec Luc Rémont à la Maison des X fut un grand succès de participation avec près de 81 participants, soit le niveau le plus élevé depuis le lancement de cette opération. De plus, ce diner-débat a attiré une très forte participation de nouveaux IA (35 sur 81) et plus particulièrement de jeunes IA de moins de 35 ans (35% des participants alors qu’ils ne représentent que 10% de la population des IA).
Cette soirée a commencé par une rapide présentation de Luc : diplômé de l’Ecole Polytechnique (X88) et de l’ENSTA Paris, titulaire d’un DEA en reconnaissance des formes, Luc Rémont débute sa carrière à la DGA, mais rejoint après 3 ans la Direction du Trésor, puis l’APE. Entre 2002 et 2007, il devient conseiller technique, chargé des participations, puis Directeur adjoint au sein du cabinet de Francis Mer, Nicolas Sarkozy et Thierry Breton. Il rejoint ensuite le secteur privé à la banque Merrill Lynch puis rejoint en avril 2014 Schneider Electric et devient Président de Schneider Electric France, puis Directeur général des Opérations internationales de Schneider Electric. Aujourd’hui, depuis 2022, Luc est Président-Directeur général du groupe EDF.
EDF, un champion industriel reconnu mais qui doit se renforcer
Luc rappelle qu’EDF est reconnue mondialement pour son savoir-faire en production électrique décarbonée et sa maîtrise technologique, notamment dans le domaine des réacteurs nucléaires. Si en France, EDF est clairement le champion national, à l’étranger, EDF est quelquefois un électricien (Royaume-Uni, Belgique, Italie), mais reste principalement un développeur de projets dans une trentaine de pays et un vendeur de centrales à des tiers. L’expertise d’EDF y est donc bien reconnue, mais EDF n’a aujourd’hui pas d’ambition spécifique pour développer son métier d’électricien à l’international.
Cependant, Luc souligne que la construction de nouveaux réacteurs nucléaires reste aujourd’hui beaucoup trop lente chez EDF. A titre d’illustration, si, entre 1974 et 1998, 56 réacteurs ont été livrés à une cadence de 5/an, EDF n’a livré, depuis 2000, qu’un seul réacteur en France, 1 en Finlande, 2 en Chine et 2 au Royaume-Uni : ce rythme est très insuffisant pour le maintien des compétences. Luc souligne ainsi l’importance de s’engager dans une production de série avec un minimum de 2 réacteurs par an au niveau européen afin de réduire les coûts et de renforcer la maitrise industrielle de la filière nucléaire. Mais un défi RH important reste à surmonter : le renforcement des compétences en production notamment en matière de chaudronnerie et de soudure.
De façon plus large, Luc souhaite que le marché européen retienne des règles de financement agnostiques sur le type de production d’électricité afin d’encourager les investissements à moyen terme. Dans cette perspective, si les gros réacteurs de la classe 1300 – 1600 MW restent indispensables au niveau national, les SMR (Small Modular Reactors) de 350 MW en cours de développement par EDF offrent une flexibilité intéressante pour un type d'usage industriel électro-intensif, les SMR pouvant remplacer les centrales à charbon.
Un mix électrique français en 2050 complexe à définir
Si 97% de l’électricité produite en France est décarbonée, faisant d’EDF un champion mondial en ce domaine, cette production ne couvre qu’un tiers des besoins énergétiques nationaux. EDF doit donc investir massivement pour développer une capacité de production électrique décarbonée répondant à la demande française et européenne définie à l’horizon 2050. Cependant, le mix énergétique français et européen est difficilement prévisible car il doit prendre en compte le nécessaire équilibre entre des sources intermittentes non commandables et des sources d’énergie commandables (nucléaire, hydraulique …), ces dernières devant rester largement majoritaires pour répondre 24H/24 aux demandes d’énergie électrique.
Une situation financière en cours de restauration
Après une situation financière critique due à la fois à la mise en place d’un système de prix régulés en Europe et à sa forte déstabilisation liée à la crise énergétique due au conflit en Ukraine, mais également aux importants problèmes industriels ayant conduit à un arrêt de production quasi simultané d’un grand nombre de centrales nucléaires (défaut générique de corrosion sous contraintes), EDF a rétabli en 2023 la situation financière de ses activités nucléaires en France avec un bénéfice d’environ 20 G€, contre un déficit de 20 G€ en 2022. Luc Rémont souligne notamment que les problèmes industriels d’EDF ont été résolus en 15 mois, montrant ainsi les compétences techniques et industrielles et l’engagement du groupe pour surmonter les crises.
Cependant, si EDF connait un niveau d’endettement important (54 G€) intrinsèquement supportable, EDF fait face en même temps à un très important besoin de financement, supérieur à tout ce qui a été fait dans le passé, afin de répondre aux futurs besoins en énergie électrique (investissements annuels de 25 G€). Il apparait donc indispensable d’obtenir des garanties publiques afin d’assurer le financement des futurs projets de réacteurs (EPR, SMR …).
L’importance de l’actionnariat de la filière nucléaire française
En ce qui concerne EDF, l’ouverture du marché dans les années 2000 a exigé de rapprocher EDF d’un modèle industriel, mais cette orientation a été déstabilisée avec la mise en place d’une importante régulation des prix et le maintien des règles des marché publics. En final, EDF a surtout besoin d’un Etat stratège en charge de définir et mettre en oeuvre dans la durée une stratégie nationale de souveraineté en matière d’énergie et d’un actionnaire capable de supporter dans la durée un important volume d’investissements (25 G€/an), ce que peu d’actionnaires hormis l’Etat peuvent accepter.
En ce qui concerne Alsthom énergie, il est rappelé qu’en 2003, Alsthom était au bord de la faillite avec 200 000 emplois menacés en France. L’Union Européenne n’a accepté le soutien financier de l’Etat qu’accompagné d’alliances industrielles. Après le retrait de Siemens de l’activité nucléaire, Alsthom a conclu une alliance avec GE, qui a ainsi permis de sauver l’activité turbines électriques, aujourd’hui rachetée par EDF.
Conclusion
Merci à Luc et aux participants de ce diner-débat qui ont permis d’avoir une présentation et des échanges passionnants avec un exposé sans fard, des questions directes et des réponses franches, permettant ainsi aux participants de bien mesurer les grands enjeux de ce secteur industriel stratégique pour notre pays mais surtout d’en sortir globalement rassurés sur ses perspectives à moyen terme.
O. Martin