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Réserviste gendarmerie 2015
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01 juin 2016

Défense et Intérieur :
Un rapprochement utile a la sécurité des citoyens ?

Les mondes de la sécurité et de la défense ont toujours vécu assez éloignés l’un de l’autre avec leurs codes, leurs habitudes et leurs organisations respectives. L’un sur le territoire, l’autre à l’extérieur, l’un tourné vers l’offensive, l’autre vers la défensive. Les récents événements qui ont frappé la France ont permis le rapprochement du moins opérationnel de la police, de la gendarmerie, des armées et singulièrement de l’armée de terre pour assurer aux français le maximum de sécurité.


Forces de sécurité : un engagement permanent

Pour assurer la sécurité des personnes et des biens, l’ordre et la paix publiques, les services de sécurité ont imaginé au fil du temps des organisations adaptées et les plus économes possible pour pouvoir agir dans la durée.

Face à la délinquance ou à la criminalité qui se développent et s’adaptent sans cesse, les services de la police et de la gendarmerie nationales font figure en quelque sorte d’armées en permanence en opération de basse ou de moyenne intensité. Pour faire face à cette exigence de présence et d’occupation du terrain, et dans le respect de leurs histoires respectives, les forces ont mis en place des organisations spécifiques. La Gendarmerie nationale repose sur un maillage territorial dense lui permettant d’agir rapidement en tout point du territoire. La Police nationale déployée dans les centres urbains s’appuie sur une organisation du travail qui lui permet d’ouvrir H24 les commissariats des 450 circonscriptions pour y accueillir le public.

En plus de ces organisations qui assurent une présence forte, géographique pour l’une et temporelle pour l’autre, il existe des forces mobiles (CRS et escadrons de gendarmerie mobile) qui viennent renforcer les effectifs locaux quand l’intensité des opérations l’exige. Le dispositif comprend en dernier lieu des directions spécialisées comme les services d’intervention (GIGN, RAID ou BRI), de renseignement, de contrôle des frontières ou d’investigation.

 

Les besoins des forces pour répondre aux besoins des citoyens

Si les hommes restent au cœur de la réponse sécuritaire, l’organisation ne répond pas à elle seule à l’ensemble des enjeux du quotidien. Rappelons le contexte :

Face à l’augmentation de la population, au poids croissant des procédures administratives ou judiciaires, à l’évolution des formes de délinquance et de criminalité, mais aussi pour prendre en compte les attentes des citoyens dont l’environnement évolue, le ministère de l’intérieur a souhaité en 2013 rénover certains modes d’action. En l’absence de loi de programmation, le Ministre a mis en place en 2014 un plan de modernisation de la sécurité intérieure (PMSI), plan « sécurité 3.0 », financé par des économies de fonctionnement.

 

Plan vigipirate Paris

 

Ce Plan permet de canaliser des investissements autour de cinq défis majeurs.

Le premier défi porte sur la présence renforcée des services de police et de gendarmerie dans la sphère numérique. Des nouveaux services en ligne permettent aux citoyens de saisir rapidement et simplement les services de police et de gendarmerie. Il s’agit aussi de veiller le contenu des réseaux sociaux pour éviter les cyber-escroqueries ou limiter toute sorte de dérives sectaires ou de radicalisation.

Le deuxième défi conduit à unifier les plateformes de gestion des appels d’urgence pour que pompiers, policiers et gendarmes se coordonnent pour gérer les interventions et surtout gagner un temps précieux.

Le troisième défi consiste à rapprocher progressivement les deux réseaux radio historiques (RUBIS pour la gendarmerie et ACROPOL-INPT pour la police et la sécurité civile) et les faire migrer vers les technologies issues des normes grand public 4G/5G (LTE).

Au travers du quatrième défi, la mobilité des agents est développée pour qu’ils puissent accéder sur le terrain à l’ensemble des ressources utiles comme l’interrogation des fichiers, la messagerie tactique, la rédaction des PV ou des mains courantes, ou aux moyens de contrôle des titres d’identité. Ce projet baptisé NEO permettra de doter les policiers et gendarmes de terminaux durcis de type SmartPhone ou Tablette pour réaliser le maximum de tâches sur le terrain, au plus près de la population.

Enfin, le développement de l’informatique décisionnelle est au cœur du cinquième défi. De nombreuses données sont enregistrées dans les fichiers mais ne sont pas suffisamment valorisées en particulier dans le domaine prédictif. Des algorithmes sont actuellement testés pour mieux prévenir certains crimes, comme les vols liés à l’automobile. Ces technologies de big data  permettent de décloisonner les architectures en silo.

 

Après les attentats de 2015, une inflexion des besoins

Les attentats de 2015 ont montré le niveau de violence dont les mouvements terroristes étaient capables tant pour imposer leurs idées que pour effrayer la population par la tuerie de masse. D’aucuns pensaient encore que ce type d’attentat particulièrement meurtrier ne pouvait arriver sur le territoire national. Depuis 1995, la France avait été épargnée et nombre de réseaux avaient été démantelés de manière préventive.

L’analyse capacitaire qui a suivi ces funestes événements a conduit à deux types de mesures dans le cadre d’un plan de lutte anti-terroriste puis du Pacte de sécurité.

D’abord le rôle prépondérant de la fonction « anticipation » a été renforcé. Elle combine les différentes capacités de renseignement, de traitement des signaux faibles, de cotation et de suivi des cibles et d’accélération du temps de l’investigation.

Ensuite, l’équipement des primo-intervenants, dont l’armement et la protection des unités de terrain ou aussi d’intervention, a été renforcé pour être à la mesure de la menace. Pour réduire le temps de réponse des premières unités de terrain (brigades anti-criminalité pour la police et peloton de surveillance et d’intervention pour la gendarmerie), le maillage des forces va être modifié pour assurer un temps d’intervention réduit sur l’ensemble du territoire.

D’une manière transverse, de nombreux outils liés aux SIC seront améliorés pour gagner en puissance comme les capacités de traitement massif des données, le déploiement de bulles tactiques radio ou les moyens de contrôle des frontières en favorisant l’usage de la biométrie.

En parallèle, avec la cyber-attaque de TV5 Monde, attaque à la fois simple mais très symbolique, la dimension numérique est entrée de plain-pied dans la sphère du terrorisme.

Enfin, les média et particulièrement les chaînes d’information continue ont démontré leur rôle d’influence dans la gestion de crise. En effet, pour éviter la propagation de fausses rumeurs et préserver les opérations en cours, les autorités ont dû mettre en place une communication plus active voire en devançant les « fuites ».

 

Armées – Sécurité : des convergences qui n’effacent pas les divergences

N’oublions pas les autres acteurs de la sécurité au quotidien des Français qui eux-mêmes sont acteurs de leur propre sécurité. Ces acteurs publics ou privés prennent tous une place importante dans ce qu’il est convenu d’appeler la coproduction de sécurité : les polices municipales, les sociétés de sécurité privée, les services des douanes et du fisc et, enfin, et c’est sans doute le plus important des acteurs, les services du ministère de la Justice avec en tout premier lieu les magistrats.

Les Armées sont aussi des acteurs de la sécurité et leur rôle volens nolens entre dans la réflexion d’ensemble sur l’organisation de la sécurité en France. Depuis quelques années avec le maintien de la posture Vigipirate, les Français et les touristes se sont habitués à voir les silhouettes en kaki sécuriser les gares et les lieux touristiques les plus symboliques. Depuis les attentats, avec l’opération Sentinelle, les armées sont plus impliquées dans les missions quotidiennes et investies dans la présence sur la voie publique permettant aussi de soulager les forces de sécurité fortement engagées par ailleurs avec la gestion de la crise migratoire ou de grands événements, tels la COP21 ou l’Euro2016. Mais seules les forces de sécurité gardent le monopole de l’usage de la violence légitime.

S'il existe indéniablement une proximité entre les deux champs de la protection de la population par les Armées et de la sécurité intérieure, la notion de continuum n'est cependant pas évidente.

Dans le domaine de la sécurité, la culture, le droit et finalement la doctrine reposent avant toute chose sur la retenue dans l'usage de la force. La violence, y compris légitime, ne s’apprécie qu’à l’aune de la proportionnalité entre la menace et la réponse. Le cadre de l’usage de la force est fondamentalement différent, au point que l'on peut voir entre la Défense et la Sécurité un point de rupture, alors que la notion de continuum renverrait davantage à celles de continuité voire d'inflexion. Cette distinction fondamentale conduit à de nombreuses différences que ce soit dans l’architecture des systèmes d’information ou dans l’entrainement au tir ou le choix des armements.

Pour illustrer ce dernier point, dans le domaine de la sécurité, une seule notion conditionne l'usage de l'arme : celle de la légitime défense. La conséquence est flagrante pour la formation.

Dans le domaine militaire, la formation au tir consiste à entraîner les soldats à faire un usage efficace de leur arme dans toutes les conditions, à la limite même de la portée, en sachant se camoufler et attendre que l’ennemi se dévoile.

Il en va tout autrement chez les policiers et gendarmes : le cœur de leur formation porte sur les manières d'éviter de se servir de leur arme. Après l’usage de son arme de service en cas de légitime défense ou d’état de nécessité, il est toujours demandé au policier ou au gendarme s’il y avait une autre solution, si la proportionnalité de la réaction était justifiée. A tel point que longtemps le calibre de l’armement individuel ou collectif, 9 mm, était retenu pour son faible pouvoir de pénétration garantissant un risque limité  pour des performances moindres.

Le domaine des SIC illustre également ce fait.

Dans la Défense, ils sont appelés « systèmes d’informations », caractérisant avant tout l’objet technique et leur complexité. Le domaine de la sécurité les baptise « fichiers » renvoyant avant tout à l’objet juridique et aux contraintes afférentes. Pour le SI des Armées, l’EMA n’a pas eu besoin d’une loi et d’un avis de la CNIL pour recevoir l’autorisation de collecter, stocker et de traiter des données. Alors que pour assurer la fusion des fichiers de renseignement judiciaire de la police et la gendarmerie, il a fallu légiférer. Le respect des libertés individuelles est le postulat de départ, et qui pourrait le critiquer ?

Pour terminer sur ce point, le continuum défense – sécurité a indéniablement un sens au niveau des technologies surtout avec l’émergence du numérique dans de nombreux domaines mais il existe une rupture dans les usages.

La question est « comment mieux faire dialoguer les deux mondes pour parvenir à une fertilisation croisée des expériences et des points forts tout en préservant le respect de chacune des cultures ».

 

Extrait du livre blanc

« Le marché de la sécurité demeure cependant fragmenté, tant du côté de l’offre que de la demande. Les conditions propices à l’industrialisation à plus grande échelle de solutions innovantes de sécurité, accessibles au juste coût et compétitives sur les marchés exports doivent être créées. En conséquence, une politique interministérielle visant à organiser une filière industrielle de la sécurité sera mise en place. Elle sera pilotée par un comité de filière, qui associera les principales parties prenantes au développement des technologies et du marché dans ce domaine. Cette politique de filière élaborera une vision prospective des besoins qui sera régulièrement actualisée. Elle identifiera les technologies critiques et les domaines capacitaires sur lesquels faire porter les efforts. Elle organisera les différentes sources de financement de la recherche et développement pour garantir l’accompagnement des projets tout au long de leur développement. Elle mettra en place des plates-formes d’évaluation des technologies par les utilisateurs et harmonisera l’expression des besoins publics aux fins de mutualiser les achats. Enfin, elle développera une politique de soutien à l’exportation et une politique de normalisation à l’échelon national, européen et international. Elle aura vocation à s’intégrer dans les efforts conduits au niveau européen »

Extrait du Livre blanc défense et sécurité nationale ed 2013 – Chapitre 7

 

Les industries peuvent-elles permettre de (ré)concilier les deux mondes ?

En octobre 2013, suite aux conclusion du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, le Premier Ministre a installé le comité de la filière industrielle de sécurité (COFIS). Cette instance de dialogue public-privé doit permettre de dynamiser cette filière forte de 125.000 emplois industriels et de 21 Mds€ de chiffres d’affaires. Environ 30% de ces industriels ont également une activité dans la Défense et singulièrement ceux du domaine terrestre, qui constitue donc un lieu sans doute propice à permettre aux deux sphères de se rencontrer et de bénéficier, l’une et l’autre, de leurs expériences complémentaires.

 

Opération Sentinelle

Le mercredi 7 janvier 2015 au matin, dès les premières déclarations du Premier ministre, le niveau de vigilance a été élevé au niveau en ALERTE ATTENTAT pour la région Ile-de-France. Le gouvernement a fi xé les objectifs de sécurité prioritaires et le ministre de l’intérieur l’a relayé à l’ensemble des préfets. En plus de l’application du plan Vigipirate, le contrat opérationnel de protection des armées (10´000 hommes) a été mis en oeuvre pour la première fois. La montée en puissance s’est faite en 4 jours et demi. L’opération a pris le nom de Sentinelle.

Le niveau ALERTE ATTENTAT a été étendu temporairement à la région Picardie, lieu de fuite des terroristes, en janvier mais également aux Alpes-Maritimes suite à l’agression de 3 militaires de l’opération Sentinelle à Nice le 3 février. De même en juin 2015, suite à l’attentat de St Quentin-Fallavier, le niveau ALERTE ATTENTAT est mis en oeuvre durant 4 jours en région Rhône-Alpes.

Les sites actuellement considérés comme sensibles sont divers et comprennent par exemple les lieux touristiques, les organes de presse, les grands magasins et centres commerciaux, les gares ferroviaires et urbaines, les lieux de culte, les bâtiments officiels, les écoles, les grands rassemblements, les sites industriels sensibles dont les sites Seveso, les ports et aéroports et les domiciles de personnalités. Ainsi, le nombre de sites surveillés sur l’ensemble du territoire national s’élève à environ 12000 dont 1700 sont pris en compte par les militaires (soit 14%). Parmi tous les sites surveillés, 5% font l’objet d’une garde statique. Les autres sont surveillés de manière dynamique par patrouilles dédiées et points de stationnement aux moments de plus grande vulnérabilité.

Parmi les 10000 militaires déployés, 6000 le sont sur Paris et l’Ile-de-France. Les autres sont répartis sur l’intégralité du territoire pour surveiller les sites sensibles mais également en renfort de certains points de contrôle frontaliers.

L’emploi des armées se fait sous réquisition des préfets qui fixent aux chefs militaires les effets à obtenir sur le terrain. Dans ce cadre, le dialogue entre les ministères de l’Intérieur et de la Défense a lieu à plusieurs niveaux :

− au niveau central entre les cabinets des Ministres mais aussi entre le CPCO et le Service du haut-fonctionnaire de Défense du ministère de l’Intérieur ;
− au niveau zonal entre les préfets de zone de défense et les officiers généraux de zone de défense ;
− au niveau départemental entre les préfets et les DMD.

Les armées ne constituent pas une 3e force de sécurité intérieure : elles conservent leurs modes d’action, leurs formations et leur armement. Le cas d’usage des armes des armées reste la légitime défense de soi-même ou d’autrui (art 122-5 du code pénal). Elles sont donc déployées en appui des forces de sécurité intérieure et utilisées au mieux de leurs spécificités et des réflexions interministérielles sont en cours pour approfondir cet aspect.

 

    
Patrick Guyonneau, IGA, Délégué ministériel adjoint aux industries de sécurité
Après un parcours au sein de services de programmes de la DGA sur des systèmes de surveillance, de renseignement et de simulation d’entraînement, Patrick Guyonneau a occupé des fonctions dans le domaine budgétaire et financier. Depuis 2005 au ministère de l’intérieur, il a contribué à créer une maitrise d’ouvrage dans les domaines SIC et technologique avant d’être chargé de développer la politique industrielle du ministère.
 

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