La robotique terrestre sur le champ de bataille
Longtemps confinée aux laboratoires, la robotique terrestre atteint un degré de maturité qui permet aujourd’hui un déploiement opérationnel mais il reste de nombreux défis encore à relever.
Même si la robotique terrestre existe depuis plusieurs décennies dans l’imaginaire collectif à travers les œuvres de science-fiction, son arrivée et son utilisation dans des contextes opérationnels est assez récente. Aujourd’hui, les systèmes robotiques utilisés dans les forces armées répondent au triple besoin dit des 3D (Dull, Dirty, Dangerous) : ils permettent d’automatiser des tâches répétitives, de travailler en environnement « sale » (NBC), ou d’éloigner le soldat de la menace. Les forces américaines sont pionnières en ce domaine et ont amorcé cette tendance avec l’utilisation des robots Packbot commercialisés depuis 1998 par la société américaine iRobot. Plus de 2000 exemplaires de ces robots, équipés de chenilles, d’un bras articulé et d’une caméra équiperaient les forces américaines. La Russie, qui a affirmé récemment sa volonté de robotiser à court terme une partie de son armement, inclut aujourd’hui des systèmes téléguidés dans ses exercices, et prévoit demain leur utilisation sur ses théâtres. La France, de son côté, possède un fort potentiel de recherche et de développement en robotique militaire. Si l'utilisation des systèmes non habités n'est pas encore généralisée au sein des forces, le Génie s'est déjà équipé de moyens. Depuis la première guerre du Golfe, l’armée de terre dispose d'AMX30 B2 DT permettant, depuis un poste de contrôle installé dans un VAB, de procéder, essentiellement, aux opérations d'ouverture de brèches. Eminemment exposées les équipes d’ouverture d’itinéraires ou de déminage ont également acquis des mini-robots (terrestres ou aériens) capables d'approcher, analyser, manipuler et neutraliser des objets suspects. Depuis 2007, les systèmes DROGEN et MINIROGEN destinés à des interventions en intérieur ou en extérieur et dans des zones confinées pour des actions d'observation ou de destruction, équipent les forces du Génie. D’autres systèmes robotisés sont également en dotation pour des tâches spécifiques.
Enfin, les prochaines étapes du programme SCORPION prévoient l’emploi de la robotique dans de nombreux futurs systèmes de l’Armée de Terre, mini robotique pour les fantassins débarqués, robots de type Mule en accompagnement logistique, kits de téléopération pour véhicules déjà existants ou encore le Module d’Appui au Contact qui disposera nativement de fonctions de téléopération.
Le MINIROGEN en milieu naturel, équipé d’un module d’observation - © DGA TT
La plateforme américaine iRobot PackBot - © iRobot
Toutefois, la majorité des systèmes actuels souffre de limitations qui sont autant de défis pour le futur, que ce soit dans le domaine de la perception de l’environnement, de l’interface homme machine et évidemment dans le domaine de l’autonomie décisionnelle.
Le DROGEN en milieu naturel, équipés d’un module d’observation - © DGA TT
En premier lieu, contrairement aux milieux homogènes tels que l’aérien ou le maritime, le milieu terrestre est globalement très complexe, cloisonné, hétérogène, changeant, possédant de nombreux masques, obstacles aux communications…Ainsi, les petits systèmes à roues ou à chenilles, rencontrent des difficultés pour se mouvoir dans ces environnements déstructurés typiques d’un théâtre d’opération : on pourra noter le récent témoignage du RAID et de la difficulté à opérer un système robotisé lors de leur intervention dans l’immeuble de Saint Denis. S’inspirant de la locomotion animale, des prototypes de robots à pattes existent déjà et permettent d’explorer d’autres types de mobilité. Ainsi, la plateforme démonstrateur quadrupède Big Dog, de la société américaine Boston Dynamics, s’inspire de la locomotion du chien. Les robots bipèdes sont également à l’étude dans un cadre essentiellement porté par le monde civil : la dernière édition du DARPA Robotics Challenge, tenue l’an dernier, a opposé 25 plateformes humanoïdes d’équipes académiques et industrielles sur un enchainement de tâches dans un environnement post-catastrophe. La France n’est pas en reste sur ce secteur avec par exemple le petit humanoïde Nao d’Aldebaran sélectionné pour la RoboCup (championnat du monde de robotique) ou les exosquelettes développés dans le cadre de projets RAPID par la société RB3D.
Dans le domaine de la téléopération de systèmes lourds et pouvant évoluer à vitesse importante, notamment dans le cadre de futurs convois mixtes habités/non habités, il s’agira de réduire les délais de latences qui ne permettent pas à ce jour d’avoir un comportement parfaitement sain, condition nécessaire pour l’acceptation de ce genre de convois sur route ouverte. S’agissant toujours de réglementation, on voit aujourd’hui apparaître des voitures de plus en plus autonomes (par exemple la Google Car mais bien d’autres projets, y compris français, sont en cours de développement) qui se déplacent dans un environnement coopératif (feux rouges, panneaux de signalisation, lignes blanches...). Cet environnement n’est pas celui que rencontreront les systèmes robotisés militaires, de ce fait il est nécessaire de faire encore progresser les capacités de perception et d’interprétation grâce à de nouveaux capteurs : la démocratisation de imageurs de profondeur RGB-D (Red+Green+Blue+Depth, comme la technologie Time of Flight utilisée par la Microsoft Kinect 2) et des capteurs laser 2D bas coût contribue pleinement à ces progrès notamment en environnement intérieur. L’exploitation d’images de caméras dites « plénoptiques » ou « light-field », systèmes passifs travaillant en lumière naturelle, devra également être étudiée. Se déplacer c’est également se positionner, notamment en environnement dépourvu de signal GPS, de nouvelles technologies sont en cours de développement et seront prochainement testées.
Enfin, les robots terrestres militaires actuels, télécommandés à distance par un opérateur dédié, ont une autonomie décisionnelle très limitée et de grands progrès en termes d’intelligence artificielle sont nécessaires pour leur permettre de s’adapter à une situation tactique donnée. Afin de diminuer la charge cognitive des opérateurs dont la mission reste avant tout le combat, de nouvelles perspectives seront peut-être offertes grâce aux récents progrès dans le domaine de l’IA, notamment grâce au deep learning. Le contournement d’obstacles (positifs ou négatifs), l’ouverture automatique de portes, le franchissement autonome d’escaliers, l’intégration de système de détection et d’alerte représentent ainsi les premières améliorations souhaitables et accessibles pour les futurs systèmes robotisés. La notion de combat collaboratif est également présente dans le monde de la robotique : de premiers travaux au titre du PEA ACTION avec l’ONERA ont permis de démontrer l’utilité de la collaboration multi-robots dans le déroulement d’un scénario de reconnaissance. La poursuite de ces études devra permettre l’optimisation des coopérations entre systèmes non habités et bien sûr avec l’homme.
Au-delà de ces progrès techniques, la mutation s’accompagnera également de questions éthiques délicates ainsi que de nouvelles failles juridiques à combler en fonction des capacités que l’homme sera prêt à laisser à la machine. En définitive, malgré la réalité des déploiements opérationnels de la robotique en téléopération, la place de l’homme dans la boucle (man in the loop) ou en supervision (man over the loop) restera primordiale. On peut ainsi raisonnablement affirmer que la guerre des clones du film la Guerre des Etoiles, où il n’y a plus de soldats sur les théâtres, ou encore un combat contre un Terminator venu du futur ne sont pas les combats qui sont envisagés dans un proche avenir...
Eric Moline, IPETA, Architecte robotique terrestre
Depuis ses débuts au Centre d'Expertise Parisien, puis au département Robotique et Mini-drones de DGA Tt (Bourges), Eric Moliné s'intéresse aux problématiques de cartographie en environnement inconnu, des architectures de contrôle et de perception. Aujourd’hui, Architecte Robotique Terrestre, il prépare les futurs projets de la DGA en robotique terrestre.
|
Arnaud Ramey, IA, Expert robotique terrestre
Après une formation internationale par la recherche et l’obtention d’une thèse, Arnaud Ramey (X06) est chargé d’expertise en robotique terrestre à DGA Tt. Il suit divers projets pour la grosse robotique, traitant de téléopération en conditions difficiles ou d’autonomie..
|
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.