SYSTÈME D’INFORMATION DES ARMÉES DÉMARCHE ET OUTILS AU PROFIT DU COMMANDEMENT DES OPÉRATIONS
Les systèmes d’informations opérationnels répondent à un objectif à l'apparence simple : contribuer à la supériorité des forces en opérations par la maitrise de l'information, quelque que soient les conditions d’environnement et de sécurité. Pour atteindre cet objectif, les SIO doivent permettre aux opérationnels de traiter, valoriser et partager de nombreuses données d’origines et de standards divers, véhiculées sur des réseaux disparates, souvent contraints et de classifications différentes. Dans ce contexte exigeant, comment le développement des SIO peut tirer parti des formidables avancées technologiques civiles et surfer sur la déferlante de la transformation numérique ?
Dans le prolongement de l’objectif directeur des systèmes d’informations opérationnels du ministère de 2007, le programme de système d’information des armées, lancé en 2012, a pour ambition d’apporter un système de commandement et de conduite des opérations unique pour l’ensemble des armées et d’y intégrer nativement les informations de renseignement et de logistique.
Au-delà des objectifs de rationalisation, l'enjeu est de fournir au commandement de théâtre, de bases aériennes projetables ou des bâtiments de la marine l’ensemble des informations pertinentes (situation tactique et logistique, renseignement de théâtre, conditions d’environnement) pour éclairer ses choix, accélérer les boucles de décision et ainsi permettre aux forces françaises de gagner et conserver la supériorité opérationnelle.
Un système soumis à de multiples contraintes
Par essence, les systèmes d’informations opérationnels sont multiniveaux, transdomaines et exploitent de multiples systèmes de communications : réseaux tactiques de théâtre dédiés aux missions, réseau secret de la conduite des opérations, réseaux souverains classifiés, l’ensemble en lien avec la métropole, les partenaires et les alliés. Malgré cela, les données doivent circuler de manière fluide, être mises à disposition des bons utilisateurs, en toute sécurité et sans risque de fuite d’information.
Loin des réseaux d'entreprise statiques au frais dans leurs datacenters, le programme doit permettre aux forces projetées en opérations de déployer et reconfigurer au besoin leurs propres intranets locaux, sécurisés et en réseau avec le reste des forces. Cet objectif, très différent de la simple mise à disposition d’une application sur un smartphone, implique un effort de simplification et d’automatisation des tâches d’administration et d’exploitation, afin de permettre aux opérationnels de se concentrer sur leur métier : la conduite des opérations.
Enfin, le système d’information des armées se doit également d'être interopérable. Interopérable entre les niveaux tactique et opératif, interopérable entre les théâtres et la métropole, entre les trois armées, et également avec nos alliés. Concrètement, cette interopérabilité se concrétise par le respect des standards français (NC1) et otaniens (ADatP3, MIP...) foisonnants, chacun utilisant sa propre sémantique, sa propre grammaire et ses propres protocoles d'échange.
Où en sommes-nous ?
7 années après le lancement du programme, les systèmes de commandement historiques de l'armée de terre (SICF) et de la marine nationale (SIC21) ont été "virtualisés" sur des environnements matériels récents afin de réduire le risque d'obsolescence et de rupture capacitaire induite. Le socle des services communs du SIA a été mis en service sur les réseaux métropolitains. Afin de préparer l'arrivée des nouveaux outils métiers et d'amorcer la transition, une capacité minimum viable à base de composants sur étagère de l'OTAN va être déployée dans certains bâtiments et centres à terre de la marine nationale. Ces étapes sont essentielles pour éprouver les fondements du SIA et initier le changement chez les utilisateurs et exploitants.
Fruit d'une démarche incrémentale, les premières configurations cibles appelées « SIA-box » participeront aux prochaines évaluations opérationnelles de l’armée de terre et de la marine en 2019. A terme, ce sont plus de 1000 "SIA-box" qui seront livrées aux Forces
Exemple de déploiement de l’armée de Terre – Exercice FELDBERG 2018
d’ici à 2025. L'appropriation par les armées de ce nouveau système devra s'accompagner d'une formation initiale des utilisateurs et des exploitants qui soutiendront le système et bien sûr d'un vaste plan de conduite du changement par les états-majors eux-mêmes, facteur clé de la réussite du programme.
Concilier les contraintes du domaine, les jalons opérationnels et le développement agile
Peut-on alors se targuer d’être agile et prôner les meilleures pratiques de DevSecOps chères aux champions du numérique ? Force est de constater que les systèmes d’informations opérationnels, dont le SIA n’est qu’un exemple parmi d’autres, font face à de fortes contraintes qui sont autant de freins à cette agilité. Mais ces freins, ces barrières, ne sont pas insurmontables. Les contourner est possible à condition de conserver quelques garde-fous et la vision qui a prévalu au lancement du programme.
Compte tenu de l’étendue du déploiement du SIA et surtout de ses contextes opérationnels forts, l’enjeu pour la communauté SIC porte sur l’amélioration des déploiements des mises à jour afin de minimiser les interruptions de service impactant le travail au quotidien des armées, directions et services, à l’instar de ce que vivent les utilisateurs de smartphones. Les mises à jour majeures devront faire l'objet d'un accompagnement et auront lieu majoritairement en métropole. A contrario, le système doit être suffisamment modulaire pour permettre les évolutions nécessaires apportant de nouvelles fonctionnalités, et donc plus de valeur en cours d'opération.
La nouvelle génération de SIO tend donc à être plus modulaire et évolutive pour répondre au mieux aux évolutions des besoins des utilisateurs. Dans le sillage des applications Internet, ils doivent évoluer vers des architectures orientées services, où les données sont valorisées et publiées en toute sécurité.
L’agilité : des boucles courtes où l’implication des parties prenantes est essentielle
Planning de développement et déploiement du système d’information des armées
Ce modèle ne peut fonctionner sans la présence d'un acteur clé : le Product Owner. Représentant des utilisateurs, ce dernier doit être fortement impliqué dans le projet car il a pour responsabilité de valider et prioriser les demandes d'évolution jusqu'à un niveau de granularité volontairement fin. Il doit donc avoir une connaissance précise des métiers et surtout avoir la légitimité pour arbitrer.
Qui dit architecture modulaire et micro évolutions implique également un déploiement rapide de ces évolutions aux utilisateurs. En l'absence d'une solution mature de Cloud sur des réseaux contraints, la virtualisation des environnements atteint ses limites et doit désormais évoluer vers des conteneurs, moins consommateurs de ressources, mais permettant le déploiement de modules applicatifs et de services à forte valeur ajoutée pour les utilisateurs.
Enfin, pour faciliter le traitement des problématiques d'interopérabilité à chaque évolution, il importe de permettre à chacun de se concentrer sur l'essence de son métier et d'adopter une sémantique et une grammaire compréhensible par tous les acteurs du domaine. Cela passe notamment par la mise en place d'une ontologie et des règles facilement vérifiables par les utilisateurs, à l'inverse d'un langage informatique bien souvent abscond pour le néophyte. Une première capacité sera intégrée au SIA et évaluée en 2019 afin d’en mesurer le potentiel opérationnel et le retour sur investissement.
Vers l’avenir
Le SIA est en marche, les premières configurations cibles seront déployées l'année prochaine en exercice et doivent permettre aux forces de tenir leur rôle tout au long de la prochaine décennie. Il sera alors indispensable de tirer parti des enseignements de ces premières mises en situation pour consolider le système, le faire monter en maturité et y adjoindre de nouvelles fonctionnalités à forte valeur ajoutée pour les forces déployées et pour l'ensemble de la chaine de commandement.
Au-delà des aspects techniques, les deux prochaines années nécessitent plus que jamais un travail en lien étroit avec les utilisateurs et les opérateurs pour atteindre l’enjeu majeur du programme : poser cette première architecture modulaire sans laquelle l’agilité n’est pas possible.
Philippe Warin, ICA
Architecte de cohérence technique (ACT) du Système d’information des Armées (SIA) à la DGA
Philippe Warin, X97, a occupé des postes de directeur de projet et de manager en informatique scientifique et générale à DGA EP et au CTSI puis comme conseiller auprès du Préfet de la Région Ile-de-France. Chargé de la migration des applications informatiques à la DIRISI, il a ensuite dirigé un programme de renseignement avant de revenir à la DGA sur le système d’information des armées.
Patrick Collignon, IA
Architecte système du Système d’information des Armées (SIA) à la DGA
Patrick COLLIGNON a commencé sa carrière en travaillant sur les systèmes d'information opérationnels de l'armée de terre en équipe mixte armée de terre/DGA puis en tant qu'architecte. Il a ensuite occupé un poste à l'OTAN au sein du bureau programme défense anti-missile balistique. Depuis 2017, il occupe le poste d'architecte système du système d’information des armées.
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