EPITRE DE PHILIPPULUS, PROPHETE, AUX BALARDGONIENS :
A bord du « Sirius », an 50.
Mes bien chers Camarades,
En vérité je vous l’avais dit : vous allez mourir tous, et les survivants auront la peste et le choléra !
Mais je découvre à l’instant et à ma surprise générale un article de mon avatar comme quoi vous n’êtes pas morts… passons, si je puis dire.
Car je n’ai pas tout faux : vous aurez quand même la peste et le choléra ! Enfin, par charité, je vous en décris les signes, et j’exhorte les plus jeunes des fidèles, espoirs de notre communauté, à en pratiquer la prophylaxie, car ils en ont l’énergie, et, sauf exception, ne souffrent pas de la maladie que j’évoque in fine.
Pour commencer, hygiène générale du cerveau :
“We have found the enemy, and it is us” (Berkeley, 1967)
La plupart des idées sur l’armement, son organisation, sa politique industrielle ont germé dans les cerveaux du Corps. Mais certaines furent néfastes, et il en sera de même à l’avenir. Il faut un mécanisme immunitaire pour s’en débarrasser.
Du temps où nous étions concepteurs, producteurs, maîtres d’œuvre, il y avait peu de néfastes durables. Les lois de la physique faisaient leur office, le travail mal fait se voyait, on rectifiait, on évacuait les incompétents par la cheminée ou vers un placard. Aujourd’hui, nous sommes de plus purs esprits, nous travaillons sur des méthodes et subissons des effets de mode, sortes d’épidémies intellectuelles, et nos maladies sont moins évidentes à diagnostiquer. Sans compter que nous devons en plus diagnostiquer chez les maîtres d’œuvre d’aujourd’hui les maladies qui furent les nôtres.
La discussion entre pairs, et avec des experts d’autres domaines, est certainement le mécanisme immunitaire le plus efficace ; historiquement, le cénacle des Directeurs autour du DGA, le Conseil Général, l’Inspection interne, et l’Inspection Générale Armement en ont été les seuls théâtres, sans spectateurs, et on se prend à souhaiter, pour les cinquante ans à venir, la résurrection d’un Centre de Prospective et d’Evaluation, mais aussi une réforme de la gestion du Corps qui favoriserait, entre autres choses, l’indiscipline intellectuelle qui doit rester la force principale des ingénieurs.
Mesures d’hygiène propres à nous donner une meilleure résistance aux maladies. Mais lesquelles ? Ouvrons, dans les archives de feu le Val-de-Grâce, notre dossier médical.
La maladie des lemmings :
Il y a les bons lemmings, qui font ce qu’il faut en éloignant une partie de l’effectif pour que la fonction de l’espèce reste assurée, et il y a les autres.
-les bons : c’est nous !
Plus précisément tous ceux qui ont lutté longtemps contre le statut mauvais des activités industrielles, et, sans sauter de la falaise, ont emporté ces activités dans de plus vertes prairies, où elles peuvent maintenant prospérer. Ce fut au prix d’une très forte réduction du recrutement dans le Corps, et de la perte de la formation industrielle dans les premiers postes. Mais il fallait le faire. Qu’on reconnaisse au Corps qu’il a mené là une réforme gigantesque, contre son intérêt immédiat en tant qu’institution, mais dans l’intérêt de la Défense ; puisse cette œuvre être poursuivie par ceux qui sont maintenant chargés de l’entretien industriel des matériels…
-les autres : c’est encore nous !
Certains veulent faire sauter toute la DGA, et avec elle l’ensemble du Corps, du haut du plateau du Ministère, car, pensent-ils, la DGA n’y peut survivre. En bas de la falaise, la terre promise de l’EPIC ou de l’Agence, où couleront des fleuves de lait grâce au statut dérogatoire que ne manquera pas d’octroyer le Ministère des Phynances.
La fonction de la DGA, qui est d’assurer sur le long terme le succès des armes de la France, serait inévitablement reprise par d’autres, restés auprès du Ministre, qui enverraient de temps en temps quelque argent en fonction de leurs propres priorités. C’est ainsi, ou à peu près, que fonctionnent les Pictes et l’US Army, fonctionnement qui remplit les cimetières de programmes, vide de leur contenu les caisses des Treasuries, et réduit à rien le pouvoir d’arbitrage du Ministre de la Defens-c-e (écriture inclusive).
Quant aux membres du Corps, ils sautent avec la DGA, mais sans parachute et sans ventral, car c’est leur remplacement par des ingénieurs pris et remis sur le marché qui est justement le but principal de ces lemmings-là. C’est la fin du Corps.
Disparaître de nos prairies industrielles, c’était nécessaire ; disparaître complètement, c’est du suicide. Puisque je suis votre prophète, je vous le dis : en plus d’être nuisible à votre fonction, c’est interdit.
L’automutilation :
Le Corps a un recrutement principal à l’X, dans une proportion de 70% fixée dans son statut. Il est clair que cela ne plaît pas à tous, et l’idée de supprimer des textes cette proportion, qui fonde pourtant depuis le début la place du Corps dans la haute fonction publique, ainsi que notre position vis-à-vis des officiers des Armes, est très près d’être appliquée.
S’il s’agissait de pouvoir augmenter de quelques unités nos recrutements, bénéfiques, dans des écoles comme Normale Sup’, CentraleSupélec, Sup’Aéro, ou l’ENSTA, en modifiant légèrement cette proportion ou, mieux, en ajoutant ces écoles dans le périmètre visé, cela ne modifierait pas la situation du Corps.
S’il s’agissait surtout d’établir que le recrutement initial à l’ENSIETA la même valeur pour le Corps que le recrutement principal, comme de nombreuses actions de gestion récentes l’ont pris pour axiome, ce serait une profonde erreur, car les élèves des écoles de niveau 1, les Finances, et le reste du Ministère, ne nous verraient plus de la même façon.
Je parle bien de la formation initiale, et non pas des qualités développées ensuite, bien entendu.
Pourquoi diable courir des risques pareils, et risquer de se couper un bras en décourageant le recrutement principal, si le seul effet est de changer de statut des IETA que la DGA possède déjà, et dont elle utilise déjà toutes les qualités ?
On a constaté ces dernières années, vu du « Sirius », des phénomènes étonnants : plusieurs années où il y a eu deux X sur la quinzaine de personnes de la DGA envoyées dans les sessions de l’IHEDN, une année où le recrutement latéral a fourni 90% d’une liste d’aptitude, une autre où tous les directeurs de programme de la dissuasion venaient de la même promo de l’ENSIETA. N’étant pas toujours dans mon nid de pie, ayant été dérangé par l’Etoile Mystérieuse, j’ai dû en laisser passer.
Pour rester dans la litote, ces résultats étaient statistiquement peu probables.
Il y a des jours où je me demande si le Général André, le polytechnicien de l’Affaire des Fiches, n’est pas revenu aux affaires, et ne soupçonne pas ses lointains camarades d’antirépublicanisme et d’assiduité à la messe. Mais je dois me tromper, je veux le croire.
Mes bien chers camarades,
J’aurais encore à vous parler des autres maladies de notre dossier : divagation, paresse, autisme, perte de mémoire, et retard intellectuel, ainsi que du recours à Diafoirus en politique industrielle ou en politique européenne, et du 2é.R.E.P., régiment qui mérite respect et affection, et dont l’hymne me permettra d’illustrer notre place dans le Ministère.
Peut-être une autre fois, si je ne suis pas envoyé prophétiser in partibus infidelium, mais un mot pour finir sur une dernière maladie:
La sénilité : c… caduc ou c… débutant, quand on est c…, on est c… (Brassens)
Quoi, quoi, la sénilité ? Ça n’existe pas, ou alors…ou alors il est temps que je m’arrête.
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