La Naissance du GIAT
La Genèse de l’Entreprise d’Armement Terrestre
Il aura fallu plus de 200 ans pour que soient regroupés au sein d’une même entreprise les établissements de l’Etat constructeurs d’armements terrestres, dont l’origine remonte aux Manufactures Royales d’Armes du XVIII° siècle.
Des Manufactures royales au Etablissements de l’Artillerie
Le Groupement Industriel des Armements Terrestres (GIAT) est l’un des avatars des établissements d’armement terrestre dont l’origine remonte aux ateliers d’armes à feu de Saint-étienne au XIV° siècle et de Tulle au XVI° siècle, devenus Manufactures Royales d’Armes, le premier en 1764 sous Louis XV et le second en 1777 sous Louis XVI.
Le XIX° siècle les transformera plusieurs fois en Manufactures Impériales, Royales puis Nationales et ajoutera au dispositif constructeur d’armes des établissements militaires nouveaux.
Au déclenchement de la Première Guerre Mondiale, la Direction de l’Artillerie contrôlait une quinzaine d’établissements militaires fabricants les armes au profit du Ministère de la Guerre. Ceux-ci étaient spécialisés selon les fabrications :
- pour les canons : Les Ateliers de Construction de Bourges[1] et Puteaux ;
- pour les munitions : Les Ateliers de Construction de Rennes, Lyon, Tarbes et Douai ; les Ateliers de Fabrication de Toulouse, Besançon et Vincennes ; les Cartoucheries de Valence et Alger ;
- pour les fusils : Les Manufactures d’Armes de Saint-Etienne, Tulle et Châtellerault.
La Direction de l'Artillerie deviendra, le 12 décembre 1916, le Ministère de l'Armement et des Fabrications de guerre après avoir été, durant les deux premières années de guerre, un Sous-secrétariat d’Etat[2] du Ministère de la Guerre.
Le besoin en munitions et armes d’artillerie ainsi que l’émergence de nouveaux armements fit naître une industrie de guerre privée à forte capacité technologique et industrielle, constituée d’industriels traditionnels limités antérieurement à l’exportation[3], parmi lesquels Schneider au Creusot, les Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt à Saint-Chamond, Hotchkiss et Brandt en région parisienne et d’industriels entrant sur le marché, tels que Renault, Citroën, Peugeot et Panhard.
La Direction des Fabrications d’Armement[4]
Les projets de création d’une direction des fabrications d’armement indépendante des directions d’armes et de celle d’un corps d’ingénieurs militaires proposés, en 1927, par la commission[5] mise en place par Paul Painlevé, ministre de la guerre, ne virent pas le jour.
Le 29 mars 1933 est créé, par décret, au sein de l’Etat-major, une Direction des Fabrications d’Armements (DFA), chargée d’assumer la mission antérieurement dévolue au service de l’artillerie en matière de fabrication et d’études.
Il faudra attendre 1935 pour que la loi du 3 juillet concrétise les propositions de 1927 en créant, au sein du Ministère de la Guerre, le Service des Fabrications d’Armement, indépendant de l’Etat-major et le Corps des Ingénieurs militaires des Fabrications d’Armement.
La Direction des Fabrications d’Armement[6] gérait ainsi, en 1935, une quinzaine d’établissements constructeurs se répartissant en :
- 3 Manufactures d’Armes : Saint-Etienne (MAS-1764), Tulle (MAT-1777) et Châtellerault (MAC-1819) ;
- 6 Ateliers de Construction : Bourges (ABS-1866 & 1912), Puteaux (APX-1866), Rennes (ARS-1793), Lyon (ALN-1866), Tarbes (ATS-1870), Roanne (ARE-1917) ;
- 3 Ateliers de Fabrication : Toulouse (ATE-1911), Besançon (ABN), Vincennes (AVIS-1796) ;
- 4 Ateliers de Chargement ou Cartoucheries : Valence (AVE), Alger (AAR), Moulins (AMS-1916), Salbris (ASS-1933).
Au cours des deux années suivantes, une dizaine de nouveaux établissements constructeurs rejoindront la DFA, suite à la nationalisation par le Font populaire de plusieurs usines d’industriels privés[7], grâce à la loi du 11 août 1936 :
- 1 Manufacture d’Armes : Levallois (MLS) ex Hotchkiss;
- 5 Ateliers de Construction : Issy-les-Moulineaux (AMX) ex Renault, Rueil (ARL) ex Renault, Le Havre (AHE) et Le Creusot ex Schneider, Chatillon ex Brandt;
- 3 Ateliers de Fabrication : Le Mans (ALM) ex Manurhin, Caen (ACN) ex Ateliers de Normandie, Saint-Priest (AST) ex Société d'études et de constructions de matériels de protection;
- 1 Atelier de Chargement : Vernon (AVN)[8] ex Brandt.
En 1939, plusieurs petits établissements constructeurs sont créés pour répondre aux besoins de la guerre, dont l’Atelier de Construction d’Irigny (AIY).
Du 13 septembre 1939 au 16 juin 1940, la DFA sera intégrée dans le ministère de l’Armement de Raoul Dautry.
Durant l’occupation, elle devient le Service des Usines Mécaniques de l’Etat (SUME), rattaché au Ministère de la Production Industrielle. Les établissements sont alors pourvus d’une direction allemande qui s’ajoute à la direction française et nombre d’entre eux sont transformés en régies avec Conseil d’Administration.
La Direction des études et Fabrications d’Armement
L’ordonnance du 28 août 1944 rétablit la DFA sous le nom de Direction des Etudes et Fabrications d’Armement (DEFA), mais ce n’est qu’à partir de 1948 qu’elle sera responsable de l’intégralité des armements terrestres, par intégration du Service d’études des Matériels du Génie en 1945 puis de la Section d’études et Fabrications des Télécommunications (SEFT) en 1948.
En 1945, l’Atelier de Construction de Mulhouse (AME) et l’Atelier Central des Automobiles de l’Armement (devenu Atelier de Construction de Limoges (ALS) en 1956) accroîtront le nombre des établissements constructeurs de la DEFA, par nationalisation du bureau d’études de la société Mauser et de la société Gnome et Rhône (SNECMA).
Le 21 novembre 1945, Charles de Gaulle, Président du Gouvernement et Ministre de la Défense Nationale, crée un Ministère de l’Armement auquel est rattachée la DEFA, forte d’une trentaine d’établissements constructeurs. Charles Tillon (PCF), ancien apprenti et ouvrier de l’ARS, le dirige. Il restera ministre de l’Armement, jusqu’au 28 novembre 1946, sous les Gouvernements Gouin et Bidault.
De 1947 à 1961, la question de l’existence d’une structure gouvernementale Armement indépendante des Etats-majors, à laquelle appartiendrait la DEFA, se pose, mais la multiplicité des gouvernements ne va pas permettre, avant la V° République d’aboutir à une situation pérenne. Ainsi, la DEFA ne sera rattachée qu’épisodiquement à des structures gouvernementales Armement (ministère[9], secrétariat d’Etat[10], sous-secrétariat d’Etat[11]).
La Direction Technique des Armements Terrestres
Par décret 61-306, la Délégation Ministérielle pour l’Armement est créé le 5 avril 1961 et la DEFA lui est rattachée. Le décret 65-707 du 16 août 1965 précise la nouvelle organisation de la DMA et transforme la DEFA en Direction Technique des Armements Terrestres (DTAT).
Dans les années 60, la DEFA, puis la DTAT, mettent en œuvre une politique de réduction du nombre d’établissements par fermeture et transfert d’activités vers d’autres établissements, fusion d’établissements et cession au secteur privé :
- Fermeture et transfert : AVE (1964), AME (1966), MAC (1967), ALN (1970) ;
- Fusion : ABS + ECP[12] = EFAB (1967-Etablissement de Fabrication d’Armement de Bourges) ;
- Cession au secteur privé : AHE (1963-SNECMA), ALS (1964-Saviem), AIY (1966-Renault).
En 1969, il ne reste que 11 établissements à caractère industriel à la DTAT.
Le GIAT : Groupement Industriel des Armements Terrestres
La Commission « établissements publics » de 1963
Le lancement de la dynamique de création du GIAT remonte à la décision du 1er avril 1963 de Pierre Messmer, ministre de la Défense, de structurer la DMA en 3 grandes directions dont l’une regrouperait tous les moyens de production industrielle.
Sur la base de cette décision, trois commissions furent créées par le premier Délégué ministériel, le général Gaston Lavaud, dont la Commission établissements publics, présidée par l’ingénieur général Henri Guntsberger, chargé de la mission atome.
La commission proposa des projets de loi et de décrets créant 5 établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) :
- L’Office des Constructions Navales et Nucléaires de Bretagne (OCB),
- L’Office des Réparations Aéronautiques (ORA),
- La Société Nationale des Poudre (SNE),
- La Société Nationale d’équipement et de Construction (SNEC), regroupant l’AMX, l’EFAB et l’ARE,
- La Société Nationale des Armes et des Missiles (SNAM), regroupant les établissements constructeurs de la DEFA autres que l’AMX, l’EFAB et l’ARE, mais incluant les arsenaux de Ruelle et Saint-Tropez.
Cette organisation ne fut pas retenue.
Les travaux du chearde 1967
L’un des sujets d’études de la 3ème session du Centre des Hautes études de l’Armement (CHEAr) portait sur la distinction entre les tâches étatiques (définition des besoins, maîtrise d’ouvrage, évaluation, études technologiques de base) et les tâches à caractère industrielles (études, fabrications, réparations) et son impact sur l’organisation. Le rapport préconisait la disparition de la cohabitation de ces 2 catégories d’activités au sein d’un établissement et la spécialisation de chaque établissement dans des activités étatiques, ou des activités industrielles.
L’Impulsion des Délégués Ministériels
Le 18 novembre 1967, la directive du deuxième Délégué Ministériel, le général Michel Fourquet, reprenant les orientations proposées par le CHEAr, demandait une réforme de l’organisation de la DTAT[13] distinguant les missions « étatiques » et les missions « de production ». Elle restera lettre morte.
Jean Blancard, troisième Délégué ministériel, relança l’étude de la réforme, par directive du 29 avril 1969. La réponse de la DTAT du 25 juillet, présentant la nécessité de ne pas dissocier les établissements à caractère industriel de l’Armement terrestre, fut accueillie favorablement par le Délégué qui demanda un approfondissement de la proposition.
La Proposition de la DTAT
Quatre raisons s’opposaient à une séparation des activités étatiques et des activités industrielles.
La première tenait à l’imbrication des ces activités dans certains établissements. Ainsi, l’AMX et l’EFAB, tout en ayant majoritairement une activité industrielle exerçaient également une activité étatique. Inversement, la SEFT et l’ETAS avaient une activité industrielle, tout en étant fondamentalement des établissements étatiques.
La deuxième tenait à ce que recouvrait le terme « étatique », dont le contenu, fort complexe à expliciter, était diversement apprécié.
La troisième relevait de l’économie de moyens, car dans une période où la ressource en ingénieur était faible, beaucoup d’entre eux réalisaient les deux types d’activités.
La quatrième était la crainte que la séparation ne paraisse la continuité d’un démantèlement de l’ex DEFA ressenti avec les fermetures (AVE, AME, MAC, ALN…), cessions à l’industrie privé (AHE, ALS, AIY…) et transferts à d’autres directions (ISL-1962, LRBA-1966, section atomique-1959, centre de Limeil-1959, antenne de Colomb-Béchar…) qu’avaient encore en mémoire les Ingénieurs des Fabrications d’Armement.
Considérant, en dépit des quatre raisons s’opposant à la séparation, que les 11 établissements industriels ne devaient pas être dissociés, le directeur de la DTAT, l’ingénieur général Maurice Francillon, proposa, dans sa réponse du 25 juillet 1969, l’acquisition d’une individualité de cet ensemble au sein de la DTAT tout en le dotant d’une comptabilité distincte.
La double Naissance du GIAT
Contrairement à la réglementation qui imposait la publication de décrets, une simple décision du directeur de la DTAT créa, le 12 janvier 1971, le GIAT et le poste de Directeur du Groupement industriel, qui avait autorité hiérarchique sur les directeurs d’établissement.
Le GIAT en 1971
Cette création relevait de trois principes :
- les établissements étaient affectés dans leur intégralité au secteur industriel ;
- la mise en application était immédiate, sans attendre les décrets nécessaires ;
- le Directeur du GIAT avait autorité pleine et entière.
L’ingénieur général André Dufoux en fut nommé directeur.
Le périmètre du GIAT comprend, à sa création :
- 11 établissements (AMX, APX, EFAB, ARE, ATS, ATE, ALM, ARS, ASS, MAS, MAT) regroupant 16 300 personnes, avec 360 MF de valeur ajoutée pour un chiffre d’affaires de 900 MF ;
- un organisme central d’environ 70 personnes réparties en 4 divisions : études, commerce, production et gestion.
Dès septembre 1971 le GIAT était opérationnel.
Deux ans après sa création, le décret Debré-Messmer, publié au Journal Officiel le 15 janvier 1973, allait donner au GIAT une existence légale.
Par la suite, le mouvement de rationalisation a conduit à séparer les activités de maîtrise d’ouvrage étatique et de maîtrise d’oeuvre industrielle. Les dernières évolutions industrielles notamment avec le rapprochement Nexter-KMW montrent que désormais il convient d’avoir une vision internationale à la hauteur des enjeux des futurs développements technologiques dont les armées auront besoin.
[1] Egalement constructeur de munitions.
[2] (Sous-secrétariat d’Etat à l’Artillerie et à l’Equipement militaire (26 août 1914), puis Sous-secrétariat d’Etat à l’Artillerie et aux Munitions (29 octobre 1915)).
[3] Loi Farcy du 14 août 1885 sur le Commerce des Armes.
[4] L’auteur s’appuie, à partir de ce paragraphe, sur les travaux des ingénieurs généraux André Dufoux et Claude Engerand dans le cadre du ComHArT et du CHEAr.
[5] Commission d’industrialisation des établissements constructeurs de l’artillerie crée en 1926
[6] nom usuel de l’organe de direction du Service des Fabrications d’Armement
[7] Il est à noter que le ministère de l’Air n’a pas transformé en arsenaux les établissements nationalisés mais a créé 6 grandes sociétés nationales de l’aéronautique, dont l’Etat détenait les deux tiers des parts.
[8] Sur le site duquel sera créé le LRBA (Laboratoire de Recherche Balistiques et aéronautiques) le 17 mai 1946.
[9] second Gouvernement Faure, 20 janvier 1952 - 28 février, Ministère de l’Armement, de Maurice Bourgès-Maunoury.
[10] second Gouvernement Ramadier, 31 octobre 1947 - 19 novembre, Secrétariat d’Etat à l’Armement de Johannes Dupraz.
Gouvernement Mendès-France, 18 juin 1954 – 20 janvier 1955, Secrétariat d’Etat à l’Armement de Diomène Catroux.
[11] troisième Gouvernement Blum, 16 décembre 1946 - 16 janvier 1947, sous-secrétariat d’Etat à l’Armement de Paul Béchard .
[12] Ecole Centrale de Pyrotechnie
[13] demandé également à la DTCN
Jean Hamiot, IGHCA (2S), Président du Comité pour l’Histoire de l’Armement Terrestre, Président de l’Association de l’Armement Terrestre
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