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Scaphandre pressurisé (à gauche), no copyright ; équipements pressurisés EFA 23/30 (au centre) et VHA 90 (à droite), © Henri Marotte.
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03 avril 2024

PROTECTION DES PILOTES DE HAUT-VOL !
LE CORPS HUMAIN DANS LA STRATOSPHÈRE

Publié par Pierre Fabries , Fabien Sauvet, Henri Marotte et Mounir Chennaoui | N° 131 - FACTEUR HUMAIN

L’épisode récent du passage dans le ciel nord-américain de « ballons d’observation météorologique » chinois a rappelé aux armées la nécessité de pouvoir évoluer, voire traiter des objectifs dans la stratosphère. Cette couche constitue la partie inférieure de « l’espace aérien supérieur », au-delà de la zone contrôlée par les autorités nationales, nouvel espace de compétition encore peu connu et aux enjeux stratégiques grandissants. Son exploration humaine impose d’affronter des défis biomédicaux et technologiques qui ne pourront être relevés que grâce à une étroite collaboration entre l’ingénieur/industriel, le pilote et le physiologiste.


La stratosphère, un défi pour la physiologie humaine

Les caractéristiques de la stratosphère sont rappelées sur la figure 1. La haute altitude est caractérisée par une diminution de la température et de la pression barométrique, à des niveaux bien inférieurs à ceux requis pour la survie humaine. Les pathologies associées à l’hypobarie sont l’hypoxie (la pression inspirée en oxygène est divisée par 5 à 12 000 m), la maladie de décompression (due à la libération sous forme de bulles de l’azote dissous dans les tissus), les barotraumatismes (dus à l’expansion des gaz dans les cavités closes ou semicloses) et l’ébullisme (à 19 200 m, l’eau entre en ébullition à 37°C). Dans la stratosphère, la perte de conscience survient en 9 à 12 s.

En cas de dépressurisation de la cabine, les effets de l’hypoxie sont prévenus par l’emploi d’un système inhalateur d’oxygène avec surpression altimétrique jusqu’à 13 500 m durant 2 à 3 minutes, puis grâce à des équipements stratosphériques (scaphandres et vêtements pressurisés). Concernant la maladie de décompression, la respiration d’oxygène pur avant le décollage (dénitrogénation) permet de diminuer le risque.

Les différentes couches de l’atmosphère, modifiée de © Cmglee.

Les différentes couches de l’atmosphère, modifiée de © Cmglee.

Protection des pilotes dans la stratosphère : leçons du passé et défis de l’avenir Pressurisation des cabines

La cabine pressurisée permet de maintenir l’atmosphère à une pression suffisante. Cette technique simple fonctionne avec une différence de pression constante entre la pression cabine et la pression à l’altitude. Elle présente des inconvénients car il s’agit d’un système ouvert à l’extérieur (fuite, siccité et pollution de l’air), à la différence de la cabine étanche. Afin de prévenir le risque barotraumatique de surpression alvéolaire en cas de décompression explosive, la différence de pression doit rester inférieure à 2,3, ce qui explique le port permanent du masque à oxygène chez le pilote de chasse afin de compenser l’hypoxie.

Scaphandres et vêtements pressurisés

Il s’agit de moyens de protection individuels servant à assurer la sauvegarde des équipages lorsque la pressurisation d’un avion fait défaut lors d’un vol stratosphérique.

Un scaphandre peut être étanche (utilisé en astronautique) ou pressurisé, à la différence d’un vêtement pressurisé qui est un équipement à contre-pression tégumentaire par vessie(s) pressurisée(s).

Le scaphandre pressurisé est utilisé par les pilotes de U-2 nord-américains (Photo ci-contre, à gauche). L’atmosphère interne est régulée à pression constante, activée lorsque l’altitude dépasse une valeur comprise entre 10 000 et 11 500 m. L’utilisation est simple mais il existe des inconvénients tels que la nécessité de ventiler le scaphandre pour évacuer la chaleur métabolique, limiter l’espace mort ventilatoire et assurer une certaine mobilité au pilote. Le scaphandre procure une excellente protection contre l’hypoxie. Après dénitrogénation, le pilote peut passer plusieurs heures à très haute altitude, ce qui permet de redescendre lentement à la suite d’une dépressurisation accidentelle.

Les vêtements pressurisés ont été développés afin de trouver un compromis acceptable entre confort en conditions normales de vol et efficacité en conditions exceptionnelles ou de sauvetage après dépressurisation. Portés de façon préventive, ils sont plus faciles à revêtir et plus faciles d’emploi. Ils sont conçus pour permettre une meilleure tolérance de la respiration en surpression : étanchéité du masque, prévention des troubles au niveau du cou, au niveau ventilatoire (gilet de contre-pression thoracique) et circulatoire.

En France, deux équipements stratosphériques ont été développés et leurs performances validées lors d’essais en caisson hypobare à Brétigny-sur-Orge : l’EFA 23/30 et le VHA 90 (Photo ci-dessus, au centre et à droite).

L’EFA 23/30 était homologué pour les vols à haute altitude du Mirage 3. Les pilotes équipés d’un casque pressurisé, d’une combinaison, de bottes et de gants pressurisés étaient protégés jusqu’à 30 480 m pendant 1 heure. Cette performance était obtenue au prix d’une restriction du confort et de la facilité d’emploi.

Le VHA 90 a été développé pour les équipages du Mirage 2000. Il s’agissait de déplacer le compromis efficacité-confort vers un meilleur confort, au prix d’une protection physiologique moindre, dans l’objectif d’assurer le sauvetage de l’équipage après dépressurisation (et non de poursuivre la mission). Le système est composé d’un casque à pressurisation partielle, d’un gilet respiratoire qui assure la contre-pression thoracique et du pantalon anti-G qui assure une contre-pression sur la partie inférieure du corps. Associé au système de régulation complexe IN 439, l’ensemble permet la protection contre l’hypoxie d’altitude, les effets spécifiques de la haute altitude, des décompressions explosives, des accélérations +Gz et l’immersion (gilet de sauvetage). Il a été qualifié pour assurer la protection des pilotes jusqu’à 20 000 m, sous réserve que la descente à une altitude inférieure à 12 000 m puisse être réalisée en moins de 3 minutes. Il est compatible avec un équipement de protection chimique ou un vêtement d’immersion.

Enjeux de recherche et de développement

Une connaissance précise des missions et des cas d’usage est nécessaire afin d’identifier les contraintes et les risques auxquels sont confrontés les pilotes à très haute altitude. En réponse à un cahier des charges précis, l’objectif est de proposer des recommandations et des contre-mesures adaptées, qui s’appuient sur les connaissances scientifiques et les travaux menés par le passé.

Les travaux de R&D doivent désormais porter sur la mise au point, la validation et la certification aéronautique des équipements de protection et de sauvegarde des pilotes lors des vols stratosphériques. Les premières étapes seront réalisées en caisson hypobare, unique moyen d’essai capable de reproduire les effets de l’altitude de façon contrôlée au niveau de la mer, puis lors d’essais en vol. Les différences inter-individuelles déjà décrites dans nos récents travaux concernant l’hypoxie devront être prises en compte, et élargies à l’ensemble des pathologies, ce qui nécessitera d’avoir recours au monitoring physiologique du pilote à l’aide de capteurs innovants. Il faudra également envisager les situations d’éjection dans cette couche de l’atmosphère.

Article écrit en collaboration avec Fabien Sauvet (MD, PhD, HDR), Médecin en chef, Henri Marotte (MD, PhD), Professeur à l’Université et Mounir Chennaoui (PhD, HDR, qual. PU), Docteur.

Photo de l auteur
Pierre Fabries, MD, PhD

Médecin et physiologiste spécialisé en aéronautique, praticien certifié en recherche du Service de santé des armées au sein du Département Recherche, expertise et formation Aéromédicales à l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) à Brétignysur-Orge ; chargé d’enseignement en physiologie aéronautique à l’École du Val-deGrâce à Paris.

 

Article réalisé avec le concours de Fabien Sauvet (MD, PhD, HDR), Henri Marotte (MD, PhD) et Mounir Chennaoui(PhD, HDR, qual. PU)

Auteurs

Pierre Fabries
Fabien Sauvet, Henri Marotte
Mounir Chennaoui
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