ESSAIMS DE DRONES
UNE NOUVELLE DONNE OPÉRATIONNELLE ?
Peut-être avez-vous déjà assisté à un spectacle de drones ? Ils deviennent légion dans le milieu du divertissement, que ce soit à l’Exposition Universelle de Dubaï, ou au Puy du Fou. De manière plus inquiétante, des théâtres comme le Haut-Karabagh ou le Yémen sont le lieu d’attaques coordonnées de drones, de salves manœuvrantes. Face à cette menace, demandons-nous comment nous pourrions intégrer rapidement ces nouveaux outils et surtout quels en sont les enjeux capacitaires et technologiques.
Quand le secteur civil mène l’innovation …
Les nuées de robots, fantasmes de la science-fiction, sont au cœur de nombreux projets. Citons entre autres les différentes recherches américaines, de la DARPA et de l’US Navy, dont OFFSET et LOCUST, les annonces du côté de l’Inde et de la Chine, ou encore la Turquie, qui devient un acteur incontournable des systèmes de drones.
Pourtant, ces essaims ne sont pas apparus en premier sur les champs de batailles comme le laissait présager la littérature, mais dans les entrepôts d’Amazon.
Pour gagner en efficacité, le grand groupe américain a développé une forte compétence dans la gestion d’une flotte de robots-étagères, de manière totalement automatisée. L’homme ne se déplace plus jusqu’à l’étagère, l’étagère vient directement à lui grâce aux progrès de l’IA.
Par ailleurs, la miniaturisation continue des drones, jusqu’à en faire de simples jouets pour enfant, a démocratisé leur usage auprès du grand public, et a permis de pénétrer le marché de défense et sécurité.
Et c’est finalement le monde du divertissement qui nous a surpris. En hybridant astucieusement ces deux avancées, la miniaturisation et l’émergence de l’IA collective, il est devenu possible de faire évoluer plusieurs milliers de drones de façon coordonnée.
Cette évolution très rapide dans le monde civil, qui pourrait s’étendre à l’agriculture dans les années à venir, rend accessible ces innovations à un rythme effréné difficilement compatible du tempo de nos programmes d’armement.
Dronisos, société bordelaise leader mondial des shows de drones
… nous devons explorer d’autres méthodes
Au vu des enjeux opérationnels, offensifs, défensifs, de massification des conflits…, il faut nous demander comment réussir à se saisir de ces innovations dans des délais très courts.
C’est là que l’innovation ouverte, au sein de l’AID, prend tout son sens. Outre une détection, qui demande à sortir de la BITD pour aller chasser des start-ups, il s’agit surtout de construire les bons projets au bon moment, c’est-à-dire en respectant les feuilles de route civiles de la start-up et nos intérêts propres.
Ces nouvelles méthodes, au plus proche des start-ups, avec une temporalité très rapide, pour ne pas dire agiles, permettent de faire réagir le capacitaire. En proposant rapidement aux forces de se familiariser avec une simple maquette, nous ouvrons la voie à l’élaboration de nouveaux concepts qui alimenteront à leur tour nos réflexions. En itérant, les utilisateurs finaux seront alors en mesure de penser de nouveaux cas d’usages voire de projeter un usage opérationnel.
Après cette phase itérative de maquettage/démonstration, la dernière étape consiste alors à réussir à passer à l’échelle, en déployant la solution dans les forces ou en l’intégrant dans une opération d’armement.
En appliquant concrètement cette méthodologie aux essaims de drones, nous allons explorer une partie du champ des possibles en mettant dans les mains des armées un essaim simple mais utilisable. Ce maquettage permettra de dégager une cartographie des briques technologiques à explorer pour atteindre un produit opérationnel.
Les spectacles ce sont multipliés ces dernières années. Certaines sociétés françaises sont à la pointe de cette technologie qui nécessite de disposer d’un vecteur petit et fiable pour pouvoir être mis en œuvre en respectant la réglementation. Par ailleurs, la complexité réside dans la coordination des drones dont la trajectoire est individuellement calculée avant le show. Chaque individu du groupe n’est donc pas « conscient » de ses voisins, mais seulement de sa propre trajectoire.
Les shows de drones, véritables laboratoires d’expérimentationsLes spectacles ce sont multipliés ces dernières années. Certaines sociétés françaises sont à la pointe de cette technologie qui nécessite de disposer d’un vecteur petit et fiable pour pouvoir être mis en œuvre en respectant la réglementation. Par ailleurs, la complexité réside dans la coordination des drones dont la trajectoire est individuellement calculée avant le show. Chaque individu du groupe n’est donc pas « conscient » de ses voisins, mais seulement de sa propre trajectoire. |
De nouveaux concepts d’emploi …
S’il est, par essence, impossible d’anticiper les nouveaux cas d’usages qui seront imaginés par les forces grâces à ces méthodes, nous disposons de quelques pistes sur les enjeux opérationnels esquissés par les essaims.
L’arrivée des essaims sur les théâtres d’opération apportera la massification. Cette massification, outre l’impact qu’elle pourrait avoir sur l’intensité du conflit, va induire deux effets majeurs : la sidération et la saturation. Même sans mettre en œuvre des technologies très pointues, il semble en effet concevable avec un essaim d’un millier de drones de plonger l’ennemi dans un état de sidération, ne serait-ce qu’avec des fumigènes, du son et des jeux de lumières, en s’inspirant par exemple des shows de drones actuels. De même, il semble envisageable de saturer un système de détection avec un grand nombre de vecteurs évoluant à proximité immédiate. Cette vision des essaims implique des vecteurs simples et peu onéreux, à considérer finalement comme des consommables.
Mais penser l’attaque implique nécessairement de penser la défense. Ainsi, les systèmes de lutte anti-drones doivent dès à présent être conçus en anticipation de cette nouvelle menace et donc s’adapter rapidement à l’apparition de nouvelles capacités adversaires.
Il devient également possible de voir l’essaim comme une nouvelle barrière défensive, en le plaçant facilement en surveillance/protection d’un convoi, comme élément de défense d’un bâtiment de la Marine voire en imaginant un essaim de drones interceptant un autre essaim de drones malveillants.
Finalement, en considérant les essaims de drones comme un nouveau paradigme, au même titre que l’introduction du char ou de l’aviation ont pu l’être à leur époque, les cas d’usage semblent ne se limiter qu’à l’esprit de ceux qui les imaginent et demandent donc un bonne ouverture d’esprit.
…appellent de nouveaux développement technologiques.
Penser ces concepts futurs requiert une bonne connaissance de l’existant technologique mais doit aussi permettre de sélectionner les axes de recherche à explorer. Si la miniaturisation va se poursuivre, les futures briques technologiques s’articuleront sans surprise autour de l’autonomie, aussi bien en énergie qu’en décision, sur la localisation des vecteurs et sur les moyens de communication, tous deux primordiaux pour assurer la bonne coordination du groupe.
En terme d’autonomie énergétique, il convient de poursuivre les recherches sur les batteries, mais aussi sur le couplage de nouvelles énergies (solaire, hydrogène…) et la réduction de la consommation des moteurs mais aussi des outils de calculs embarqués.
La littérature scientifique est déjà prolixe sur les algorithmes d’autonomie décisionnelle, et j’ai moi-même contribué à la recherche sur ce sujet il y a plus de 10 ans. Pourtant ces algorithmes souffrent encore d’une confrontation insuffisante avec les cas réels pour confirmer leur pertinence opérationnelle afin de devenir tout à fait matures.
Enfin, l’évolution en groupe demande notamment de s’intéresser à des moyens de communications sûrs et frugaux, et d’explorer la navigation sans satellite, ni infrastructure, à base d’odométrie visuelle par exemple.
Ces nouvelles briques technologiques viendront elles-mêmes décupler les nombreux cas d’usages, issus de la nécessaire appropriation du concept par les utilisateurs finaux. Certains s’avéreront non pertinents, d’autres émergeront
Les essaims de drones ne sont plus de la science-fiction, ni même de l’anticipation : toutes les briques sont disponibles pour proposer un premier concept, qui nous permettra de mieux comprendre et maitriser les enjeux de cette nouvelle donne opérationnelle. Charge à nous de poursuivre nos efforts et d’amener rapidement ces nouveaux outils et usages dans les mains des forces.
Thomas Sousselier, IPA, Manageur de Portefeuille d’Innovations à l’AID A la suite d’un doctorat sur les essaims de robots sous-marins pour la guerre des mines, il rejoint le programme SYRACUSE, pour préparer le futur segment sol. Il prend ensuite le poste de chef de la Section Innovation de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, et rejoint enfin l’Agence de l’Innovation de Défense pour contribuer à l’Innovation Ouverte.
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