INTERVIEW DE PHILIPPE JOST
A la suite du décès accidentel du Général Jean-Louis Georgelin, notre camarade Philippe Jost, IGA, a été désigné par le président de la République comme son successeur pour achever les travaux de rénovation et assurer l’ouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris fin 2024. C’est une mission particulièrement visible et importante pour un ingénieur qui n’a jamais cherché à se mettre dans la lumière. Nous avons essayé d’en savoir plus.
La CAIA : Cher Philippe, nous sommes très heureux que tu aies accepté de prendre du temps pour nous parler de ton job au service de la restauration de Notre-Dame. Pourrais-tu nous dire ce que cela représente pour toi ?
Philippe Jost : Je ne parlerais certes pas de job ! C’est une mission, qui consiste à réparer les dégâts de l’incendie, à rouvrir la cathédrale au culte catholique et à la visite. Cela a du sens, un sens qui me parle, j’y adhère pleinement. Cette mission, je la vis au quotidien en réalisant des choses que j’aime faire, comme être en relation avec des intervenants nombreux et très divers, des entreprises, des architectes, des mécènes, des donateurs, des représentants du ministère de la culture, d’organismes de contrôle et des parlementaires. Ces intervenants ont des objectifs et des motivations qui leur sont propres, il s’agit d’avancer et de faire en sorte qu’ensemble, on trouve des solutions. Mon rôle est de comprendre ce qu’ils veulent et trouver les moyens de se rejoindre. Les objectifs ne sont pas opposés, ils sont juste différents et j’aime bien cela. La DGA, j’y reviendrai, m’a habitué à cela.
Enfin, j’ai l’impression que ce que j’ai à faire, je sais le faire. Je ne me sens pas décalé ni stressé, grâce notamment à mes expériences à la DGA.
La CAIA : Quel est ton rapport avec Notre Dame de Paris ? As-tu eu un coup de cœur pour une chose en particulier ?
PJ : Notre Dame est d’abord une très belle cathédrale, d’un superbe gothique des XIIe et XIIIe siècles mâtiné de Viollet-le-Duc Moi qui suis parisien, c’est ma cathédrale, j’allais souvent y écouter les homélies du cardinal Lustiger le dimanche soir à 18h30.
J’y étais entré quelques jours avant l’incendie.
Finesse d’une fresque du XIXe siècle redécouverte après nettoyage
Au cours du nettoyage intérieur, nous avons pu redécouvrir des éléments architecturaux ou des décors quasiment invisibles car noircis par le temps. J’aime particulièrement les chapiteaux de remploi présents dans les tribunes du chœur. Ils viennent probablement d’un édifice antérieur et présentent des motifs végétaux sculptés dans une très belle pierre. Nous avons aussi redécouvert les décors peints des chapelles du chœur datant du XIXe siècle. Celui de la chapelle Saint-Marcel présente une finesse de dessin et une grâce toutes particulières.
Reconstruction de la « forêt » en chênes sélectionnés dans toute la France
La CAIA : Durant tes études, tu as fait l’école du Louvre. C’est un peu surprenant pour un ingénieur. Pourquoi ?
PJ : J’ai toujours eu une prédilection pour l’architecture, le patrimoine et l’histoire. J’avais des connaissances venant de mes lectures, mais suivre l’école du Louvre en parallèle de l’Ensta, après l’X, a structuré mes connaissances et m’a donné une vision globale de l’histoire de l’art. J’ai découvert et me suis passionné pour l’histoire de la peinture, l’iconographie, l’évolution de l’architecture. Je n’ai jamais cherché à en faire mon métier, c’était par goût personnel ; c’est un bonheur pour moi de m’en servir aujourd’hui.
La CAIA : Comment t’es-tu retrouvé dans le projet de sauvegarde et de reconstruction de Notre-Dame ?
PJ : D’abord, je dois dire qu’après avoir été très épanoui à la DGA, je l’ai quittée en 2013 sans remords car je sentais que c’était pour moi le moment de passer à autre chose. J’ai enseigné les mathématiques quelques années dans un lycée des Yvelines. J’ai été très heureux de pouvoir aider des élèves un peu cabossés par notre système éducatif.
Le 15 avril 2019, quand j’ai appris que Notre Dame brûlait, je me suis précipité à Paris sur les quais de Seine et là, devant la cathédrale encore en flammes, sans sa flèche, j’ai été plongé dans une émotion personnelle et collective intense. Deux jours après, apprenant que le général Georgelin était désigné, je lui ai envoyé un SMS. Je le connaissais, on s’était apprécié dans la codirection du programme 146 « Equipement des forces » lorsqu’il était CEMA et moi directeur des plans, des programmes et du budget de la DGA. Il m’a répondu aussitôt : « Venez, je suis tout seul, venez ». Je n’ai plus beaucoup quitté son bureau durant les mois qui ont suivi. Nous avons tout construit ensemble. Je savais que pour réussir, il fallait des manettes. Et pour moi, avec mon expérience de la DGA, les manettes, c’était disposer du budget et passer les contrats. Il fallait être maître d’ouvrage et donc créer un établissement public dédié.
Avec le plein soutien du président de la République, nous l’avons inclus dans le projet de loi Notre-Dame en juin 2019 et il a fonctionné en décembre, en quelques mois à peine.
La CAIA : en quoi ton expérience à la DGA a-t-elle été utile dans cette fonction nouvelle ?
PJ : La DGA m’a appris quatre choses particulièrement utiles.
1/ D’abord, la fonction de maître d’ouvrage, le fameux triptyque « contenu - délai - coût », dont je rebattais les oreilles des directeurs de programmes lors des comités de devis. Comment être capable de s’engager sur des choses qu’on va faire ?
2/ Ensuite, la gouvernance lorsque j’ai été entre 2001 et 2006 au Service des Affaires Industrielles en lien étroit avec l’APE, l’Agence des Participations de l’Etat. Dans une période très mouvementée, avec le changement de statut de DCN, la fusion de Sagem et Snecma en Safran et d’autres dossiers lourds, j’ai compris comment était gouvernée et dirigée une entreprise avec ses conseils et comités, son budget, son contrôle… Cela m’a été extraordinairement précieux pour créer l’établissement public en lien avec les différentes tutelles. Nous fonctionnons de la même manière. Et cette période m’a rendu familier des RIM (réunions interministérielles) présidées par Matignon. Le lendemain de mon arrivée auprès du général Georgelin, j’ai participé à une RIM pour examiner l’esquisse du projet de loi Notre-Dame. Je me suis senti comme un skieur qui rechausse ses skis après quelques années de pause. Cela revient finalement assez vite !
Une incroyable densité d’échafaudages pour consolider et restaurer
3/ La programmation était au cœur de ma fonction de directeur des plans, programmes et budget de 2006 à 2011. L’établissement public « Rebâtir Notre-Dame de Paris » reçoit les dons de la souscription nationale instituée en 2019, soit environ 850 millions d’euros. Nous avons établi le budget de restauration de la cathédrale, soit sept cents millions d’euros, 150 de mise en sécurité du monument de 2019 à 2021 et 550 de restauration proprement dite. Comparé à un programme d’armement, ce sont des sommes moyennes, mais pour une restauration de monument historique, c’est un très gros budget. J’étais familier de ce type de chiffres et j’ai pu mettre en place les moyens de maîtriser une opération de cette envergure.
4/ La direction générale d’une entité, en toute confiance avec le numéro un, que j’avais vécue en tant qu’adjoint du Délégué général pour l’armement Laurent Collet-Billon entre 2011 et 2013. J’ai pleinement vécu cela à nouveau aux côtés du général Georgelin.
Je suis très reconnaissant à la DGA de m’avoir permis de vivre ces missions passionnantes qui, de manière la plus inattendue, se sont trouvées utiles et mobilisées dans le projet Notre-Dame.
Une architecture et des vitraux bientôt ré-ouverts au public et au culte
La CAIA : Tu as été le plus proche collaborateur de Jean-Louis Georgelin durant quatre ans. Que voudrais-tu en dire ?
PJ : J’en ai dit quelques mots lors de la messe de funérailles aux Invalides. C’était une personnalité hors du commun, une figure d’autorité qui dérangeait, voire « terrorisait » certains. Lorsque j’ai travaillé avec lui à la DGA, j’ai compris que c’était une posture pour secouer ses interlocuteurs et les amener à montrer ce qu’ils valaient. Lui-même savait où il voulait aller, c’était un grand serviteur de l’État, visionnaire, d’une honnêteté parfaite, fondamentalement bon. C’est sans doute pour cela que l’on s’est revus ensuite. Dans le projet Notre-Dame, il incarnait l’autorité et a rendu crédibles la mission et l’objectif dont beaucoup doutaient au départ. Nous avons échangé en toute confiance et loyauté sur tous les sujets. Il était pleinement impliqué et avait des relations directes avec qui il voulait au plus haut niveau de l’Etat. C’était vital car, dans notre mission, nous avions des alliés mais également, au début, des personnes hostiles ou des sceptiques.
La CAIA : Que souhaiterais-tu partager à nos camarades ?
PJ : Je voudrais dire deux choses. La DGA est une entité dans l’État qui offre des postes exceptionnels et très variés à ses cadres et elle fonctionne vraiment bien. Il convient d’en être fier et de contribuer à ce qu’elle conforte ses qualités.
En tant qu’individu, il ne faut cependant pas en être captif. La DGA n’est pas seule au monde. Soyez ouverts, intéressez-vous à ce qui existe ailleurs, sans œillères, et si c’est le moment, n’hésitez pas à la quitter.
Beaucoup ont trouvé incompréhensible que je quitte la DGA pour aller « nulle part ». Pour moi, ce qui a toujours été premier, c’est le sens et, pour moi, le sens, je le trouve dans le service de l’État, de la DGA à Notre-Dame en passant par l’enseignement. Et puis il faut aimer ce qu’on fait, et changer s’il le faut. On n’a qu’une vie !
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