INTERVIEW DE MONIQUE LEGRAND-LARROCHE
A l’occasion de sa prise de poste à l’inspection générale des armées – armement, nous interviewons l’ingénieure générale de classe exceptionnelle de l’armement Monique Legrand-Larroche. C’est l’occasion de revenir sur son parcours, et sur sa vision de la DGA et du corps des ingénieurs de l’armement.
La CAIA : Quel est l’enjeu de votre poste à l’inspection générale des armées - armement ?
Monique Legrand-Larroche : L’enjeu du poste est double. Le poste est d’abord tourné vers le Ministre puisque les inspecteurs généraux des armées mènent les études et les missions que le Ministre leur confie. Nous travaillons souvent à plusieurs, avec des rapports cosignés. C’est l’occasion de croiser les regards, c’est très intéressant. Mais le poste est aussi tourné vers l’entité d’origine de l’inspecteur, en l’occurrence la DGA. Chaque armée cultive un lien singulier avec son inspecteur général, nous n’exerçons donc pas tous de la même manière notre mission. Mais dans tous les cas, nous avons été nommés en raison de notre expérience, de notre culture et donc de notre capacité à apporter un regard éclairé sur les sujets. L’inspecteur général des armées – armement joue aussi un rôle visà-vis des deux corps d’ingénieurs militaires de la DGA, les IA et les IETA.
La CAIA : Travaillez-vous parfois avec le contrôle général des armées ?
MLL : Oui, nous travaillons parfois ensemble, mais avec un regard différent. Le contrôle général des armées regarde plus le respect des procédures alors que le collège des inspecteurs généraux des armées apporte un avis métier, et d’éventuelles propositions pour faire autrement.
La CAIA : Comment vivez-vous cette prise de poste au sein de l’inspection générale des armées ? Est-ce un choc culturel ?
MLL : Les relations avec les autres inspecteurs sont très riches, mais comme je viens de la DMAé (direction de la maintenance aéronautique) que j’ai créée en 2018 sous l’impulsion de la Ministre des armées Florence Parly, travailler avec des officiers des Forces n’est pas une nouveauté ni une difficulté. Le choc, c’est plutôt le passage d’un poste opérationnel à un poste d’inspection, marqué par la recherche du consensus et le temps long. Ce constat est globalement partagé par tous les membres du collège, mais comme les inspecteurs généraux des armées - armement restent souvent plus longtemps en poste que leurs collègues des autres corps, l’inscription dans la durée est un marqueur de mon poste qui comporte de multiples facettes.
La CAIA : Après avoir été directrice des opérations à la DGA, vous avez été affectée à l’EMA comme directrice de la maintenance aéronautique, et vous rejoignez désormais ce collège composé d’officiers généraux de six corps différents. Sert-on différemment l’État lorsqu’on a un uniforme Armement ?
MLL : La DGA est essentiellement là pour fournir des systèmes d’armes à d’autres entités, aux armées ; la notion de service y est donc vécue en profondeur. C’est valable pour les civils, qui sont l’essentiel des personnels de la DGA, comme pour les militaires de l’armement.
La CAIA : Vous êtes rentrée à Polytechnique il y a 40 ans. Les raisons pour lesquelles vous êtes rentrée au Ministère sont-elles celles pour lesquelles vous êtes restée ?
MLL : Je suis rentrée pour être au service de l’État, et aussi par goût pour les hélicoptères. La maîtrise d’œuvre m’aurait sûrement aussi intéressée, mais les postes successifs que j’ai occupés ont toujours été intéressants En conséquence, je n’ai jamais éprouvé le besoin de partir.
La CAIA : Pourquoi les hélicoptères ?
MLL : Parce qu’ils volent, parce qu’ils peuvent faire du stationnaire, parce qu’ils peuvent vraiment se déplacer dans toutes les dimensions. Un hélicoptère, c’est plus riche qu’un avion ! Un moyeu rotor, c’est formidable ; la manière de concevoir une pale, c’est incroyable. Tout cela est fascinant pour un ingénieur. Et l’usage qu’en font les armées françaises, en particulier l’aviation légère de l’armée de terre, montre toute sa pertinence face aux menaces de haute intensité comme on le voit en Ukraine. Couplé au renseignement et à l’usage de drones, l’hélicoptère restera une arme extrêmement performante.
La CAIA : Que vous ont apporté ces années de service ?
MLL : Ces années de service ont surtout permis beaucoup de rencontres humaines, à la DGA, dans les armées et dans l’industrie.
La CAIA : Et plus récemment, avec l’autorité politique ?
MLL : Oui. Je suis très républicaine, il me semble tout à fait naturel de devoir rendre des comptes et suivre les orientations des autorités politiques. Par ailleurs, le ministère des Armées n’est pas très marqué par la chose politique ; les grandes orientations font consensus parmi les partis politiques.
La CAIA : Avez-vous vécu les mêmes enjeux, comme directrice des opérations et comme directrice de la maintenance aéronautique ?
MLL : Quand j’étais directrice des opérations, les relations avec les états-majors étaient fluides. Les rôles de chacun sont clairs, chacun défend sa position, les règles sont posées. En tant que DMAé, il y avait une réforme profonde à mener, une réforme peu consensuelle, une nouvelle structure à créer et il fallait transformer profondément des modes de fonctionnement établis. C’était une mission passionnante et forcément plus complexe car il a fallu convaincre les armées du bienfait dans le temps des actions que nous mettions en œuvre. La spécificité du maintien en condition opérationnelle, c’est que les actions menées ont un résultat rapide, beaucoup plus que dans les programmes où c’est souvent votre successeur qui voit le résultat de votre action.
Par ailleurs, j’ai toujours eu un goût pour les programmes d’armement : on crée quelque chose, on apporte quelque chose de nouveau aux Forces et on travaille en équipe. Directrice de programme, directrice d’unité de management, directrice des opérations, c’est un peu le même métier : on transforme un besoin militaire papier en produit réel utile aux Forces.
La CAIA : Ce métier a-t-il changé ces vingt dernières années ?
MLL : Il y a vingt ans, un directeur de programme avait une grande marge de manœuvre, surtout sur les programmes de taille moyenne, vers lesquels je me suis dirigée. La contrepartie, c’est qu’il faut aimer prendre des responsabilités. Cette capacité à prendre du risque ne s’apprend pas, mais elle peut se perdre. C’est à la hiérarchie de l’entretenir. Aujourd’hui, il y a davantage de règles et de contrôle avec une potentielle dilution des responsabilités et des prises de décisions.
La CAIA : Qu’est-ce qui fait un bon ingénieur de l’armement ?
MLL : Il faut qu’il ait un bon socle de compétences techniques, qu’il soit imaginatif, créatif et travailleur. Il faut qu’il ait le sens de l’État, et un intérêt pour la technique. Il faut qu’il ose prendre des risques, et qu’il s’amuse, qu’il prenne du plaisir. Lorsqu’on est ingénieur de l’armement, on doit aimer la technologie, être intéressé par ce qu’est un char, un bateau, un sous-marin, un avion, ou un système d’information.
La CAIA : Vous avez dit travailleur ?
MLL : Oui. Aujourd’hui, quand on vient dans l’armement, il faut savoir qu’on aura une certaine charge de travail si on veut tenir des postes à responsabilité. On peut ensuite s’organiser pour avoir un équilibre de vie satisfaisant. J’ai quatre enfants, c’est possible d’en profiter tout en menant une vie professionnelle à la DGA.
La CAIA : Aujourd’hui, la DGA est-elle organisée pour tirer le meilleur parti des gens qui y rentrent ? Les statuts sont-ils satisfaisants ?
MLL : Cela va au-delà des statuts et de l’organisation, c’est une question d’état d’esprit. Les gens ne sont pas tous les mêmes, chacun a ses appétences. Il faut de la souplesse dans la gestion des parcours individuels. Et le statut militaire n’est pas un problème : les passages de grades correspondent globalement à une prise de compétence, à une maturation technique.
La CAIA : Que feriez-vous dans une autre vie ?
Monique Legrand-Larroche : Du tennis !
Propos recueillis par Augustin Girard
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