L’ARABIE SAOUDITE, OU LA RÉVOLUTION SILENCIEUSE DANS UN EMPIRE DU MILIEU
Il ne faut jamais dire «source, je ne boirai jamais de ton eau». Lors d’une première expérience professionnelle dans un pays du Golfe, la description qu’on m’avait faite de l’Arabie saoudite était tellement négative que je m’étais promis de n’y jamais mettre les pieds. Les hasards de la vie en ont décidé autrement. Mais quand mon épouse a annoncé à ses collègues de travail qu’elle s’expatriait dans le Royaume, elle a commencé à s’inquiéter en entendant leurs réactions: «ton mari va partir tout seul?», «vous allez divorcer?».
FOCUS SUR ... L’ARABIE SAOUDITE Dans ce numéro consacré aux exportations dans le naval, nous avons souhaité souligner par quelques articles la récente visite du Prince Salman à Paris, où il a rencontré les dirigeants de notre pays et signé plusieurs accords économiques. Cette visite faisait suite à la visite d’Etat du Président Français en Arabie Saoudite en décembre 2013. L’Arabie Saoudite est le principal fournisseur de pétrole en France, et couvre près de 15% de nos besoins pour environ 6 Md€. De son côté, la France est le 8ème fournisseur du Royaume, pour un montant en 2013 de 3,4 Md€. 4000 entreprises françaises sont en relation commerciale avec l’Arabie Saoudite dans les secteurs principaux de l’aéronautique et du spatial, des produits pharmaceutiques, des tubes et tuyaux, des volailles, des céréales. De grands contrats emblématiques structurent les relations entre les deux pays. Citons par exemple le Métro de Riyad avec Systra et Alstom, l’unité de dessalement du complexe pétrochimique de Sadara confiée à Sidem, le satellite Arabsat 6B avec Thales Alenia Space et Arianespace, pour les projets civils en cours. Ce partenariat de longue date a également un volet dans la défense, et donne aux ingénieurs de l’armement une connaissance privilégiée et appréciée du monde Saoudien. En voici quelques éclairages...
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Ces deux exemples personnels illustrent à quel point l’écart entre l’image dans les média, français notamment, et la réalité, est grand, pour ne pas dire abyssal, quand on s’intéresse à l’Arabie saoudite.
Après deux ans et demi dans ce pays, je ne pense pourtant pas être atteint du syndrome de Stockholm: non tout n’est pas rose en Arabie, oui la peine de mort existe (mais non, on ne lapide plus !), oui les femmes doivent porter l’abaya (une sorte de grand manteau noir) et c’est le dernier pays au monde ou elles n’ont pas le droit de conduire, oui les loisirs culturels sont quasi-inexistants en-dehors des ambassades et les fans d’opéra ont intérêt à apporter avec eux leur stock de DVD ou à souscrire un abonnement à Classica.
Mais décidément non, ce n’est pas l’enfer sur Terre !
Pour tenter de lever le voile sur ce qu’est réellement ce pays, je me risquerai à un parallèle qui peut paraître étrange mais qui est, je pense, éclairant : celui avec la Chine ! Pas seulement parce que j’ai passé cinq ans à Pékin mais parce qu’on retrouve en Arabie des traits caractéristiques de l’empire du milieu. Ces deux pays se considèrent comme au centre d’un monde : asiatique pour la Chine, arabo-musulman pour l’Arabie. Cette dernière est en effet incontournable en tant que gardienne des deux lieux saints de l’Islam, auquel s’ajoute son rôle de stabilisateur de l’économie mondiale en tant que banque centrale du pétrole, membre de l’OMC et seul pays arabe au sein du G20. Contrairement à certains autres pays, elle n’a donc pas besoin de communiquer pour exister sur la scène inter- nationale et compenser un territoire exigu ou préparer l’après-pétrole. Dans un monde régi par la communication, cet attachement des Saoudiens à la plus grande discrétion est évidemment un handicap.
La conséquence ? Pas plus que le Chine, le royaume n’a l’intention de se laisser dicter ses choix, et en particulier le rythme de ses réformes, par l’extérieur
Ce sentiment est d’autant plus fort que le centre du pays, d’où sont originaires de nombreuses grandes familles dont les Al Saoud, n’a jamais subi d’influence étrangère. C’est ainsi que les autorités financières du Royaume, moquées avant 2008 pour leur gestion de bon père de famille, se félicitent aujourd’hui de n’avoir pas cédé aux sirènes des produits innovants aux rendements aussi mirifiques que toxiques : cela a permis au Royaume de traverser la crise de 2008 sans presque s’en apercevoir. La réalité de ce royaume est beaucoup plus complexe que la caricature simpliste que l’on aime à en faire. Ce dossier a pris le parti de vous faire découvrir la face cachée de l’Arabie saoudite, vous en connaissez déjà par cœur la face visible toujours présentée comme sombre !
Nos amis anglo-saxons disent parfois que « la France est un merveilleux pays, dommage qu’il y ait des Français ». Je me risquerais à une formule inversée pour le Royaume : l’Arabie est un pays qui peut paraître relativement difficile pour un expatrié, heureusement il y a les Saoudiens ! La chaleur de leur accueil, héritée de la tradition bédouine encore très vivante, et certaines de leurs traditions (avez-vous déjà vu en France le personnel s’installer à la table du maître de maison à la fin d’un repas pour profiter du buffet ?) font dire à beaucoup d’expatriés que l’on pleure deux fois en Arabie : quand on arrive et quand on repart.
Personne ne sait ce que sera ce pays dans quinze ou vingt ans, et je ne me risquerai pas à faire des pronostics tant la réalité de ce pays et de la société saoudienne est complexe à saisir pour un occidental. La « révolution sous le voile » que décrit Clarence Rodriguez, journaliste française installée à Riyad, dans son récent ouvrage montre que les femmes saoudiennes détiennent sans doute une partie des clés de l’avenir du Royaume.
« On pleure deux fois en Arabie : quand on arrive et quand on repart. »
Mais je suis en revanche certain d’une chose : les Français peuvent – doivent – profiter de la conjonction unique de trois facteurs :
1 - le contexte du printemps arabe, qui pousse le pouvoir saoudien à investir tous azimuts pour le bien-être de sa population (transports, énergie, infrastructures, santé, éducation, agriculture, etc.) ;
2 - le prix élevé du baril qui lui permet de financer tous ces projets qui correspondent en grande majorité aux domaines d’excellence de l’économie française ;
3 - la très bonne image dont nous bénéficions, comme partout dans le monde d’ailleurs, mais aussi l’excellente relation politique renforcée par une convergence de vues sur les enjeux géostratégiques régionaux.
Les Saoudiens sont prêts à nous donner la priorité, à prix et qualité équivalents bien sûr. Elle est bien finie l’époque où l’on pouvait espérer remporter un contrat grâce à la seule impulsion du politique. A nous de convaincre nos amis saoudiens de l’excellence de nos technologies, tout en restant à l’écoute de leurs besoins, car plus encore ici qu’ailleurs, le client est roi et le roi est le client ! A nous de consacrer le temps nécessaire à l’établissement de relations de confiance, condition sine qua non pour faire des affaires sur un marché saoudien devenu ultra compétitif. Et in fine, à nous de décider si vous privilégions le confort d’une mission ou d’une expatriation (ah oui …comme on aimerait pouvoir déguster un petit verre de rosé bien frais sur la terrasse ensoleillée d’un café...) ou le business et nos intérêts économiques !
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