L'OTAN : Je t'aime, moi non plus !
L'alliance atlantique et son organisation politico-militaire en question
L’OTAN est-elle fille aînée mal aimée de la stratégie de défense ? en France, on s’acquitte a minima de ses engagements à son égard tout en espérant que la défense européenne, sa benjamine, acquerra plus de vigueur, et pour certains permettra à son ainée un départ en retraite mérité. Depuis 1989, la question de son adaptation est un serpent de mer. L’auteur, ni diplomate, ni tout à fait militaire donne ici une vision personnelle : erreurs et approximations sont de son fait !
Dans l’entourage d’un des généraux du « quarteron » d’Alger, on avait l’habitude de dire que « la Méditerranée traverse la France comme la Seine traverse Paris », formule improbable mais qui pour son auteur signifiait « pour toujours » ! Quand le 4 avril 1949, douze états signent le traité de l’Atlantique Nord et créent son organisation politico-militaire, l’OTAN, l’Océan Atlantique « traverse » l’Alliance avec le même niveau de certitude, voire de foi, des pays membres. Cette foi est à peine ébranlée lorsque la France - partiellement schismatique - quitte en 1966 le commandement militaire intégré et refoule bases et siège hors de ses frontières. Mais elle se renforce lorsque les pays du centre et de l’est européens, nouveaux et exigeants convertis, adhèrent au Traité de Washington, et que la France, finalement, abjure et rejoint l’organisation militaire en 2009, par pragmatisme. L’OTAN aura donc paradoxalement vu une croissance rapide alors que son ennemi principal, le pacte de Varsovie, s’auto dissolvait.
La solidarité politique de 1949 paraît indestructible. Disons-le plus franchement : la conviction que le partenaire américain assurera quoiqu’il arrive la protection de la zone euro-atlantique est très ferme. Les considérations de cuisine administrative ou financière viendront plus tard. Paradoxalement, la seule invocation de l’article V touchant à la sécurité collective aura lieu en faveur des USA en 2001 après l’attentat du World Trade Center. Politiquement cet événement ne fait que renforcer la certitude quasi dogmatique de l’immortalité de l’Alliance ! C’est l’adaptation de l’Organisation à des missions liées à la lutte antiterroriste, hors de sa zone traditionnelle, qui en sera la conséquence.
La disparition de l’URSS avait amené des doutes, dissipés par la remontée en puissance de la Russie. Les nouveaux membres de l’Alliance la ressentent intensément comme un voisin difficile voire un ennemi, même s’ils jouent le jeu de la tentative de partenariat qui avorte avec la crise Criméo-Ukrainienne en 2014. C’est l’adaptation de l’organisation militaire et le renforcement à l’Est qui sont la conséquence de cette crise.
L’omniprésence native de la question soviétique avait fait passer au second plan la question des valeurs. « L’OTAN s'efforce d'assurer une paix durable en Europe, fondée sur les valeurs communes que sont la liberté individuelle, la démocratie, les droits de l'homme et l’état de droit ». Certes, et les conditions mises à la candidature de nouveaux membres sont solides à cet égard. Mais un silence pudique a été observé sur les atteintes (avérées ou risquées) à ces valeurs par les pays membres eux-mêmes. Les interrogations suscitées par le comportement de la Turquie en sont un bon exemple. A contrario de l’Union Européenne, l’Alliance ne sait pas ou ne veut pas débattre de ces questions au risque d’endommager la solidité politique et militaire.
Le partage juste des dépenses de défense se pose avec acuité depuis le changement du contexte stratégique : non pas celles des dépenses de l’organisation, modérées et fixées par des clés de répartition en général respectées ; mais celles beaucoup plus importantes liées à l’effort de défense de chaque pays visible sur les champs de batailles (les fameux 2% du PIB a minima). C’est là que le bât blesse beaucoup, comme se plait à dire le président Trump avec son comportement (calculé ?) d’éléphant dans un magasin de porcelaine, mais assez justement finalement. Que ce soit dans un cadre OTAN ou européen, la question de la justesse du partage de l’effort de défense ne peut plus être éludée.
Enfin l’existence du processus de décision par consensus unanime est à la fois un handicap par sa lenteur et une chance par sa solidité. C’est la clé de voute du « tous pour un et un pour tous » où le plus petit ne se sent- en principe - jamais lésé.
La France, seule puissance nucléaire vraiment souveraine de l’Alliance avec les Etats-Unis, une des rares à disposer d’un outil militaire au spectre large, mais un peu isolée dans son ambition européenne, a pris des positions souvent difficiles à aligner pour un observateur peu attentif. Elle a été à la fois inébranlable vis-à-vis de la solidarité politique au sein de l’OTAN, solide lors des engagements militaires décidés, plus exemplaire que d’autres budgétairement, mais tatillonne et ambigüe vis-à-vis de toute évolution risquant d’étendre les missions de l’Organisation, ou de nuire au renforcement espéré de la politique de défense européenne. Sa position de donneur de leçons d’Europe aux nouveaux venus a braqué certains de nos partenaires sans entraîner d’effets positifs ni en matière de politique européenne de défense ni sur l’ampleur de leurs efforts. Dans chaque décision instruite par le Conseil de l’Atlantique Nord, la France était souvent injustement soupçonnée de vouloir introduire le ver européen dans le fruit de l’Alliance.
Et pourtant les bouleversements actuels comme l’évolution - personne ne veut envisager un désengagement - des Etats-Unis vue comme un vrai doute sur la stabilité du « dogme atlantique », l’attitude de la Turquie, la prégnance du fait terroriste à l’extérieur et à l’intérieur des frontières, ou l’évolution de la Russie à la fois menace et partenaire potentiel, semblent donner raison à l’ambition européenne de la France en matière de défense et être une opportunité à saisir pour la développer.
Il sera cependant difficile d’obtenir un consensus sans s’appuyer sur des atouts de l’OTAN :
- Un processus éprouvé de consultation et de décision politique et militaire : le Conseil de l’Atlantique Nord est le seul lieu où peuvent se traiter les questions de sécurité euro atlantique à vrai enjeu militaire,
- 70 ans de processus de planification de défense - hors nucléaire -, de préparation et d’engagement des opérations multinationales, de construction de systèmes d’information et de commandement et de l’interopérabilité opérationnelle et technique.
Idéalement, l’état de « mort cérébrale » de l’Organisation mentionnée par le Président de la République ne pourra être réversible si le fait majeur de l’existence et de la consolidation de l’Union Européenne, notamment en matière de défense, n’est pas reconnu dans les principes et processus de l’OTAN, voire dans certaines structures.
A minima la consultation des alliés européens entre eux et l’élaboration de positions communes devrait pouvoir s’envisager dans un certain périmètre, en amont du NAC. De même, l’utilisation par l’UE de moyens OTAN financés en commun devrait pouvoir être envisagée selon des règles prédictibles.
Le processus capacitaire de défense au profit de l’UE devrait pouvoir s’organiser - au moyen d’accords de coopération stables et/ou de certaines modifications statutaires - autour de l’AED comme agence des capacités de défense avec :
- Pour les programmes conventionnels, une agence d’acquisition : l’OCCAR et une agence de soutien et d’acquisitions courantes ou sur étagères, la NSPA[1],
- Et pour les systèmes d’information, de communication et de commandement une agence d’acquisition et de soutien, la NCIA.
Au sein de la NSPA et de la NCIA, deux agences OTAN majeures, existe déjà la possibilité pour les pays participant à un programme de s’entendre selon leurs règles pour la spécification et la stratégie d’acquisition et de soutien, sans interférence des non participants, comme les USA par exemple. Par ailleurs il n’existe pas de duplication, mais une vraie complémentarité entre ces agences et les agences de l’UE ou l’OCCAR.
Le processus de décision par consensus et les arrière-pensées de certains Etats rendent ces évolutions problématiques mais si le prix à payer était la désagrégation ou les duplications à outrance, ce serait déjà une incitation suffisante pour essayer.
[1] La NSPA est déjà par exemple l’organisme désigné pour l’acquisition et le soutien d’une capacité de ravitaillement en vol définie par l’AED au profit de plusieurs pays européens.
Patrick Auroy, IGA,
Après une carrière consacrée aux Essais en Vol, aux programmes, à la préparation du futur, Patrick Auroy a été directeur de la Stratégie puis Directeur Général Adjoint de la DGA. De 2010 à 2016 il est Secrétaire Général Adjoint de l’OTAN en charge des Investissements de Défense. Il exerce depuis lors des fonctions de conseil à titre individuel.
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