Le domaine terrestre : le dernier espace à conquérir ?
La question peut paraître saugrenue ou provocatrice et pourtant... Pour avoir occupé divers postes en lien avec l’ensemble des milieux (aéronautique, naval, C4I) je peux témoigner du caractère particulièrement exigeant et stimulant que représente le domaine de l’armement terrestre. En faisant simple, tous les équipements des forces terrestres sont actuellement en cours de renouvellement ou de rénovation : les matériels qui datent pour la plupart des années 70 et 80 s’essoufflent et sont à renouveler afin d’être à la hauteur des menaces futures.
Ce mouvement ouvre des perspectives insoupçonnées il y a encore quelques années : munitions intelligentes, systèmes collaboratifs, infovalorisation de l’espace de bataille, armes laser…, ne sont plus des concepts flous et futuristes, ils sont déjà en cours de réalisation. Comme l’illustrent les articles de ce numéro, les innovations technologiques laissent entrevoir de nouvelles performances intrinsèques mais aussi une plus grande interaction entre les composantes de l’espace terrestre, une préparation opérationnelle high tech ou encore une nouvelle approche de la maintenance.
Certains considèrent encore que le domaine terrestre n’a rien de révolutionnaire, qu’il traite de matériels classiques (un volant, des roues, un canon…), que le combat terrestre demeure une affaire de blindage et de calibre et que la technologie de pointe restera tirée par le spatial et l’aéronautique. On pourra leur faire remarquer que tout combat finit à terre et qu’il est temps que le domaine terrestre bénéficie des meilleures avancées technologiques en élargissant les capacités opérationnelles. Plus qu’une ambition, c’est une obligation dans le contexte de recrudescence des menaces et de restrictions budgétaires. On ne renouvellera pas les anciens équipements nombre pour nombre et il faudra bien assurer une adaptation de nos capacités de défense aux conflits de demain.
« tout combat finit à terre »
Les défis à relever dans le milieu terrestre sont nombreux : l’environnement présente une diversité impressionnante, allant des théâtres opérationnels aux conditions climatiques hors normes jusqu’à l’intervention en zone urbaine au plus près des populations. Les menaces à traiter sont évolutives, asymétriques, multiformes. La connaissance des modes opératoires de l’adversaire, l’accélération de la manœuvre et la nécessité de préserver le potentiel le plus possible imposent des exigences très fortes sur les systèmes terrestres : il faut aller vite, loin, être très mobile tout étant fortement protégé, mener des frappes de précision, entretenir la tenue de situation amis/ennemis en temps réel pour coordonner les effets. Tout cela doit se faire dans une logique de maîtrise des coûts mais aussi de respect des normes environnementales. La protection des camps et des convois, la gestion temps réel de la disponibilité des parcs, l’optimisation de l’énergie embarquée sont aussi des défis à relever.
L’approche SCORPION déjà évoquée dans des numéros précédents mérite d’être approfondie car elle est exemplaire de par sa cohérence. Conçu comme un véritable système de systèmes dont la DGA assure la maîtrise d’œuvre globale, SCORPION structure les besoins du combat de demain et sert de catalyseur pour l’innovation technologique. Bientôt, de nouvelles composantes seront intégrées telles que les armes à létalité réduite, les robots, les drones pour démultiplier l’efficacité au combat. En parallèle toutes les composantes contribuant à l’action terrestre passeront au standard SCORPION avec partage d’informations temps réel. Cela ne sera possible qu’en équipant l’ensemble des composantes de l’espace de bataille de systèmes d’information et de communication performants. Cela concernera tous les échelons du poste de commandement au fantassin débarqué.
Au bilan, le champ à explorer est immense et les solutions envisagées pour répondre au besoin ne peuvent se concevoir qu’en innovant. Il s’agit autant de nouvelles technologies que d’approche programmatique, d’ingénierie système et contractuelle. De nombreuses idées sont à creuser notamment dans la transposition de solutions duales. Nous ne sommes qu’à l’aube d’une refondation complète de la composante terrestre de notre outil de défense.
C’est un projet passionnant qui est porté par la DGA et dont les bénéfices sont tirés dès à présent par les forces opérationnelles. J’espère que les articles de ce magazine susciteront de l’intérêt au-delà de la communauté armement et qu’ils sauront aiguiser votre curiosité pour un domaine en pleine mutation.
François Bouchet, IGA, Directeur de l’unité de management « Opérations d’armement terrestres »
X86-Sup’Aéro, débute dans les missiles tactiques avant de s’orienter vers les radiocommunications. Il prend en 2000 la direction du programme PR4G. Après un poste de sous-directeur technique d’un centre d’essais aéronautique, il pilote le projet de création de l’ISAE. Il devient architecte de systèmes de forces avant de prendre en décembre 2013 la direction de l’unité de management TER, en charge des études et des acquisitions de systèmes terrestres au sein de la DGA.
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