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Le drone ANAFI
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22 juin 2024

LE PHÉNOMÈNE MICRO-DRONE :
COMMENT CONTRER L’INFLUENCE CHINOISE

Publié par Henri Seydoux, PDG de Parrot | N° 132 - MONTÉES EN PUISSANCE

Conflit en Ukraine : des microdrones par millions 

Depuis le début de la « full scale invasion », les micro-drones sont utilisés en Ukraine par centaines, puis par milliers et maintenant par millions. Leur importance a surpris les observateurs.

Dans les premiers jours de l’invasion, des quadrocoptères grand public, parfois opérés par des adolescents appelés à l’aide par les militaires sur place, ont permis de suivre la progression des chars dans les faubourgs de Kiev.

Dans les premiers jours du conflit, les drones R18 fabriqués en Ukraine de l’unité Aerorozvidka ont participé à la défense victorieuse de l’aéroport d’Hostomel en lâchant des munitions sur les positions russes.

Lors de la contre-offensive, couplés au télécoms satellites, aux réseaux 4G, aux applications militaires sur des tablettes, des microdrones avions et quadricoptères ont organisé la transparence du front.

Aujourd’hui, une flotte de milliers de drones vole continuellement sur le front, qui recueille et transmet en temps réel les positions de chaque belligérant.

Les plus spectaculaires sont certainement les drones FPV ou kamikaze. Il s’agit de munitions téléopérées extrêmes agiles et très peu couteuses, utilisées par les Russes comme les Ukrainiens, à plus de 5 km de distance.

Les enjeux actuels auxquels mon entreprise participe consistent à intégrer de l’intelligence artificielle dans les micro-drones, répondre aux enjeux technologiques de la guerre électronique et organiser la fabrication de grandes quantités de micro-drones.


Que sont les micro-drones ? 

Les micro-drones sont un nouvel avatar de la high-tech. Après le PC, l’internet, le smartphone voici le micro-drone, un des premiers représentants original de l’ère robotique dans laquelle nous entrons.

Comme pour ses prédécesseurs, le succès du micro-drone est lié à son adoption par le grand public. Les micro-drones sont déjà utilisés par millions. La course de drones est un loisir et le drone comme caméra vidéo est utilisé en nombre sur YouTube. On recense de multiples usages professionnels comme l’épandage aérien, le transport de colis, la cartographie, la gestion des infrastructures. Les produits sont disponibles, on peut les acheter aisément en magasin et sur internet. Leurs performances sont excellentes.

La banque d’organes pour assembler des micro-drones (moteurs brushless, électronique de commande, hélices, air frames en carbone et batterie) est déjà optimisée pour les drones de toutes dimensions, de 300 g à 25kg.

Ces éléments sont disponibles chez des vendeurs internet, la quasi-totalité est fabriquée en Chine. C’est cette banque d’organes qui est utilisée par les Ukrainiens comme par les Russes pour fabriquer plus d’un million de drones FPV en 2023.

Le point commun des produits hightech est qu’ils incorporent énormément de logiciels. On pourrait définir le micro-drone comme l’engin volant minimal embarquant un maximum de logiciels. Pour les micro-drones, la technologie logicielle est disponible en open source : des autopilotes open source d’excellent niveau permettent de réaliser les micro-drones de tous formats : quadrocoptère, octocoptères, ailes volantes, avion, ADAV (drone Avion à Décollage et Atterrissage Vertical). Ces logiciels open sources sont le « bien commun » de la high tech. Ils ne sont pas spécifiquement chinois (s’ils l’étaient, on peut être certain qu’ils ne seraient pas libre d’accès). L’intelligence artificielle est aussi disponible en open-source.

Les Ukrainiens aujourd’hui assemblent des centaines de milliers de drones en utilisant les composants chinois disponibles sur internet, qu’ils intègrent avec des autopilotes open source pour réaliser les drones les plus efficaces et les moins chers du marché.

Une industrie dominée par l’entreprise chinoise DJI

Le leader mondial de l’industrie du micro-drone est l’entreprise chinoise DJI. Cette entreprise domine l’industrie des micro-drones de manière hégémonique comme c’est désormais classique dans l’industrie de la high tech (comme Google domine la recherche sur internet, ou Apple l’industrie du smartphone). Il s’agit d’une domination laissant très peu d’espace à la compétition.

DJI fabrique le Mavic3 : un microdrone de 900 g qui est une caméra volante de très bon niveau. Des dizaines de variantes avec zoom, caméra thermale, camera proche infrarouge pour l’agriculture sont disponibles. Ce drone est robuste et pourvu d’une excellente liaison de données. Il est le drone principal utilisé jusqu’à aujourd’hui par les forces ukrainiennes comme russes pour la reconnaissance à courte distance. DJI fabrique aussi des drones jusqu’à 25 kg, utilisés pour l’épandage agricole. Ces drones sont modifiés en Ukraine pour transporter et larguer des charges militaires.

DJI est une entreprise dont les comptes et l’actionnariat sont extrêmement opaques.

En 2018, forte de son succès international, l’entreprise s’était préparée à une introduction en bourse projetant de faire entrer des investisseurs en capital-risque, ce qui l’aurait obligé à plus de transparence. Dans les mois suivants, de rocambolesques allégations de malversations internes et des pertes importantes ont repoussé tout projet d’introduction en bourse. Depuis, aucune information sur les résultats de l’entreprise n’est publié. Ni le chiffre d’affaires ni le montant des pertes ni celui des investissements ne sont rendus public. Il est aussi aujourd’hui impossible de connaitre l’actionnariat de l’entreprise. Ce qui est certain, c’est que la société a levé plusieurs centaines de millions de dollars, notamment auprès de New Horizon Capital co-fondé par le fils de l’ancien premier ministre Chinois Wen Jiabao de SDIC Unity Capital, propriété de la State Development & Investment Corporation, et de China Chengtong Holdings Group, propriété de la Commission de surveillance et d’administration des actifs publics du Conseil d’État.

Cela confirme que, depuis ses débuts, cette entreprise est intimement liée au pouvoir politique chinois(1).

Drones chinois : des pratiques commerciales douteuses et dangereuses

De nombreux observateurs doutent que DJI respecte le RGPD, la réglementation « double usage » (dual use) ou encore les bonnes pratiques en matière de cybersécurité.

En matière de RGPD (règles européennes de protection des données personnelles), DJI a toujours nié collecter des informations. Cependant, en juillet 2020 le New York Times publie un article très documenté sur un drone produit par DJI qui collecte à l’insu de l’utilisateur de grandes quantités de données(2) .

Les applications mises en ligne par DJI, les codes informatiques de leurs drones et de leurs contrôleurs sont obfusqués, c’est-à-dire qu’ils sont délibérément conçus pour ne pas pouvoir être compris par les spécialités en cybersécurité. Le code DJI ne cesse de se déplacer en mémoire, il est chiffré, des parties de codes sont exécutées temporairement et ensuite effacées des mémoires de manière qu’il soit impossible à un tiers de confiance de décrire l’activité du code informatique. Pourquoi de telles mesures, si ce n’est pour cacher des activités malveillantes ? Au titre de ces activités, on peut citer la surveillance à distance de l’heure et de la position du point de décollage, la position du drone durant le vol, la position du pilote.

Officiellement, DJI déclare ne pas vouloir vendre de drones dans des zones de conflit. L’entreprise ne devrait donc en livrer ni à l’Ukraine ni à la Russie. Cependant, il est de notoriété publique que les drones utilisés par les Ukrainiens sont achetés auprès d’importateurs européens (allemands, polonais, français) qui déclarent ces dernières années des profits records, alors que le marché grand public du drone à tendance à stagner.

Les drones DJI expédiés en Ukraine sont importés comme de simples drones de loisir, alors qu’ils devraient, a minima, être classés au titre de la réglementation « double usage » (dual use). Au titre de cette réglementation, les exportateurs/importateurs doivent vérifier l’utilisation finale du produit ainsi que l’identité de l’utilisateur final. Des autorisations spécifiques doivent donc être obtenues auprès des autorités concernées et, à ce titre, les entreprises importatrices de drones DJI qui les réexportent ensuite en Ukraine sans avoir obtenu ces autorisations contournent sans vergogne la réglementation.

Le programme « Blue UAS » : l’exemple américain

Conscient des failles patentes de cybersécurité que représente l’usage des drones chinois aux États-Unis, l’administration américaine a réagi de deux manières. D’abord en interdisant progressivement puis totalement l’usage des drones chinois par les agences gouvernementales. Cette mesure vise non seulement les forces armées mais également les douanes (Customs & Border Protection), Coast Guard, FBI, US corp of engineers, etc. Cette interdiction prise au niveau fédéral s’étend maintenant état par état aux forces de polices, pompiers et autres activités liées à la sécurité. En parallèle, le gouvernement américain a cherché à favoriser le développement d’une industrie « non chinoise » des micro-drones.

Le programme américain Blue UAS

Initié par le DoD et la Defense Innovation Unit (DIU) en aout 2020, il vise à développer et promouvoir des drones de fabrication américaine qui répondent à des normes strictes de sécurité, de sûreté et de performance et notamment :

• Sécurité et Sûreté : des standards élevés de cybersécurité et de protection des données, garantissant qu’ils ne présentent pas de risques pour la sécurité nationale,

• Interopérabilité : compatibles avec les systèmes et les technologies du DoD, facilitant leur intégration dans les opérations militaires et les missions de défense,

• Performance : des performance élevées en termes de durée de vol, de charge utile, de résistance aux conditions environnementales, etc.

• Fabrication Américaine : réduisant ainsi la dépendance aux technologies étrangères et renforçant l’industrie nationale,

• Certification et Validation : des processus rigoureux de certification et de validation.

Parrot fait partie des 14 entreprises retenues dans le programme avec sa filiale Parrot Anafi USA.

Le programme « Blue UAS » a été mené par l’agence gouvernementale DIU (Defense Innovation Unit). Doté d’un budget de 100M$ environ, ce projet avait pour but d’identifier des fabricants « de confiance ». Ce programme a débuté par une compétition ouverte à laquelle mon entreprise (Parrot) a participé. Nous avons été retenus (seule entreprise de drones non-américaine) et nous avons adapté à l’usage des forces armées US notre drones grand public « Anafi 4K ». Le résultat du développement a été « Anafi USA » qui est maintenant vendu à plus de 20 pays de l’Otan : la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Suède, la Finlande, le Japon sont équipés.

Une proposition pour l’Europe et la France

L’industrie des micro-drones va continuer dans les prochaines années à se développer à grande vitesse. « The winner takes it all », c’est une caractéristique des industries high tech : l’internet, les smartphones, les voitures électriques, les drones. Tous les nouveaux produits se sont développés à vitesse maximale. Il est nécessaire pour les industriels européens fabriquant des drones de se développer très rapidement. Entre le rouleau compresseur chinois et l’habileté américaine, il ne faut pas perdre de temps. Les autorités européennes doivent impérativement favoriser cette vitesse d’exécution. Le programme que je propose ne demande pas de nouveaux investissements programmatiques. Il demande de l’engagement.

« LES AUTORITÉS EUROPÉENNES DOIVENT IMPÉRATIVEMENT FAVORISER CETTE VITESSE D’EXÉCUTION »

Ce programme s’articule autour de 6 axes :

1. Faire respecter les règlementations existantes : 

Faire appliquer les règlementations existantes aux fabricants chinois est une priorité. La réglementation sur la protection des données des utilisateurs (RGPD) n’est visiblement pas respectée par DJI. Saisir les autorités européennes pour faire appliquer la réglementation des biens à double usage et les obligations en matière de cybersécurité par les importateurs. Ces derniers sont aussi responsables que les fabricants de drones chinois.

2. Développer la cybersécurité :

Développer le programme « Drone de confiance » au niveau européen, comme il est prévu par la loi de programmation militaire française. Interdire pour les activités sensibles tout usage de drones chinois qui n’accepte pas un audit de cybersécurité de leurs codes informatiques. 

3. Acheter des drones sur étagères :

En France et en Europe les entreprises startup fabriquant des drones existent et sont de bon niveau. Les programmes d’études à long terme alourdissent leur réactivité. Elles ont besoin de chiffre d’affaires. Il serait beaucoup plus efficace de limiter les budgets d’études et d’augmenter les budgets d’équipements.

4. Renforcer la formation :

Créer des centres de formation, apprendre aux forces à utiliser les drones sous toutes leurs formes : quadrocoptère, avions, VTOL, MTO. Équiper des unités pilotes de nombreux drones. Ouvrir un centre d’entrainement et d’expérimentation de guerre électronique avec du matériel de brouillage du GPS et des liaisons de données accessibles aux forces et aux constructeurs de micros-drones. 

5. Miser sur l’Ukraine :

Favoriser les partenariats en Ukraine. Faire venir les pilotes ayant une expérience en Ukraine dans les écoles militaire pour enseigner. Travailler avec les fabricants ukrainiens pour faire évoluer l’offre européenne. Les doctrines d’emplois, le format des drones, l’infrastructure logicielle se définit en ce moment en Ukraine.

6. Organiser un RETEX en continu : 

Lors du « concours » pour le programme Blue UAS j’ai été admiratif du pragmatisme Américain. Dès le premier jour de présentation du programme nous étions en relation avec des pilotes de drones de l’Army la Navy des Marines. Ceux-ci participaient au projet. Aujourd’hui, la situation sur le terrain évolue à un rythme rapide, Les besoins d’adaptation des usages sont continus. La France doit mettre en place des instances d’échange, en partenariat avec les industriels. En pratique, il faudrait des unités et des sites pilotes de l’armée de terre, de la marine, des forces spéciales qui travaillent, testent, conseillent les développeurs de drones et de logiciels de manière continue.

Ce programme permettra d’optimiser les budgets. Il limitera les budgets d’études à leur juste utilité. Il est particulièrement adapté aux entreprises startup de l’écosystème français. Les startups françaises sont nombreuses, de bon niveau. Elles adhèreront au programme avec enthousiasme. Il faut saisir maintenant l’opportunité de développer les startups en symbiose avec les forces avant que le rouleau compresseur chinois et américain atteigne une dimension telle qu’il deviendra impossible de développer des drones de niveau suffisant.

1. « Drone company DJI obscured ties to Chinese state funding », The Washington Post, 1er février 2022 https://www.washingtonpost.com/national-security/2022/02/01/china-funding-drones-dji-us-regulators/ 

2. « Popular Chinese-Made Drone Is Found to Have Security Weakness », The New York Times, 23 Juillet 2020. https://www.nytimes.com/2020/07/23/us/politics/ dji-drones-security-vulnerability.html 

 

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Henri Seydoux, entrepreneur atypique, self-made man et autodidacte

Henri Seydoux a le sens de l’innovation. Il dessine la plupart de ses produits et supervise personnellement tous les projets ainsi que plus de 200 ingénieurs travaillant dans le département R&D de Parrot.

Henri Seydoux a commencé sa carrière en 1978, en tant que journaliste. C’est lors d’une interview de Roland Moreno, l’inventeur de la carte à puce, qu’il trouve sa voie. À 19 ans, il abandonne le journalisme et entre dans le monde de l’informatique et de la programmation. Il développe des systèmes d’exploitation dans des start-ups et dans sa première entreprise, se spécialise dans l’imagerie 3D, avant de fonder Parrot en 1994 et de concevoir le premier kit mains libres Bluetooth pour les automobiles qui s’est vendu à plus de 40 millions d’exemplaires.

En 2010, Parrot crée l’AR Drone, le tout premier drone grand public et, en 2018, Parrot bouleverse à nouveau l’univers des drones grand public en redéfinissant les standards avec un drone ultra-portable, super-efficace et facile à utiliser : l’ANAFI.

En 2022, Parrot lance une nouvelle révolution avec l’ANAFI Ai, le premier drone robotisé 4G dédié aux missions professionnelles (surveillance, inspection, modélisation 3D). Les drones ANAFI USA sont utilisés dans plus de 50 pays, notamment par l’armée américaine, l’armée britannique, les forces armées suédoises et françaises.
 

Auteur

Henri Seydoux, PDG de Parrot

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