Aujourd’hui, le transfert des stocks vers l’Ukraine, l’utilisation de ces armements par nos armées et la volonté politique des pays européens de se réarmer nécessitent de produire en volume et plus vite, et de développer des produits plus économiques tout en conservant la capacité à répondre aux exigences du haut de spectre. C’est pour les entreprises de la BITD, un changement de paradigme majeur.

Les enjeux de la montée en cadence pour une ETI de rang 2, ne sont pas seulement internes. Acteur de la souveraineté, l’entreprise doit aussi pouvoir compter sur des fournisseurs nationaux solides. En particulier dans cette période dite « d’économie de guerre », des processus rénovés avec ses donneurs d’ordres et le régulateur sont aussi primordiaux pour réduire les cycles et les coûts. Enfin, l’industrie de l’armement reste une industrie du temps long nécessitant des investissements lourds et du MCO. Les décisions d’hier impactent durablement la montée en cadence d’aujourd’hui. Il est donc essentiel de converger avec les maîtres d’œuvres et leurs États clients vers le dimensionnement qui répondra aux besoins long terme de sécurité du « monde d’après » dans lequel nous sommes entrés depuis le 24 février 2022.

Rattraper le temps perdu : investir, recruter & préparer l’avenir 

Comme beaucoup de fournisseurs de rang 2, la société a beaucoup souffert dans les années 1995 2015 de la croyance collective dans les « dividendes de la paix »: baisse des effectifs, très peu de lancements de nouveaux programmes, quasiment pas d’investissements. Dans les années 2015 2020 en revanche, de nombreux développements ont été lancés et la modernisation des sites industriels a été initiée.

Aujourd’hui, Roxel ne peut que se féliciter du très fort soutien de ses actionnaires et des États français et britannique via la DGA et le MoD. Ainsi, nous avons pu concrétiser le lancement de projets de Recherche et Technologie et celui d’un plan d’investissements pour un montant total de plus d’une année de chiffre d’affaires et réparti à quasi-parité entre actionnaires et États.

En mars 2024, nous faisons partie des rares industriels français sélectionnés dans le cadre de l’initiative ASAP lancée par le Commissaire européen Thierry Breton, pour soutenir les investissements de l’industrie de défense de l’Union et sa montée en cadence. C’est un nouvel axe de financement à exploiter qui demande des soutiens officiels.

Le plan d’investissement ainsi financé est indispensable dans un contexte de doublement, a minima, du chiffre d’affaires entre 2022 et 2027.

Pour engager la montée en cadence, plus de 200 personnes ont été recrutées en 2023. Comme chez nos partenaires et concurrents, aujourd’hui 50 % des effectifs ont moins de 5 ans d’ancienneté. Cet afflux de nouvelles compétences (+30%) est une richesse, d’autant que nous avons pu recruter des profils de formations et d’expériences variées. Pour autant, c’est aussi un défi en termes d’intégration, de formation, d’accès à la connaissance capitalisée sur des décennies et de transmission de savoir-faire spécifiques, notamment en matière de pyrotechnie et de matériaux énergétiques. C’est pourquoi, nous avons créé cette année l’École Roxel.

Supply chain : accompagner & donner de la visibilité 

Pour réussir, les fournisseurs doivent être aussi au rendez-vous. Accompagnement et soutien sont nécessaires. Nous avons ainsi fortement renforcé les équipes (achats, qualité, etc.) chargées de la relation fournisseurs. Une petite cellule de Supplier Performance Managers a été créée, pour travailler avec eux sur l’adaptation charge/capacité, leurs plans d’amélioration des flux ou de la qualité, etc. La nouvelle Direction de l’industrie de défense de la DGA renforce également son soutien, entre autres, via l’Accélérateur Défense (DGA/BPI).

Le ministère des Armées a engagé une revisite des politiques de stocks dans la chaîne d’approvisionnement. C’est une bonne première étape ; mais il faudra en complément, trouver le moyen de compléter cette logique de stocks par une logique de flux, à l’instar des pratiques installées il y a 30 ans par Airbus dans le monde de l’aéronautique civile, et par un accord industrie / État sur le dimensionnement cible souhaité pour être capables de soutenir nos forces dans un conflit de haute intensité.

Donner du sens 

La capacité interne et externe est nécessaire, mais la motivation des équipes est primordiale. Elles sont très attachées à leur mission de « moteur de souveraineté », et attisées par l’emploi opérationnel en Ukraine et en mer Rouge. Aujourd’hui, la perception de l’urgence est très forte au sein des équipes. La reconnaissance de l’engagement de chacun est primordiale.

Accélérer & faire évoluer les processus qualité 

Fin 2020 nous avons engagé une transformation en profondeur portant sur la conduite de projet, le management, la qualité, la gestion de la supply chain et la préparation du futur, en nous inspirant des principes des grands donneurs d’ordre de l’aéronautique et de l’automobile.

Parmi ces leviers, tout ce qui touche à la qualité est critique pour la montée en cadence. Notre segment gagnerait à adopter les pratiques d’assurance qualité de l’aéronautique civile, plus pragmatiques et responsabilisantes qui cumulent performances et sécurité aérienne.

La transition d’une culture de la conformité très « administrative » à une qualité construite tout au long du développement est un enjeu majeur en termes de réduction de cycles mais aussi pour éviter de perdre de la capacité à cause d’attentes de décisions.

Investissements, capacités, transformation permettront aux entreprises du secteur d’accomplir leurs missions en supportant la très forte montée en cadence. Les soutiens étatiques démontrent leur confiance et l’importance de notre pérennité. Ils sont une concrétisation très matérielle de la politique industrielle de défense.

Cependant, il convient d’être attentifs aux décisions, cruciales, qui seront prises pour la répartition nationale des activités des nouveaux grands programmes en coopération. Ils sont déterminants car ils tirent l’innovation et la rentabilité. Par exemple, la définition de la part italienne du FC ASW (FMAN FMC) qui remplacera les familles Exocet et SCALP est un vrai risque. Espérons que l’avenir ne sera pas pénalisé par des arbitrages opportunistes... et pourquoi pas qu’un jour une véritable politique industrielle européenne deviendra possible, conduisant potentiellement à une consolidation ou à des partenariats durables dont Roxel serait un acteur clé.

Etienne Galan Etienne Galan, IPA, Président de Roxel Etienne Galan, après l’AIA de Cuers et un court passage à la DSIT, part fin 1996 chez Liebherr Aerospace Toulouse. Fin 2000, il rejoint SNECMA où il a dirigé les entités pièces tournantes, Qualité, Achats, puis Safran en tant que Directeur Qualité et Progrès en 2015. Il a pris la présidence de Roxel en 2020.

Nicolas Martin Nicolas Martin Nicolas Martin a été officier navigant sur Mirage 2000N-ASMP. Après Sciences Po Bordeaux, il est affecté successivement au SGDSN, à la DICOD, et auprès d’un membre du comité stratégique de l’armée de l’air. Civil depuis 2015, il rejoint Roxel en 2023, chargé des relations institutionnelles et de la stratégie.