Les Ingénieurs de l'Armement et le MCO
On n’associe pas spontanément les IA avec les activités de soutien des matériels des forces, le Maintien en Condition Opérationnelle (MCO). Il n’est pas évoqué dans l’exposition virtuelle que la CAIA a réalisée pour le 50e anniversaire du corps. Et pourtant, c’est un domaine essentiel de leur activité depuis l’origine, mais de façon très différente suivant les domaines.
Définition du MCO
Le MCO regroupe la totalité des actions techniques nécessaires pour que les matériels soient utilisables par les armées avec l’ensemble de leurs fonctions opérationnelles. Le MCO ne comprend pas les évolutions techniques majeures visant à introduire des fonctions opérationnelles nouvelles. Mais comme les chantiers correspondants sont généralement réalisés en même temps que des interventions lourdes de soutien en milieu industriel, entretiens majeurs, rénovations à mi-vie, il y a en réalité un couplage fort entre ces deux types d’activités relevant de processus décisionnels différents. Par ailleurs une partie du MCO est directement effectuée par les armées. Il y a donc là aussi un couplage essentiel entre les activités qui sont réalisées en milieu industriel et celles qui relèvent directement des forces.
Le MCO il y a 50 ans
La Marine nationale faisait réaliser l’entretien de la flotte dans les arsenaux dirigés par des ingénieurs militaires. En particulier, les arsenaux outremer, comme Dakar, Diego Suarez ou Papeete avaient pour seule fonction de réparer les navires qui y faisaient escale. Quand l’aéronautique navale est apparue, une sous-direction spécifique de l’arsenal de Toulon a été crée sur l’aérodrome de Cuers-Pierrefeu pour l’entretien industriel des aéronefs. De ce fait, de nombreux IA ont effectué une partie de leur carrière dans ces établissements en travaillant pour le soutien de la Marine. Le Directeur en charge des Constructions Navales avait un double rattachement, DGA pour les constructions neuves et Chef d’État-major de la Marine pour les flottes en service.
L’armée de l’air a eu besoin avant la seconde guerre mondiale d’avoir des réparateurs industriels en France et outremer. Une partie de ces travaux était confiée à des établissements étatiques en compte de commerce, les Ateliers Industriels de l’Air (AIA) dirigés par des ingénieurs militaires rattachés au Directeur en charge des Constructions Aéronautiques. L’industrie, à l’époque largement nationalisée, en effectuait le reste, à l’exception de quelques travaux réalisés directement par l’armée de l’air. Là également, beaucoup d’IA ont travaillé concrètement au soutien de l’aéronautique militaire.
L’armée de terre avait ses structures propres d’entretien dirigées par des officiers de l’arme du matériel dans lesquelles les IA n’avaient pas leur place. Seule une partie des travaux sur hélicoptères était faite à l’extérieur.
La gestion des commandes d’Entretien Programmé du Matériel (EPM) était à la charge des directions de la DGA. Il y avait donc alors une cohérence forte dans le pouvoir contractuel vis à vis de l’industrie.
Témoignage : Entretien flotte à Lorient à l’orée des années 80
par Louis Le Pivain
Jeune ingénieur de l’armement, je suis affecté en sortie de l’ENSTA à la section armes-équipements de DCN Lorient pour m’occuper des installations de détection sous-marine des bateaux en construction et des bâtiments en service à Lorient. Le sonar DUBM 21 des chasseurs de mines tripartites en cours de construction à Lorient pour la France, la Belgique et les Pays-Bas n’a plus de secrets pour moi... mais ce sont les activités d’entretien flotte que je pratique sur les sous-marins diesel électriques de l’escadrille des sous-marins de l’Atlantique basée à Keroman qui me marqueront le plus. Elles sont parmi les meilleurs moments de ma vie d’ingénieur et vont créer des liens indéfectibles avec le monde attachant des sous-mariniers. Les plongées à l’immersion maximale en sortie d’IPER (Indisponibilité périodique d’entretien et réparation) à écouter les craquements de la coque et à vérifier l’étanchéité de tous les passages de coque restent des souvenirs impérissables ! De même que ramper dans un fond de ballast avec l’officier ASM du bord pour me montrer un transducteur qui a pris l’eau et qu’il faut changer pendant l’IE (indisponibilité d’entretien) en cours ! Pendant mes près de mille heures de plongée, j’ai appris à identifier les erreurs de conception qui ont pu être faites par nos prédécesseurs, comme, par exemple la présence d’un carlingage qui déborde malencontreusement devant une vanne qui doit être manœuvrée 3 fois par jour. J’ai aussi découvert les utilisations exotiques faites par l’équipage, ainsi quand un boîtier électronique sert de marchepied pour atteindre une vanne en hauteur. L’entretien flotte, désormais assuré par le SSF, est un excellent apprentissage, très formateur pour un jeune ingénieur de l’armement !
Aujourd’hui
L’activité de soutien industriel naval qu’effectuait DCN, fait partie maintenant de Naval Group, société de droit privé.
L’ensemble des activités de soutien aéronautiques industriel du Ministère a été regroupé dans un service en compte de commerce, le SIAé qui dépend de l’Armée de l’air et qui est le plus gros réparateur industriel d’aéronefs militaires en Europe occidentale.
L’armée de terre a conservé quelques activités de réparations industrielles dans un service le SMITer. La disponibilité des matériels en service est devenue un élément encore plus essentiel de l’efficacité des forces compte tenu de la diminution générale du volume des parcs. Depuis la LOLF (Loi Organique sur la Loi de Finance) de 2001, il y séparation entre la gestion des crédits d’EPM qui est maintenant faite par les trois armées dans deux services de soutien, le SSF dépendant de la Marine pour les bateaux, la SIMMT dépendant de l’Armée de terre pour les moyens terrestres et une direction, la DMAé dépendant de l’EMA pour les matériels aéronautiques, et ceux qui sont gérés par la DGA pour les programmes. Le rôle de la DGA n’est plus d’être gestionnaire ou acteur direct du MCO. Par contre, dans le cadre de sa responsabilité sur les programmes, elle a un service, le SMCO pour maintenir un pôle de compétence sur le sujet. De ce fait, on aurait pu constater une diminution forte du rôle des IA par rapport au passé sur le sujet. Il n’en est rien. Le SSF, le SIAé et la DMAé sont dirigés par des IGA hors classe, avec d’autres IA de tous les grades dans leurs structures. La SIMMT elle même a un directeur adjoint IGA. La compétence des IA pour gérer ces affaires complexes est indispensable aux armées au sein de qui ils sont affectés.
Et demain ?
Les pressions lourdes qui ont conduit à renforcer l’importance du MCO dans l’activité du ministère des armées vont continuer à s’exercer. Les nouveaux matériels qui rentreront en service dans les années qui viennent seront moins nombreux et plus ambitieux que les générations précédentes. L’émergence de systèmes de systèmes introduit un niveau de complexité inconnu dans le passé. Le ministère des armées aura donc besoin de développer des compétences fortes pour les maîtriser sur la durée de leur utilisation opérationnelle et assurer la disponibilité indispensable pour remplir les missions qui sont confiées aux armées. Or aujourd’hui, cette disponibilité est insuffisante .pour que les armées puissent remplir touts les missions qu’elles devraient assurer. Il y a là une difficulté majeure à résoudre. Aussi, le MCO est l’objet de nombreuses études visant à le transformer en profondeur. C’est un domaine d’une grande complexité, qui concerne aussi bien la logistique que l’optimisation des travaux dans les forces et au niveau industriel. Il y là un champ immense d’innovations à mettre en place, en organisation pour repenser la répartition des rôles entre les forces et l’industrie, en matière contractuelle de façon à mieux responsabiliser les acteurs par la mise en place de contrats plus globaux, et par l’application de méthodes émergentes. On peut en citer quatre qui sont de nature à apporter rapidement une véritable rupture par rapport au passé :
- L’orientation vers des contrats de fourniture de matériels couvrant aussi un nombre important d’années de fonctionnement,
- La généralisation de techniques de traitement moderne sur les « big data » des bases de données du MCO,
- Les travaux d’« Intelligence Artificielle », pouvant apporter une aide déterminante au diagnostic technique sur les matériels complexes.
- Les techniques nouvelles de fabrication additive pour accélérer considérablement la fabrication de rechanges, notamment après la fin des productions en série.
Le volet international de ces activités est en plein essor, que ce soit pour le MCO des programmes en coopération, en liaison avec les agences européennes et OTAN, ou pour le soutien de programmes exports en appui des industriels.
De façon concrète, le financement du MCO a été pris comme élément stratégique dans la Loi de Programmation Militaire 2019-2025. Un effort financier considérable est prévu à cette fin, 35 Md€ sur la période. Dès 2019, les crédits d’EPM ont fait un bond exceptionnel, pour favoriser la mise en place de contrats pluriannuels. Ce sont 10,4 Md€ d’AE (autorisations d’engagement) et 4,7 Md€ de CP (crédits de paiement) qui figurent dans la loi de finance. Les IA devraient jouer un rôle essentiel dans ces évolutions, en apportant les compétences scientifiques, techniques et managériales indispensables au succès de ces transformations. Travailler sur le MCO est une occasion exceptionnelle de se trouver au cœur du fonctionnement de notre ministère, en liaison étroite à la fois avec les utilisateurs des armées et les industriels étatiques et privés impliqués. C’est un critère important dans les choix futurs des ingénieurs appelés à des fonctions de direction dans le ministère.
Louis-Alain Roche, IGA, consultant
X Sup’Aéro, Louis-Alain Roche a effectué la majeure partie de sa carrière au sein de la DGA et compte 1 500 heures de vol. Il a dirigé les activités de production des avions de combat dont le Mirage 2000 N puis le programme Rafale Il est ensuite DRH de la DGA. En 2005, il conduit auprès du Ministre de la Défense la mission de modernisation du MCO aéronautique (MMAé). En 2009, il est nommé Contrôleur général des armées en mission extraordinaire. Il est aujourd’hui ingénieur-conseil.
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