Quelles perspectives pour la maintenance terrestre ?
DE LA NUMÉRISATION AUX INNOVATIONS DE RUPTURE
L’augmentation de la disponibilité des équipements terrestres, nombreux, complexes, et fortement sollicités fait l’objet d’expérimentations et d’innovations marquantes, qui devront cependant conserver la résilience de la chaîne du soutien terrestre (continuum paix-crise-guerre).
La numérisation, un prérequis indispensable
RFId
Pour la traçabilité, la DGA et la SIMMT se sont résolument orientées vers le déploiement de la technologie RFId, en l’adaptant au contexte militaire : vérification des risques induits par les éléments rayonnants (DRAM / DREP), notamment en présence d’engins explosifs improvisés, et homologation SSI face aux risques cyber. Deux standards, amenés à converger à terme, ont ainsi été proposés. L’utilisation des puces RFId a d’ores et déjà démontré des gains substantiels : fiabilisation des données, accélération sensible de leur saisie lors des vérifications de stocks, connaissance fine de l’état des équipements des unités permettant d’estimer en temps quasi réel leur capacité de projection, etc.
Puce RFID du récent véhicule léger VLTP-NP en cours de livraison à l’Armée de Terre
HUMS
Concernant les capteurs HUMS (Health and Usage Monitoring Systems) visant à suivre de manière dématérialisée l’état de santé des parcs, une expérimentation menée en 2016 dans le cadre de l’étude technico-opérationnelle PROPHETE a été complétée en 2019 par une évaluation tactique sur 20 véhicules VAB afin de bien cerner les besoins des maintenanciers, l’ergonomie et les volumes des flux de données à stocker et à transmettre. Plusieurs exigences ont alors été explicitées pour ces HUMS : installation / désinstallation rapide, généricité maximale, homologation SSI, données en format texte ou CSV standard restant propriété de l’Etat. Ainsi, ces dispositifs sont d’ores et déjà prévus sur de nombreux équipements terrestres : tout véhicule futur (notamment SCORPION) si le bénéfice supplante les coûts d’installation, fusil d’assaut (compteurs de coups tirés, basés sur les cartes électroniques développées par la SIMMT via la Mission d’Innovation Participative ou sur les technologies MEMS de l’opération d’expérimentation réactive SHOOTMEMS), désignateur laser pour vérifier l’état de la cavité laser, missile MMP voire à terme munitions pour surveiller leur vieillissement.
HUMS installés sur le VAB dans le cadre de l’évaluation tactique « VERITE »
Interopérabilité
Les données produites par RFId et HUMS seront implémentées dans des systèmes d’information logistique (SIL). Pour exploiter d’éventuelles corrélations, les retours d’expérience globaux ou les profils d’emploi, il est indispensable que ces SIL soient interopérables, via des normes telles que PLCS, a fortiori car la numérisation des activités du MCO telles que la commande de pièces ou le suivi des flux doit être assurée : c’est le projet MAPS. VIGIFELIN, système d’information et de traçabilité des équipements fantassin, est par exemple connecté au système d’information de maintenance terrestre SIM@T et offre un lien avec l’industriel permettant de disposer d’une logistique performante (rechanges livrées en moins de 3 jours). Véhicules EBMR, VBCI et VTCFS, radios PR4G, pneus, piles et batteries seront aussi connectés dès 2019-2020.
Les enjeux de recherche et d’innovation pour le MCO futur
IA et Big data
Une fois le MCO entièrement numérisé, les données produites pourront être exploitées afin de développer une véritable maintenance prédictive, les algorithmes d’intelligence artificielle (IA) s’appuyant sur le Big data seront à forte valeur ajoutée pour le MCO, a fortiori si la profondeur temporelle et la fiabilité des données priment sur la quantité pour construire les modèles prédictifs. Plusieurs cas d’usage liés au MCO terrestre ont ainsi été proposés à l’Agence d’innovation de défense pour évaluation sur la plate-forme ARTEMIS dédiée à l’IA : FELIN, VBCI, VAB et camions PPT.
Réalité augmentée et virtuelle (RA/ RV)
Sous réserve que les SIL disposent bien en temps réel des configurations exactes des équipements, la RA/RV facilitera la formation sur les actes de maintenance et permettra de simuler les meilleurs agencements d’un véhicule pour optimiser ces opérations (dépose moteur, vidange…) en fonction de paramètres à optimiser (ratio coût/délais, RH requises…). Dans le cadre du projet ICAR, elle permet déjà de simuler la position des outillages dans un atelier pour optimiser les actes et leur durée tout en vérifiant les exigences de sécurité au travail.
Télémaintenance
La dématérialisation ouvre également la voie à des applications de téléassistance, pour des sujets à diagnostic complexe mais à résolution simple. Dans ce cas, interroger à distance un expert en métropole au lieu de le projeter, en s’appuyant au besoin sur la RA/RV, permettra de réaliser des économies financières et calendaires. Des applications ont déjà eu lieu avec succès sur des matériels tels que le char LECLERC, le véhicule blindé VBCI ou même sur le lance-roquette LRU : reste à développer et à cadrer cette ambition.
Impression 3D
Enfin, si la configuration précise des équipements est connue, l’impression 3D de pièces à partir des dossiers numériques de configuration devient parfaitement envisageable. La tenue à jour d’un dossier de définition numérique ayant un coût important, la DGA étudie le périmètre des pièces et équipements pouvant utilement faire l’objet d’impression 3D dans les futures acquisitions : complexité limitée, usure régulière, pièces consommables très usitées, etc.
Et au-delà ?
Outre les innovations technologiques, des innovations d’ordre organisationnel ou contractuel sont également expérimentées : responsabilisation accrue des industriels (ex. : engagement global de disponibilité de parc pour le véhicule VLTP-NP, au-delà d’un engagement sur des délais de réparation), coopération avec le civil ou d’autres pays sur des stocks de rechanges partagés, etc.
Par ailleurs, du fait de la multiplicité des opérations extérieures, les flux logistiques entre la métropole et le théâtre constituent désormais de nouvelles sources d’innovation : guichet au plus près des forces déployées, amélioration des délais d’acheminement / dédouanement, voire mise en place des ateliers de réparation directement sur le théâtre, exploitant des concepts innovants tels que des conteneurs ateliers ou des dispositifs facilitant la manutention (mini-grues télescopiques mobiles voire exosquelettes ou systèmes robotisés de transport de matériel).
Dans le cadre de ces innovations, les maintenanciers n’en seront que plus nécessaires dans leurs savoir-faire et responsabilités propre.
Delphine Dufourd-Moretti : Tout au long de mon parcours à la DGA, j’ai eu la chance de rencontrer des problématiques passionnantes et variées de SLI/MCO, depuis le soutien classique de démonstrateurs de robotique jusqu’aux questions plus conceptuelles de soutien des équipements transverses voire « système de systèmes » sur SCORPION, en passant par les technologies innovantes testées en études amont. Sur le système d’information SIT-V1, j’ai notamment pu suivre l’organisation épique d’une noria pour la mise à hauteur des 1600 calculateurs circulant entre France et OPEX, qui m’a fait comprendre tout l’intérêt d’un suivi de matériel par puces RFID ! Le MCO est vraiment un domaine riche et en pleine évolution. Arnaud Walter : Après plusieurs séjours en Afghanistan ou en Afrique, j’ai constaté le rôle essentiel du MCO pour les opérations. Attaché d’armement à Bagdad, j’ai constaté à quel point le MCO était fondamental pour l’armée américaine, pour ses opérations comme pour ses ventes d’équipements militaires. J’ai ensuite demandé en 2015 une affection à DGA/SMCO, pour m’occuper du MCO-Terrestre. Depuis septembre 2018, je poursuis cette mission à la SIMMT. Le MCO-Terrestre est un sujet passionnant qui propose de nombreux sujets innovants (maintenance prédictive, fabrication additive…), avec des applications concrètes, un impact sur la BITD et des enjeux financiers conséquents. De plus, l’Armée de Terre n’hésite pas à confier des responsabilités à celles et ceux qui sont prêts à s’investir. François-Xavier Tourangin : J’ai découvert le milieu du MCO en 2004, lorsque je suis parti aux EAU comme conseiller au General Maintenance Directorate pour les chars Leclerc. Les enjeux tant financiers qu’opérationnels m’ont poussé à mon retour à m’intéresser au Soutien Logistique Intégré précédant et accompagnant le MCO. J’ai ainsi tenu plusieurs postes à la SIMMT puis au SMCO jusqu’à y devenir chef du département des systèmes terrestres. J’ai pu alors constater à quel point la considération envers le SLI/MCO avait évolué ces 10 dernières années : aucune décision sur un programme n’est désormais prise sans qu’une stratégie du soutien ne soit définie par la DGA en accord avec la SIMMT et l’EMAT. C’est notamment pour cette raison que l’innovation dans ce domaine est aussi importante que celle relative au système d’arme. |
Delphine Dufourd-Moretti, ICA
Architecte de préparation des systèmes terrestres futurs, DGA
Après avoir exercé des fonctions d’expert, d’architecte et d’encadrement technique en robotique et en systèmes terrestres à la DGA, Delphine Dufourd-Moretti (X95, ENSTA, doctorat INP Toulouse) est devenue manager SCORPION puis directrice du segment études amont terrestres avant de prendre il y a quelques mois la responsabilité de la préparation des systèmes de combat terrestres futurs.
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Walter Arnaud, ICA
Supply chain manager, SIMMT
L’ICA W. Arnaud (ENSTA 97, doctorat en Télécoms en 2000) est « supply chain manager » à la Structure intégrée du maintien en condition opérationnel du milieu terrestre (SIMMT), après avoir été chef du département SYTER (2015- 2018). Dans le cadre de ses affectations, il a servi dans le cadre des opérations CHAMMAL (Irak), PAMIR (Afghanistan) ou DAMAN (Liban), lors desquelles il a été un témoin des enjeux du MCO pour la poursuite des opérations.
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François-Xavier Tourangin, ICETA1
Chef du département Soutien des systèmes terrestres, DGA
L’ICETA1 FX Tourangin (ENSTA 1995) est chef du département Systèmes Terrestres au SMCO après avoir tenu deux postes à la SIMMT, comme RSS FELIN puis comme adjoint au chef du Bureau Stratégie et Modernisation. Il a par ailleurs été conseiller auprès du General Maintenance Directorate de l’armée de terre émirienne et est breveté de l’école de guerre.
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