S’IL VOUS PLAÎT, DESSINE-MOI UN CHEF
LE CHEF DONT NOUS NE VOULONS PAS ! … ET CELUI AVEC QUI NOUS IRONS AU BOUT DE LA MISSION
Et si la valeur ajoutée de la DGA reposait surtout sur les hommes et les femmes qui en font partie ?
Nous sommes les champions des technologies, des programmes, des procédures, des comités, des revues, des normes, … mais pour avoir envie de se lever le matin, est-ce que la qualité des rapports humains que nous vivons n’est pas de première importance ? On dit souvent : « mieux vaut choisir son chef que son poste ». Alors de quel chef avons-nous envie ?
Jeune ingénieur, j’ai pu observer la terreur qu’inspirait un directeur central sur les chefs de mon établissement, au point qu’une sonnerie spéciale stridente avait été installée lorsque qu’il appelait au téléphone !
Terreur, intimidation, méthodes musclées, partage minimum des informations, mépris des petits, formules elliptiques, refus de la critique, autoritarisme, … Quelques expériences et beaucoup d’observations m’ont appris ce que je ne voulais pas devenir. Et fort heureusement, de très nombreux chefs m’ont appris le contraire, et c’est grâce à eux que je me suis construit.
Nous sommes conscients de la responsabilité inouïe que nous avons à la DGA : nous servons pour le succès des armes de la France au sein d’une institution régalienne s’il en est. Et nous travaillons, côtoyons, vivons avec les soldats qui ont le privilège exorbitant de pouvoir donner et recevoir la mort pour notre pays. Dans ce contexte, la figure du chef à la DGA n’est pas banale, ni réductible à ce qu’on peut trouver de mieux dans les manuels modernes de management. Nous avons le devoir d’un supplément d’âme ; le statut militaire en est une composante.
Alors, dessinons le chef que nous ne voulons pas à la DGA, ce qui permettra à chacun d’esquisser, comme pour le petit Prince, son chef sinon idéal, du moins celui avec lequel on veut travailler ou que l’on veut devenir.
« LE DEVOIR D'UN SUPPLÉMENT D’ÂME »
Le chef machine glaciale
Ce que l’on remarque de prime abord quand on rencontre un « supérieur », c’est son comportement humain, bien avant ses qualités, son autorité, ses compétences ou ses connaissances techniques.
Le chef qui dit à peine « bonjour » sans te regarder, te toise de haut quand il ne t’ignore pas, ne prend pas du temps pour t’écouter et qui ne t’adresse la parole, au mieux, que lorsqu’il a besoin de toi …
Ce chef croit que l’autorité passe par des attitudes hautaines, cassantes, froides, distantes, procédurales. En ignorant les plus petits, il en oublie que « leur vision n’est pas obscurcie par les fumées de l’habitude ou biaisée par une ambition ».
Conséquence du respect mécanique des procédures et des rituels de gestion, on trouve des équipes déshumanisées avec une communication interne souvent défaillante : les informations ne descendent plus, ne sont plus mises en commun, car elles pourraient conduire à partager du pouvoir.
Le chef qui cherche surtout sa propre réussite professionnelle
C’est un comportement qui peut apparaître très tôt dans une carrière et qui est indépendant de la formation et des compétences. Cette attitude a la particularité de s’accentuer avec le temps et la progression dans la chaîne hiérarchique. Les postes élevés dans l’institution se font rares en haut de la pyramide et la compétition s’aiguise. La tentation de « se servir avant de servir » en est d’autant plus forte. Le comportement de ce chef peut devenir délétère pour son entourage, jusqu’à instiller la peur et terroriser ses équipes … le harcèlement n’est pas loin.
Le chef qui cherche avant tout à plaire au-dessus
En soi, vouloir satisfaire ses propres chefs est naturel et se traduit dans la volonté d’atteindre les objectifs fixés. Mais là où ça se gâte, c’est lorsque le chef oublie son devoir envers ses subordonnés dans son désir de plaire au-dessus. Le chef peut piller les idées et les réussites de son équipe pour se les attribuer devant ses propres supérieurs. Alors l’obéissance ne signifie plus rien, le dialogue et l’écoute disparaissent, l’efficacité de l’équipe diminue et surtout la confiance disparaît. Le chef devient illégitime. Si le chef est lui-même « terrorisé » par son supérieur, on peut voir des situations de mensonges s’installer : la vérité ne peut plus être dite, bafouant franchise et loyauté, loin de tout réalisme.
INCIDENCE DE LA VÉRITÉ SUR L'EFFICACITÉ ?
Sur la question du mensonge – et donc de la vérité – , on peut relire avec profit l’ordre du jour n°13 du CEMA du 22 avril 2022, analysant le conflit en Ukraine, lorsqu’il écrit en constatant que les chefs militaires russes ont menti à leur dirigeants politiques, à leurs subordonnés, et à eux-mêmes : « Le devoir d’un militaire, qu’il soit chef ou subordonné, est de dire la vérité ; dire les choses, sans chercher à enjoliver la situation, par peur, flatterie ou paresse intellectuelle. Face aux chefs, il consiste à présenter, en toute franchise, les limites et les faiblesses qui peuvent être les nôtres. Il implique, naturellement, de proposer des solutions. Envers nos subordonnés, il impose de donner du sens, à la mission comme aux sacrifices demandés, et consentis »
L’autorité du chef
Illustrant un contexte de légitimité défaillante, un ancien président de la république aurait dit « un chef, c’est fait pour cheffer ». Définition lapidaire et ouverte qui permet à chacun d’avoir son idée quant au chef idéal, de son autorité et de sa légitimité.
Dans « Pensées du terrain – Lettres à un jeune engagé », le général Pierre de Villiers, ancien CEMA, décrit ainsi l’autorité :
L’autorité avec un grand « A » écoute, décide, ordonne, entraîne, oriente, guide, sanctionne si besoin, encourage si nécessaire. Elle réchauffe ce qui est froid et redresse ce qui fléchit. Elle ne compte ni son temps, ni ses efforts. Elle crée une dynamique, un élan, un mouvement dans lequel on souhaite s’inscrire. Elle suscite l’adhésion et la volonté de vaincre ! […]
L’autorité incarne la responsabilité et non le pouvoir. Elle oblige tout autant celui qui l’exerce que celui sur qui elle s’exerce.
Et il ajoute plus loin : « C’est avant tout au sens du service qu’on reconnaît l’autorité. »
Que dire de plus ? Décrites avec force et concision, ces qualités des chefs militaires sont précieuses pour nous à la DGA. Sans être un combattant en armes, il faut nous aussi les acquérir, par la formation certes, et également par notre propre expérience de subordonné et de chef. Et plus on monte dans la hiérarchie, plus il est important que notre autorité soit un véritable service.
La question de la sélection devient alors primordiale, car on voit bien qu’au bout du compte, c’est l’efficacité et la réussite de la mission qui sont au rendez-vous. Et ce sont souvent les lacunes comportementales du chef qui conduiront à la faillite de la mission et qui feront fuir ses collaborateurs : adieu la fidélisation des talents, bonjour l’amateurisme …
On trouve aujourd’hui de nombreuses publications et organismes pour se former au management et évoluer dans un monde qui change.
« RESPONSABILITÉ, ÉCOUTE ET DISCERNEMENT »
La DGA a mis en place de nombreux outils de gestion des cadres (évaluations, entretiens, cotations, formations de haut niveau, viviers…). Mais ces outils ne sont pas un filtre absolu pour faire d’un chef celui que l’on suivra « au bout du combat ». Car c’est la dimension humaine logée dans le triptyque « responsabilité, écoute et discernement » qui fera la différence.
Une photo valant mieux qu’un long discours, pour donner un tour plus personnel au dessin de mon chef idéal, je reprendrai les qualités des pilotes de planeur que nous développons dans le monde du vol à voile : les qualités du chef au service de la bonne décision !
Christian Chabbert a notamment partagé sa carrière entre la maintenance industrielle aéronautique (AIA Cuers et Clermont-Ferrand, SMA, SIAé), et de passionnantes périodes dans la fonction RH, jusqu’à l’Inspection Générale des Armées. Depuis 2018, il est consultant indépendant et accompagne des PME aéronautiques en Occitanie, dans le domaine des performances industrielles.
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