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Système de mise à l’eau et de récupération d’USV et d’AUV (Naval Group / ECA Robotics)
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04 mars 2022

ETENDRE LA FORCE NAVALE

Alors que dans le domaine aérien, les drones sont depuis de nombreuses années au stade de l’exploitation opérationnelle, il n’en est pas de même dans le domaine naval, en particulier pour ce qui est des drones de surface ou sous-marins (à l’exception des torpilles et des cibles sous-marines de dernière génération, assimilables à des drones compte tenu de leur autonomie décisionnelle avancée, mais dont la durée de mission reste courte). On note toutefois une forte accélération des projets visant à développer cette capacité opérationnelle indispensable dans la perspective du combat naval futur.


En effet, les drones peuvent démultiplier l’efficacité d’une force navale pour l’ensemble des missions qu’elle est susceptible de réaliser. Ils permettent :

•               D’augmenter le nombre de senseurs ou d’effecteurs pour surveiller, protéger ou déminer une zone,
•               De projeter des moyens dans des zones difficiles d’accès ou fortement contestées par l’ennemi pour préserver les hommes et les « High Value Units »,
•               De préparer des opérations en recueillant des informations de nature océanographique, hydrographique ou des renseignements militaires,
•               Ou encore de saturer les forces ennemies avec de nombreuses menaces difficiles à détecter / identifier / classifier.

Ils offrent aussi un potentiel d’évolution rapide des performances, comme en témoignent les véhicules autonomes, les drones aériens, et les navires civils, même en prenant en compte les spécificités et difficultés du domaine naval de défense.
De très nombreuses marines ne s’y trompent pas qui, après une phase d’hésitation légitime face à des nouvelles technologies dont les performances accessibles doivent être caractérisées, lancent des développements de démonstrateurs. Elles cherchent à expérimenter très rapidement pour affiner leurs besoins en fonction des concepts d’emploi envisageables des drones (seuls, en meute, en essaim) en imaginant leurs interactions avec les forces « traditionnelles ». Ainsi, les marines américaine, britannique, allemande, scandinaves, japonaise, singapourienne, turque, israélienne, russe ou chinoise, pour ne citer qu’elles, ont lancé, avec leur BITD nationale, plusieurs programmes de drones navals, de surface ou sous-marins. Plusieurs autres marines sont en phase d’élaboration de leurs besoins et pourraient exprimer des demandes dès lors qu’elles constateraient chez d’autres l’efficacité des concepts opérationnels basés sur ces nouveaux systèmes navals.
Au-delà de la typologie des drones, qui peuvent être aériens, de surface et sous-marins, il faut distinguer ceux qui sont « organiques », c’està-dire opérés par et depuis un navire qui les porte, les drones de petite taille et les drones « océaniques » dotés d’un rayon d’action autonome très supérieur aux précédents.

 ORGANIQUES OU OCÉANIQUES

Parmi les drones organiques, on trouve les drones aériens à voilure tournante qui peuvent compléter ou remplacer l’hélicoptère, les drones de surface de taille modérée (L< 12 m) qui complètent la drome et les drones sous-marins au format torpille (diamètre ≤ 21 in).
Les drones de petite taille, aériens, de surface ou sous-marins, sont utilisés seuls, en meute ou en essaims pour réaliser des missions de surveillance ou d’interdiction navale ou des attaques fulgurantes.
Les drones océaniques sont de grande taille, de surface (USV-M entre 12 et 50 m, USV-L au-delà de 50 m) ou sous-marins (UUV-L pour diamètre de 21 à 84 in et UUV-XL pour diamètre > 84 in ), pour pouvoir assurer des missions aux côtés des forces navales traditionnelles (souveraineté maritime, projection de force).
Ces différents types de drones posent des défis très variés, qu’il s’agisse de leur propre conception, de leur intégration fonctionnelle au navire qui les porte ou à la force navale au sein de laquelle ils opèrent (les communications étant en elles-mêmes un défi), de leur intégration physique sur le navire qui les met en œuvre, les ravitaille et les maintient en conditions opérationnelles ou de la conception de navires spécialisés porte-drones. Il faut aussi garder à l’esprit que tout ceci n’est viable qu’à la condition que le prix de ces drones et des servitudes associées reste assez bas pour que le risque de les perdre (qui ne sera jamais nul, même en temps de paix !) soit acceptable et pour qu’ils soient significativement moins chers que les navires traditionnels qu’ils complètent.

C’est donc un nouveau champ d’activité pour les architectes navals et les architectes des systèmes de combat, qui doivent appliquer leurs compétences à des engins très différents des navires habituels (les drones eux-mêmes) et à des systèmes navals (les navires et les drones, opérant de concert).

La première rupture qui doit être prise en compte est d’être capable de mettre en œuvre ces systèmes de manière coordonnée et collaborative pour répondre à une menace en étant le moins vulnérable possible et en allouant à chacun sa part de la mission. C’est bien la maîtrise du système de combat de force navale qui donnera l’avantage informationnel (veille collaborative navale, pour faire la synthèse en temps réel des informations glanées par les senseurs de la force) et la supériorité dans l’engagement (combat collaboratif, pour pouvoir engager des armes depuis une plateforme différente de celle qui a détecté la menace ou de celle qui l’a désignée comme objectif), tandis que la coordination de la logistique navale (énergie, munitions, vivres, maintenance) assurera la permanence à la mer de l’ensemble.
La deuxième rupture majeure concerne la capacité des drones à opérer en totale autonomie qui, pour pouvoir à terme augmenter significativement les capacités de la force navale, ne devront pas être un « maillon faible » qui mobiliserait une partie de l’équipage pour les contrôler, les téléopérer, les recharger ou les dépanner. Les développements, basés sur l’intelligence artificielle de confiance, vont concerner les domaines de la perception de l’environnement, de l’analyse des données, de la décision autonome et de la mise en œuvre d’effecteurs, tout cela de manière sûre, discrète et cybersécurisée. Il y aura évidemment des fonctions pour lesquelles l’homme restera dans la boucle de décision temps réel.

TROIS RUPTURES POUR LES ARCHITECTES NAVALS

La troisième rupture à prendre en considération concerne l’intégration physique des drones, en particulier ceux qui sont de grande taille, à bord des navires. En effet, les dispositifs de Lancement / Récupération / Stockage / Maintenance des drones vont avoir une empreinte très forte sur l’architecture des navires :
•               Pour un bâtiment de surface, qu’il soit spécialisé dans l’emport des drones ou pas, la mise à l’eau et la récupération des drones par l’arrière ou le long du navire nécessitent de réserver de très gros volumes et posent des problèmes de ralliement et de stabilisation simultanée des plateformes pour garantir la sécurité et la mise en œuvre par tous les temps (jusqu’à mer 4 au moins).
•               Pour un sous-marin, la problématique consiste à lancer et récupérer les drones (sur le pont avec un système de docking humide ou sec, ou en utilisant les tubes lance-torpilles). Cela nécessite de maitriser la sécurité de navigation pendant les phases de ralliement et requiert une gestion fine de la pesée. Il faut aussi une source d’énergie pour recharger le drone et un moyen sûr de transfert des données de mission.
Enfin, dans un futur plus lointain, on peut imaginer un véritable écosystème naval dédié aux drones pour déployer des réseaux de communication ad hoc, pour installer en profondeur des stations de docking et de recharge en énergie, ou encore pour disposer de navires spécialisés capable de les récupérer et de réaliser leur « grand carénage » sans nécessiter leur retour à leur port base.

 

 

Eric Papin, ICA
EVP Directeur Technique et Innovation de NAVAL Group

Né en 1967, il est diplômé de l’ENSTA Paris, d’Audencia et auditeur de la session « Armement et Economie de Défense » de l’IHEDN.

Il a fait toute sa carrière à Naval Group d’abord comme architecte propulsion à Indret puis comme architecte d’ensemble au département Sous-Marins. Il a ensuite été Directeur Industriel du site d’Indret et depuis 2015, il est chargé de la direction technique et de l’innovation.

 

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