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10 mars 2022

LES DRONES AÉRIENS AU SEIN DES FORCES ARMÉES AMÉRICAINES
AUJOURD’HUI ET DEMAIN

Publié par Marc ESTEVE (1962) , Dominique Orsini USCREST group et James Lynch US CREST Group | N° 125 - DRONES

Motivée par les besoins opérationnels urgents des opérations d’Afghanistan puis d’Irak, poussée par le pouvoir politique et un fort lobby industriel dominé par la société General Atomics, l’utilisation d’une nouvelle catégorie de drones aériens — relativement lents et vulnérables — est allée croissante au sein des forces américaines au cours des vingt ans passés.


L’adoption par l’armée de l’air américaine (USAF) de la version armée du drone Predator de General Atomics reste l’exemple le plus emblématique de cette période, avec, à la suite, le développement rapide du Reaper qui représente aujourd’hui une part non négligeable du parc des aéronefs de l’USAF.

Cette période a aussi vu l’accroissement marqué du nombre de drones de petites dimensions, utilisés aux échelons tactiques les plus bas. Cette tendance à la miniaturisation des drones aériens stimule maintenant les réflexions quant à leur utilisation coordonnée en essaims à des fins de saturation et la notion de convergence entre drones et missiles.

En parallèle, des développements de drones de reconnaissance plus lourds ou de futurs drones de combat à plus hautes performances se sont poursuivis mais de façon plus limitée.

Les systèmes aériens sans équipage à bord sont désormais solidement implantés dans l’arsenal des armées américaines, malgré le déclin des opérations qui ont vu naitre la majorité d’entre eux. Des réflexions pour les rendre davantage aptes à des environnements plus difficiles sont en cours et de nouveaux systèmes en développement font partie intégrante des futurs concepts de moyens aériens appelés à répondre à des menaces plus sophistiquées.

Tour d’horizon des systèmes actuels et des développements engagés

US Air Force

L’USAF exploite la flotte la plus importante de drones MALE (Medium-Altitude Long Endurance) et HALE (High Altitude Long Endurance) avec près de trois cents MQ-9A Reaper et une trentaine de Global Hawk. Mono turbopropulseur de 20 m d’envergure et de près de 5 t d’une part et mono réacteur de près de 40 m d’envergure et 15 t d’autre part, le Reaper et le Global Hawk peuvent effectuer des missions de plus de 24 h. Le MQ-9 est équipé de différents capteurs et peut emporter un armement diversifié allant du missile à la bombe guidée. Le Global Hawk, de la société Northrop Grumman, est non armé, utilisé pour des missions de reconnaissance (RQ-4) et comme relais de communications (EQ-4).

Comme démontré par différents incidents au-dessus du Yémen ou du Golfe arabo-persique, ces aéronefs ne peuvent véritablement opérer efficacement qu’en environnement permissif. Si le futur du MQ-9 est assuré dans l’USAF, au moins jusqu’en 2030, celui du Global Hawk est plus compromis avec le retrait de service de près de deux tiers de la flotte actuelle prévue par l’Air Force à partir de 2022.

L’USAF met aussi en œuvre le RQ170 Sentinel pour des missions de reconnaissance à propos desquelles la communication officielle reste plus que discrète. Produit en nombre réduit par la société Lockheed Martin, le RQ-170 est une aile volante monoréacteur furtive de 12 m d’envergure environ.

L’USAF exploite des RQ-170 sentinel produits par Lockheed Martin - crédit photo Matt C. Hartman/Shorealonefilms.com

La presse technique a fait état depuis quelques années du développement d’un autre drone furtif de reconnaissance stratégique identifié comme le RQ-180 ; aussi une aile volante, attribuée à la société Northrop Grumman, que certains observateurs pensent avoir saisi en vidéo ou en photo au-dessus de la Californie et des Philippines. Le RQ-180, qui porterait le surnom de « Great White Bat » (la grande chauve-souris blanche), serait un biréacteur d’une envergue supérieure à celle d’un Boeing 737 (36 m).

Aujourd’hui, l’ambition affichée de l’USAF est de développer d’ici la fin de la décennie une nouvelle famille de moyens de reconnaissance furtifs capables d’opérer dans des environnements particulièrement défendus. Il est aussi question depuis quelques années d’un autre programme qui devrait voir la mise en service au début des années 2030 d’un drone de reconnaissance capable de vitesses hypersoniques (> Mach 5).

Le démonstrateur XQ-58A, loyal wingman d’entrée de gamme pour l’USAF (source wikipedia)

L’USAF s’intéresse également, pour la fin des années 2020, au développement de drones multi-missions capables de performances s’approchant de celles d’un avion de combat, mais d’une masse encore relativement modeste (entre 2,5 et 5 t environ pour les concepts actuellement évalués) sous l’expression générique de « Loyal Wingman » (ailier fidèle). Ces drones doivent être conçus pour, soit accompagner des avions de combat pilotés, soit conduire des actions autonomes suivant un spectre élargi de missions. Le coût d’acquisition visé pour ces futures plateformes, entre quelques millions et une vingtaine de millions de dollars suivant les configurations envisagées, est un critère important pris en compte dans leur développement.

 

US Army

L’US Army, quant à elle, utilise de nombreux drones de petite taille pour des missions de reconnaissance au profit de ses unités tactiques, mais elle s’est aussi dotée d’un système intermédiaire, le Shadow de la société Textron (6 m d’envergure, masse de l’ordre de 200 kg) et du Gray Eagle (17 m d’envergure et une masse maxi de l’ordre de 2 t), dérivé du Predator de General Atomics, capables de missions d’appui feu. Le Shadow et le Gray Eagle peuvent aussi être pris sous le contrôle direct d’hélicoptères d’attaque pour servir d’éclaireurs et éventuellement de moyens de frappe. Pour le futur, l’Army recherche des moyens opérant sans piste de décollage ou d’atterrissage et développe une famille de drones/munitions de petites dimensions dite ALE (Air Launched Effects) portée par ses futurs moyens aériens pilotés.

Un Gray Eagle, UAV MALE développé par General Atomics, utilisé par l’US Army

Après s’être largement appuyé sur des drones de plus petites dimensions, de type Shadow puis Blackjack (Boeing Insitu) et avoir recherché une solution MALE à décollage et atterrissage vertical, le Corps des Marines (USMC) a plus récemment adopté le MQ-9A pour satisfaire son besoin de capacité drone à longue endurance. Ces MQ-9 sont dédiés aux missions de reconnaissance et de frappe au profit des troupes déployées, y compris en appui de nouvelles unités littorales dotées de missiles antinavires mobiles terrestres. L’USMC a également fait quelques expériences avec des drones à voilure tournante en Afghanistan pour fournir un soutien logistique aux avant-postes éloignés mais aucune suite n’a été donnée en termes de programmes.

US Navy

L’US Navy de son côté utilise ou développe de nombreux drones allant de l’hélicoptère à l’avion embarqué robotisé. La Navy dispose notamment de drones à voilure tournante comme le MQ-8C Fire Scout, dérivé de l’hélicoptère léger Bell 407, qui opère à partir de bâtiments de combat de faible tonnage. La Navy commence aussi à mettre en œuvre le MQ-4C Triton de Northrop Grumman, basé à terre et dérivé du Global Hawk, conçu principalement pour des missions de reconnaissance maritime de longue durée. Une vingtaine de Triton ont été commandés et plus d’une soixantaine sont prévus par la Navy dans les années qui viennent afin d’assurer, en profondeur, la couverture la plus vaste possible de ses zones d’opérations.

La Navy a aussi expérimenté avec succès un démonstrateur de drone de combat de plus hautes performances (pour la reconnaissance et la frappe en environnement contesté), le X-47B de Northrop Grumman, capable d’opérer depuis un porte-avions, mais n’a pas directement poursuivi dans cette voie. Après une révision du besoin, ces travaux ont finalement débouché sur le développement du Boeing MQ-25A Stingray dont la mission première sera le ravitaillement en vol (avec l’objectif de pouvoir délivrer près de 7 t de carburant à 500 nautiques du porte-avion). Le Stingray doit rejoindre les flottilles embarquées au milieu de cette décennie. Outre la capacité de ravitaillement en vol, le MQ-25 offrira un complément de capacité de reconnaissance et devra permettre à terme l’intégration d’armes. Ce premier avion embarqué robotisé opérationnel permettra de soulager le Super Hornet de la mission de ravitaillement en vol et d’apprendre à maitriser les différents aspects de la mise en œuvre de ce type d’aéronef depuis un porte-avions, d’abord localement, puis à des distances croissantes avec intervention de plates-formes aéroportées comme l’E-2D ou le Super Hornet biplace pour assurer la fonction contrôle et supervision de ses missions. Le coût moyen du MQ-25, pour une série de 76 appareils, est cependant actuellement évalué à plus de 150 millions de dollars par aéronef, soit plus qu’un F-35C.

 

Une voilure tournante pour l’US Navy avec le MQ-8C Fire Scout

Demain … vers des missions de combat plus complexes mais l’avion de combat piloté demeure et l’opérateur distant reste un élément clé de la chaîne de décision pour les drones

Dans le domaine ouvert, l’USAF travaille depuis quelques années sur différents programmes technologiques devant contribuer à la mise en œuvre du concept de « Loyal Wingman » (ailier fidèle) d’ici la fin de cette décennie.

Une première ligne d’effort, centrée sur le programme LCAAT (Low Cost Attritable Aircraft Technology) de l’AFRL (Air Force Research Lab) a pour but de développer des cellules de drones relativement performants (haut subsonique, pouvant manœuvrer sous un certain nombre de g, long rayon d’action…) mais à durée de vie limitée et d’un coût réduit (de l’ordre de quelques millions de dollars) — et donc de dimensions et de masse relativement modestes.  Le XQ-58 de Kratos, utilisant une rampe de lancement et récupéré sous parachute, avec ses 9 m de long et une masse maxi de l’ordre de 2,7 t est un exemple représentatif d’un produit d’entrée de cette gamme. Ces drones doivent également être modulaires, avec des charges utiles interchangeables en fonction des missions. D’autres lignes d’effort, comme le programme Skyborg, contribuent aux développements logiciels permettant une autonomie croissante de ces appareils, et comprenant un noyau commun (ACS – Autonomous Core System) quel que soit le type de cellule. D’autres développements sont prévus pour satisfaire aux différentes fonctions de ces aéronefs (comme la mise en œuvre de capteurs, air-air ou air sol, la conduite de missions d’attaque, ou de guerre électronique, par exemple). 

Les premiers démonstrateurs équipés du noyau logiciel développé par le programme Skyborg ont commencé leurs essais, avec notamment le XQ-58 Valkyrie de Kratos. Le Boeing ATS (Air Teaming System, de catégorie 5 t environ), développé par Boeing Australie sur financement du gouvernement australien, doit aussi rejoindre la campagne de démonstration aux ÉtatsUnis en 2022. D’autres solutions existent, chez Northrop, General Atomics… certains faisant l’objet de moins de publicité que d’autres et Kratos a récemment annoncé un nouveau membre de sa famille de « drones tactiques », pouvant cette fois-ci décoller et atterrir de façon conventionnelle et doté d’une capacité d’emport permettant de mieux prolonger les capacités d’un avion de combat piloté.

L’autonomie de ces plateformes s’appuie peu à ce stade sur les technologies de l’intelligence artificielle (IA) mais des développements parallèles existent, comme le programme ACE (Air Combat Evolution) de la DARPA. Celui-ci vise par le biais de l’IA, et notamment des techniques d’apprentissage par renforcement profond, tant à soulager la charge de travail d’un pilote d’avion de combat, en particulier sur un monoplace (seule configuration existante pour le F-22 et le F-35) qu’à augmenter l’autonomie d’un ou plusieurs drones sous la supervision du pilote de ce même appareil. 

Pour l’Air Force, le traitement de l’ambiguïté, qui devrait rester partie intégrante des missions de l’aviation de combat, demeure une limitation majeure et jugée insurmontable à horizon prévisible au remplacement complet de l’homme par la machine, d’où l’approche actuelle combinant d’une part des drones de combat de dimensions réduites et moins couteux et, d’autre part, des développements visant à soulager la charge de travail des pilotes des avions de combat qui auront la charge de l’emploi et de la supervision de ces drones.

Avec la récente annonce par l’USAF de son intention de lancer deux programmes classifiés de drones de combat en 2023, destinés à opérer de concert avec les avions de combat de 5e et 6e génération et le futur bombardier furtif B-21, il est probable que ces développements seront moins observables dans les années qui viennent. Cette annonce renforce en revanche la perspective de voir effectivement aboutir ce type de capacité d’ici la fin des années 2020. 

 

 

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Marc Esteve, ICA, Chairman & CEO, U.S.-CREST Group

Impliqué dans les relations transatlantiques de défense et de sécurité depuis une vingtaine d’années, l’ICA Marc Esteve a été en poste au SAA de Washington de 1993 à 1996 et de 2002 à 2006. Il est chairman & CEO de U.S.-CREST Group et est diplômé de l’ICAF (Industrial College of the Armed Forces).

 

Auteurs

Dominique Orsini USCREST group
James Lynch US CREST Group

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