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la fission de l'uranium 235 à la base de l'énergie nucléaire
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08 juin 2023

L’ENERGIE NUCLÉAIRE – DUALE DÈS L’ORIGINE

Il existe deux manières de récupérer une partie de l’énergie contenue dans les noyaux des atomes : fissionner les noyaux lourds ou fusionner les noyaux légers.
La fusion, même si d’importants travaux sont en cours pour l’appliquer à la production d’énergie électrique, n’est aujourd’hui utilisée que dans des applications militaires.
En revanche la fission a été dès l’origine développée de façon duale.


La dualité : un atout ou un inconvénient ?

En 1939, Frédéric Joliot – prix Nobel de chimie avec son épouse Irène Joliot-Curie – et son équipe déposent cinq demandes de brevets : le premier, intitulé « dispositif de production d’énergie » couvre pratiquement le principe de tous les types possibles de réacteurs nucléaires. Le troisième, « perfectionnement aux charges explosives », décrit le principe d’une bombe atomique.

Cette double histoire – le réacteur et la bombe – va se poursuivre en parallèle.

La première « pile atomique », c’est-à-dire l’ancêtre des réacteurs nucléaires, fut construite en 1942 dans une salle de squash abandonnée, sous les gradins du stade de football américain de l'université de Chicago.

Trois ans après, la première explosion nucléaire eut lieu le 16 juillet 1945 à Alamogordo au Nouveau-Mexique, dans le cadre du projet Manhattan.
A l’issue de la deuxième guerre mondiale la conjoncture va toutefois conduire à deux vitesses d’évolution distinctes.

Dans le contexte de la guerre froide, l’arme nucléaire se développe rapidement ; en revanche l’abondance et la facilité d’utilisation du pétrole vont ralentir le développement des applications civiles de l’énergie nucléaire ; les premiers réacteurs seront conçus dans le but de produire du plutonium à des fins militaires, la fourniture d’électricité n’étant qu’une mission secondaire.

Il fallut la vision pénétrante et la ténacité d’un capitaine de vaisseau de l’US Navy, Hyman George Rickover, pour que la firme Westinghouse développe un réacteur à eau pressurisée destiné à la propulsion d’un sous-marin. Le prototype baptisé S1W divergea à Arco dans l’Idaho en 1953 et le premier sous-marin, l’USS Nautilus, prit la mer en 1955.

Il faut noter que deux filières avaient été étudiées en parallèle : celle des réacteurs rapides refroidis par du sodium liquide et celle des réacteurs à eau pressurisée ; les américains, ayant développé une technologie d’enrichissement de l’uranium pour les besoins des armes, avaient ainsi le choix entre davantage de filières que les pays, comme la France, qui ne disposaient pas encore de cette technologie.

Même si la filière « rapide-sodium » fut essayée sur le deuxième sous-marin nucléaire américain, le Seawolf, la filière à eau pressurisée s’imposa rapidement comme la mieux adaptée à la propulsion nucléaire.

En 1953, le président américain Eisenhower prononça à l’ONU un discours, resté célèbre sous le nom « Atoms for Peace », qui ouvrit la voie à la « civilisation » de la filière des réacteurs à eau pressurisée ; la société Westinghouse développa à partir des réacteurs de sous-marins une centrale à terre d’une puissance de 70 MWe sur le site de Shippingport en Pennsylvanie, centrale dont les américains firent la promotion au congrès de Genève en 1958.

Une équipe bicéphale
La propulsion nucléaire en France doit beaucoup à deux pionniers : L’ingénieur du génie maritime Jacques Chevalier et le capitaine de vaisseau Jean-Louis Andrieu.
Ces deux officiers, aux parcours très différents, se rencontrèrent à Saclay en juillet 59 et formèrent une équipe très performante qui releva le défi de la réalisation du PAT en un temps remarquablement court.

Au premier rang de gauche à droite : Jean-Louis Andrieu et Jacques Chevalier, lors de l’arrêt définitif du PAT

Au premier rang de gauche à droite : Jean-Louis Andrieu et Jacques Chevalier, lors de l’arrêt définitif du PAT

La centrale de Shippingport fut fin 1957 le premier réacteur à produire de l’électricité sur un réseau national et peut donc être considérée comme l’ancêtre de la plupart des réacteurs électrogènes en service aujourd’hui.
En France le premier réacteur à eau pressurisée à fonctionner fut également le prototype des réacteurs de sous-marins.

Décidé en 1959, à une époque où nous ignorions tout et de la filière à eau pressurisée et de l’enrichissement de l’uranium, à une époque où les responsables américains imprégnés de Maccarthysme et jugeant la France trop proche de l’URSS refusaient toute coopération, le PAT (prototype à terre) divergea à Cadarache en 1964, cinq ans seulement après la décision de le réaliser, trois ans avant la centrale de Chooz, premier réacteur civil à eau pressurisée français !

LE PAT DIVERGEA EN 64, TROIS ANS AVANT LA CENTRALE DE CHOOZ

Toutefois les responsables du CEA ne réussirent pas à persuader les pouvoirs publics de l’intérêt de développer à partir du PAT une gamme de réacteurs de puissance à usage électrogène – le projet mille-PAT – et la France acquit la licence Westinghouse pour lancer son programme civil.

Néanmoins, dans les premiers temps, l’expertise française en matière de réalisation de ce type de réacteur était concentrée dans l’Etablissement des Constructions et Armes Navales (ECAN) d’Indret et en particulier le laboratoire d’étude des matériaux de cet établissement fut fréquemment mis à contribution lorsque des difficultés étaient rencontrées sur les réacteurs Westinghouse.

Très vite toutefois le rapport de force s’inversa et ce fut la propulsion nucléaire qui bénéficia du retour d’expérience des réacteurs civils.

En effet alors qu’aux Etats-Unis l’US Navy est, et de loin, le premier exploitant nucléaire avec plus de 80 réacteurs en service, en France la Marine nationale n’exploite que 12 réacteurs nucléaires quand EDF en a 56.

La doctrine française a donc été, ces dernières années, d’utiliser chaque fois que possible les mêmes technologies que celles des réacteurs civils afin de pouvoir bénéficier d’investissements communs. C’est ainsi que le combustible des sous-marins nucléaires français utilise de l’uranium enrichi de qualité civile – c’est-à-dire enrichi à moins de 20 %.

Le futur

On assiste aujourd’hui à un retour du balancier : alors que pendant un demi-siècle les concepteurs de réacteurs se sont efforcés, pour des raisons économiques, d’augmenter la puissance électrique fournie par ceux-ci, depuis quelques années les petits réacteurs – appelés SMR pour « Small Modular Reactor » - deviennent à la mode, soit pour remplacer les centrales à charbon, soit pour compléter les réseaux existants.

Le projet Nuward, Small Nuclear Réactor Français

Le projet Nuward, Small Modular Reactor Français

Tout naturellement les pays qui maîtrisent la propulsion nucléaire, et ont donc l’expérience de la conception des petits réacteurs, occupent les premières places dans ces développements.

La Russie a ainsi mis en service une barge équipée de deux réacteurs identiques à ceux qu’utilisent ses brise-glaces à propulsion nucléaire, la Chine, l’Angleterre et les Etats-Unis développent leurs propres projets.

En France, les acteurs majeurs de la propulsion nucléaire – le CEA, Technicatome et Naval Group – se sont associés à EDF pour promouvoir le projet Nuward basé sur des réacteurs de 170 MWe dont le design n’est pas sans rappeler les réacteurs du Charles de Gaulle.

La réponse à la question posée en tête de cet article est donc ambivalente : si le caractère dual de l’énergie nucléaire a été largement (et abusivement) utilisé par les organisations anti-nucléaires pour susciter la peur vis-à-vis de ce type d’énergie, on peut affirmer qu’au niveau des réacteurs la dualité entre les réacteurs de propulsion navale et les réacteurs électrogènes a profité et continue de profiter au développement de ces deux types d’application.

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Alain Tournyol du Clos, IGA

Alain Tournyol du Clos est spécialisé dans le domaine de la propulsion nucléaire.

X GM, il a dirigé la direction des réacteurs nucléaires au CEA, participé à la mise en place du partenariat mondial d’assainissement des anciennes bases de sous-marins nucléaires soviétiques et a été conseiller pour les affaires nucléaires près l’ambassade de France en Chine.

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