L’ESPACE VOIT TRIPLE : INDUSTRIE, TECHNOLOGIE, USAGES
Les besoins militaires et civils en observation, communications et navigation sont très proches. Le militaire demande plus, et n’a pas les moyens de le faire seul.
Instruments et miroir du satellite Pléiades qui permettra une résolution de 50 cm
Comme tout utilisateur, les militaires utilisent les services spatiaux civils disponibles dès que cela est possible. Toutefois, l’absence sur le marché civil de services capables de répondre au « noyau dur » des besoins opérationnels, conjuguée à l’importance en taille des charges utiles correspondantes, oriente les militaires vers des développements satellitaires spécifiques complémentaires.
Télécommunications
Dans le domaine des télécommunications, militaires et civils ont tous deux besoin d’échanger de l’information, les uns pour relier leurs centres de commandement à des unités déployées sur les théâtres d’opérations, les autres pour avoir accès à Internet et s’interconnecter à n’importe quel endroit du globe et à toute heure. Si rien ne distingue un mégabit de données militaires d’un mégabit de streaming (après tout ce ne sont qu’une série de zéro et de un !), les besoins des deux communautés diffèrent, avec des spécificités quant aux conditions d’emploi des informations recueillies ou diffusées. Le théâtre d’opération, par définition mouvant, est le lieu des conditions extrêmes en matière de brouillage et d’interception. Afin d’assurer, quoi qu’il arrive, la continuité des communications, le militaire développera, au moins pour une partie des débits, des satellites spécifiques dotés de capacité d’antibrouillage avec un niveau très élevé de cybersécurité, voire des protections pour les agressions les plus extrêmes que n’intègrent pas les solutions civiles. Enfin, quand les conditions le permettent, les militaires profitent des services délivrés par des satellites civils. L’exemple du conflit ukrainien démontre à la fois le besoin de résilience, l’apport des capacités civiles mais également la limitation de ces dernières.
Observation
Dans le domaine de l’observation, la tendance est similaire. Là où la communauté civile regarde la Terre à des fins de maitrise de l’environnement (météo, observation, surveillance du climat …), les militaires scrutent les théâtres d’opérations et derrière les lignes ennemies pour y recueillir de précieuses informations de renseignement, à l’aide de satellites d’observation positionnés à une altitude d’environ 500 à 800 kilomètres dotés d’instruments optiques, radar ou autres.
Bien souvent, la précision souhaitée par les deux communautés est différente, les militaires recherchent le détail là où les usages civils se concentrent plutôt sur la quantité et la variété des données recueillies. Cela rend difficile le partage du même satellite pour satisfaire ces deux besoins. A titre d’exemple, la réponse au besoin de surveillance de l’environnement s’est faite à travers le programme Copernicus (satellites européens Sentinelles), embarquant des senseurs pas assez précis pour les militaires mais capables de détecter sur de larges zones la fonte des glaces, la déforestation ou encore des pollutions. Du côté de la défense, la réponse aux besoins de renseignement a fait l’objet de programmes séparés de satellites embarquant des instruments optiques de grande taille pour la précision souhaitée : c’est le cas des satellites français CSO et demain IRIS.
Toutefois, en complément de ces satellites très précis, les militaires ne se privent pas d’utiliser les services issus de satellites civils de météorologie ou d’océanographie pour répondre à des besoins spécifiques nécessaires à leurs missions, et s’épargnent l’onéreuse acquisition d’un système en propre.
Navigation
C’est exactement ce qui s’est passé dans le domaine de la navigation en Europe où, pour des raisons financières mais aussi politiques et, plus terre-à-terre, de place sur les satellites, la carte de la dualité a joué pleinement son rôle. Un seul type de satellite a été développé pour répondre aux besoins civils et de sécurité de positionnement et de synchronisation. Galileo diffuse à la fois les signaux cryptés et ouverts en accès libre accessibles respectivement aux utilisateurs autorisés et au commun des mortels. Cette composante spatiale institutionnelle apte à répondre aux besoins civils et de sécurité est aussi, de toute évidence, d’intérêt pour la défense.
L’usage de technologies communes
Il n’existe pas de technologies spatiales servant uniquement aux satellites militaires ou uniquement aux satellites civils ; composants électroniques, matériaux ou logiciels de base entrant dans la conception des satellites, tous sont utilisés de manière équivalente dans les deux domaines.
Les spécificités se trouvent au niveau des sous-systèmes du satellite. Par exemple, dans les télécommunications, un satellite devant répondre aux besoins extrêmes des confits de haute intensité embarquera, en plus de ce que l’on retrouve dans un satellite à vocation civile, un sous-système permettant aux communications de continuer à fonctionner en ambiance brouillée, une cryptologie permettant de protéger les communications des intrusions, ou encore une protection contre les agressions.
D’autres spécificités militaires liées aux fréquentes évolutions des théâtres d’opérations trouvent maintenant une déclinaison civile avec la mobilité aérienne ou l’évolution des couvertures au gré des évolutions des besoins des opérateurs de télécommunications. Globalement, de nombreuses technologies utilisées par le militaire trouvent bien souvent une déclinaison dans le monde civil (évolution des couvertures, agilité bord…)
Dans le domaine de l’observation, un satellite optique militaire embarquera souvent un télescope plus imposant en taille qu’un télescope à vocation civile afin d’atteindre la résolution et la précision extrême recherchées par les services de renseignement. Le reste sera globalement commun avec un satellite civil, exception faite de l’environnement afférent à la cybersécurité. Puis, dans la durée, la résolution militaire de la génération précédente tend à apparaître dans la génération civile du moment, à l’exemple de l’imagerie de 25 à 30 cm aujourd’hui disponible sur le marché.
L’effet de levier de la qualité
Globalement, cette dualité des technologies est un formidable atout collectif pour l’industrie spatiale : l’investissement fait par la communauté spatiale civile entretient les briques de base nécessaires aux militaires pour y intégrer leurs spécificités, spécificités qui pour la plupart génèrent ensuite les services civils de demain. Elle est au cœur d’une démarche entrepreneuriale vertueuse, partagée entre Etat et Industrie d’autant que les budgets de la défense, même ceux des Etats-Unis, ne permettraient pas de maintenir dans la durée, un portefeuille de technologies et des savoir-faire industriels uniquement dédiés au développement de systèmes spatiaux militaires.
Après différents postes au sein de la DGA sur les programmes Cyber et Espace, sur les affaires industrielles et dans le domaine capacitaire, Christophe Debaert a rejoint Thales Alenia Space pour coordonner les activités du groupe Thales sur le milieu spatial militaire.
Benoît travaille chez Thales Alenia Space depuis 2007. Auparavant, il avait exercé diverses missions d’expert à la DGA et au CNES, avant de basculer comme attaché d’armement près l’Ambassade de France en Italie.
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