L'AVÈNEMENT DU PLASMIQUE A L'ÈRE DU SATELLITE TOUT ÉLECTRIQUE
L’éviction de la propulsion chimique des satellites au profit de la propulsion électrique s’accélère, avec des avantages compétitifs forts. La technologie de propulseur « plasmique » à effet Hall de Safran est particulièrement bien positionnée.
Depuis son apparition à bord des satellites commerciaux au milieu des années 90, la propulsion électrique n’a fait que progresser, et sa part de marché augmenter. Les choses s’accélèrent aujourd’hui, et la révolution du « tout-électrique » est lancée. En effet, les premiers propulseurs électriques ne disposaient pas de suffisamment de poussée pour assurer la mise en orbite en un temps raisonnable (OR, Orbit Raising). Ils étaient donc cantonnés à la fonction de maintien à poste (NSSK, North-South Station Keeping). En outre, ils n’étaient pas considérés comme suffisamment fiables, et ils étaient la plupart du temps redondés par un propulseur chimique à ergol, notamment à l’hydrazine. Nous disposons maintenant de propulseurs électriques suffisamment puissants et fiables pour supplanter totalement la propulsion chimique. C’est d’ailleurs un choix que font de plus en plus les grands systémiers tant sur les gros satellites institutionnels géostationnaires, que sur les constellations émergentes en orbite basse ou moyenne.
Propulseur à « effet Hall » ou propulseur « ionique »
Le principe du propulseur à effet Hall dit « plasmique », est mis au point par un professeur russe dans les années 60. La poussée y est générée par l’éjection à très haute vitesse d’atomes de Xénon, ionisés par collision avec un faisceau d’électrons issu d’une cathode, focalisés en un plasma via un champ magnétique, et accélérés dans un champ électrique. La technologie concurrente est dite « ionique ». Le concept a été breveté en 1920. Là encore, des ions Xénon sont accélérés à grande vitesse, mais entre deux grilles fortement chargées électriquement. Comparé au propulseur plasmique, le propulseur ionique est plus complexe à réaliser, mais il a un meilleur rendement, ou impulsion spécifique, ce qui le rend particulièrement bien adapté au maintien à poste sur des longues durées de vie. En revanche, sa poussée est plus faible, et se révèle inadaptée pour la mise à poste, car la durée de cette phase serait doublée par rapport au plasmique.
Le PPS®5000 de Safran : un concentré de technologies pour quelques grammes de poussée !
C’est l’ancien laboratoire de recherche étatique russe devenu industriel, Fakel, qui met sur le marché les premiers propulseurs électriques à effet Hall. Très vite, Safran (SEP à l’époque) perçoit l’intérêt compétitif de cette technologie, et développe, avec le support institutionnel du CNES, un premier propulseur de maintien à poste de 1,5 kW : le PPS®1350. Qualifié en 2006, ce produit est utilisé pour la première fois sur une application commerciale en 2013 sur le satellite de télécommunications Alphasat, après le succès retentissant de la sonde démonstrateur Smart-1 ayant relié la Lune depuis la Terre avec seulement 80 kg de Xénon ! L’étape suivante est le passage au satellite tout électrique. L’enjeu est considérable. Eliminer complètement les ergols chimiques pour un satellite de communications géostationnaire permettrait de réduire la masse – donc les coûts - au lancement de plus de 40%, ou d’augmenter la charge utile de 30%, ou encore, la durée de vie à poste. L’inconvénient est un temps de mise à poste plus long, qui passe d’une dizaine de jours avec une propulsion chimique à environ quatre mois avec une propulsion plasmique, un inconvénient relatif pour des systèmes dont la durée de vie en orbite peut aller au-delà de quinze ans.
« Réduire la masse au lancement de plus de 40% »
Décidé à relever ce défi stratégique pour la filière spatiale européenne, Safran poursuit son effort technologique. Des premiers essais d’un prototype de 5 kW de puissance sont réalisés dès 2002. Puis en 2014, toujours avec le support du CNES, et dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir qui fait du satellite tout électrique un enjeu prioritaire, Safran lance le développement de son produit phare, le PPS®5000. Ce propulseur à effet Hall dispose d’une large plage de régulation, entre 2,5 kW et 5 kW, générant une poussée allant de 10 à 30 grammes. C’est un concentré de technologies, conçu pour supporter les chocs et vibrations intenses pendant les quelques secondes du lancement, assurer ensuite le transfert d’orbite à pleine puissance sur plusieurs semaines, et enfin, un contrôle orbital durable sur quinze ans. Après avoir passé avec succès les qualifications en environnements mécanique et thermique, le PPS®5000 est actuellement en phase de qualification en endurance fonctionnelle. Cette phase qui vise à démontrer la tenue de la performance sur toute la durée de vie opérationnelle, a commencé il y plus d’un an, et doit se terminer fin 2020. Le niveau de qualification atteint permet déjà de livrer des matériels pour le transfert géostationnaire, et des premiers PPS®5000 ont effectivement été livrés à Boeing début 2019. Le succès commercial de ce produit est arrivé très vite, et le carnet de commande pour 2019 et 2020 est déjà plein. Pour assurer la montée en cadence industrielle, Safran a investi dans une nouvelle unité de production sur le Campus de l’Espace à Vernon (ex-site du LRBA), avec une nouvelle salle blanche de 200m².
Une filière stratégique, Safran leader européen
A l’échelle internationale, les acteurs crédibles de la propulsion électrique des satellites sont peu nombreux. L’acteur historique russe Fakel reste le numéro un mondial, avec sans doute plus de trois cents propulseurs lancés, et une présence chez tous les systémiers. De l’autre côté de l’Atlantique, le leader est L3 Technologies, héritier de la technologie Hughes et partenaire historique de Boeing. L3 ne propose cependant que de la propulsion ionique, à laquelle l’avènement du « tout-électrique » fait perdre du terrain. Il existe d’autres acteurs ayant des parts de marché plus limitées, comme les américains Aerojet et Busek, installés sur le segment des propulseurs à effet Hall, avec quelques unités en orbite, ou Ariane Group, qui développe en Allemagne un moteur ionique, ou encore des startup comme Exotrail ou Thrustme qui travaillent sur des tous petits propulseurs pour nano-satellites. Ainsi, Safran fait clairement figure de numéro deux mondial et de leader européen. Vu la taille du marché des satellites, plutôt en contraction ces dernières années sur le segment du géostationnaire, et les coûts de développement élevés liés à des technologies de pointe et des durées de qualification très longues, il y a peu de place pour l’émergence de nombreux acteurs. La présence de trois leaders, un russe, un américain et un européen, fait sens. L’émergence du marché des constellations ou « méga-constellations » de plusieurs centaines de petits satellites est susceptible d’amener d’autres débouchés significatifs en volume, mais avec une forte pression sur les prix. Safran développe sur ce créneau un nouveau propulseur, le PPS ®X00, d’une puissance de quelques centaines de watts avec une conception et des technologies simplifiées, ainsi que le recours à la fabrication additive, pour réduire drastiquement les coûts. De l’autre côté du spectre de puissance, Safran prépare aussi des applications futures plus ambitieuses, liées par exemple à l’exploration lointaine, et a fait tourner au banc en 2011 un prototype de 20kW développé dans le cadre des programmes de recherche européens. Disposer d’une filière de propulsion plasmique est un enjeu stratégique de premier plan. Les industriels s’attèlent à relever ce défi essentiel en développant des solutions technologiques performantes et compétitives. Mais le soutien des acteurs institutionnels, CNES, DGA, ESA et Union Européenne, reste, in fine, indispensable, pour les aider et donner à la France et à l’Europe un accès indépendant à l’Espace.
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