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31 mai 2019

ENTRETIEN PRESQUE FICTIF AVEC UN PERSONNAGE PRESQUE RÉEL

Publié par François Dudeck | N° 118 - Le Spatial

 MAO LINPING, NEVEU DE MAO TSÉ TOUNG, ANCIEN INGÉNIEUR DE LA CHINESE AEROSPACE CORPORATION (CASC) À LA RETRAITE.


 La CAIA : C’est impressionnant de voir la progression de la Chine dans le spatial, depuis la fusée Longue Marche, le premier taïkonaute en 2003, la première mondiale de poser du rover Chang’e 4 sur la face cachée de la Lune, et dernièrement le projet d’exploration de Mars. Aviez-vous anticipé cette dynamique lorsque vous étiez aux affaires spatiales à la CASC ?

Mao Linping : Merci ! Vos compliments sur nos modestes résultats me flattent. Ceci dit, je vais peut-être vous surprendre un peu, en vous disant que nous avons une âme d’explorateurs. En effet, soixante ans avant les découvertes de Christophe Colomb, la Chine avait créé une flotte immense qui avait exploré toute les côtes d’Asie et jusqu’au Cap de Bonne Espérance. Puis elle s’est repliée sur elle-même, ce qui lui a valu des siècles d’histoire moins intéressante. C’est pourquoi certains historiens ont appelé cette flotte « l’ultime armada ». L’aventure du spatial a vraiment démarré pour nous avec l’accueil d’un brillant ingénieur sino-américain dénommé Tsien Hsue-Shen. Formé par Von Karman, envoyé en Allemagne juste après la défaite nazie pour dialoguer avec Wernher von Braun, il avait publié des articles révolutionnaires sur la propulsion et figurait parmi les pères fondateurs du Jet Propulsion Laboratory. Mais, après avoir été accusé à tort de « sympathies communistes » par l’administration américaine, il a fini par perdre confiance dans sa terre d’accueil et rejoindre sa mère patrie. Nous sommes ainsi redevables du sénateur John Mac Carthy de nous avoir procuré sur un plateau, pour ainsi dire, le premier patron de la 5ème académie de notre ministère de la Défense, devenu ensuite le père de la fusée Longue Marche. Cela ne fut pas très facile, mais nous avons été aussi aidés par les soviétiques, jusqu’à la brouille de la fin des années cinquante. Et comme Tonton Mao admirait beaucoup monsieur Qian (Tsien) pour son talent, parce qu’il avait quitté les Etats-Unis et pour ses belles réussites en Chine, il l’a laissé oeuvrer en toute quiétude avec beaucoup de moyens, même au plus fort de la Révolution Culturelle ! Certes, nous avons pris du retard en électronique, quand mon oncle a voulu à une époque privilégier l’industrie lourde et la production d’acier. Mais nous rattrapons cela progressivement, avec le programme de recherche 863 lancé en mars 1986, où l’électronique figurait en bonne place aux côtés du spatial ; et depuis 2014 en injectant plus de 100 milliards de dollars dans quelques champions.

CAIA : La Chine a été parfois très audacieuse, en 2006 en aveuglant des satellites américains avec un laser, et peu après en détruisant un de ses vieux satellites avec un missile balistique...

M.L : Ah, oui, j’avais oublié cela... Il faut dire qu’à l’époque nous étions seulement le troisième acteur de l’espace ; et d’ailleurs, l’Inde vient juste de le faire elle aussi, n’est-ce pas ? De fait nous aimons être bien préparés... Votre Clausewitz n’a-til pas écrit « la guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens » ? Formule que Sun Tzu n’aurait sans doute pas reniée... Enfin, bon, n’allez pas me faire dire que la Chine lésine sur les moyens, avec presque 200 000 personnes et une dépense officiellement de l’ordre de 5 millards de dollars, en réalité, bien plus, consacrées à l’espace ! Car nous pensons que le spatial, c’est important pour la construction de mon pays. La Chine est, comme vous savez, dirigée par des ingénieurs et en forme plus d’un million par an. C’est une force considérable que nous savons désormais fixer et même faire revenir. Au fait, il me semble que votre jeunesse tend un peu à bouder les carrières scientifiques, comme c’est le cas depuis longtemps aux Etats-Unis. C’est dommage parce que vos écoles d’ingénieurs et vos meilleures universités sont excellentes. Pour preuve, elles ont la cote auprès de nos jeunes les plus brillants ! Je me félicite que les résultats soient là. Dès 2011, la Chine a fait plus de lancements que les Etats-Unis. Elle prévoit d’en faire une quarantaine cette année. Dans les satellites télécom, nous avons démarré en coopération internationale et nous gagnons en autonomie. Nous avons aussi lancé des satellites d’observation terrestre, de météo ... et même le programme Beidu, comparable au GPS et au Galileo européen, dont le déploiement devrait être achevé en 2020. Dans le spatial comme dans bien d’autres domaines, la Chine voit loin, travaille dur et s’organise, pour aller très loin, d’autant plus que c’est également stratégique. Je ne m’étendrai pas sur le militaire, il y aurait tant à dire, mais vous noterez tout de même que nous avons mis en place une intégration très poussée entre moyens spatiaux et moyens cyber / renseignement / Psyops au sein de la force de soutien stratégique de l’Armée Populaire de Libération, créée fin 2015. Mais revenons à nos affaires. Pour inspirer les plus jeunes et insuffler un esprit de conquête, nous avons fait du 24 avril la journée de l’Espace. Et si vous me parlez du projet d’exploration du 9ème Plan (2001 - 2006) de la planète Mars, qui revient en force après avoir été mis en veilleuse au profit du programme lunaire, je suis d’accord pour dire que, oui, en effet, la Chine ne manque pas d’audace. Et ce n’est pas tout ! Nous avons dans nos cartons un projet de zone économique entre la Terre et la Lune, construite par fabrication additive (pour exploiter des minerais et peut-être l’hélium 3 de la Lune), des projets de centrales solaires pour transmettre de l’énergie sur Terre par micro-ondes ou par laser... Bref, l’Espace est à la pointe de l’esprit de conquête qui nous anime et qui tend à perdre, hélas, son lustre chez vous. A côté des domaines cyber et numérique, le spatial n’a aucun souci pour recruter l’élite de nos ingénieurs. Tant mieux parce que même si nous allons très vite au plan opérationnel, nous avons encore du travail avant de vous rattraper dans certaines technologies de pointe. C’est le bon moment pour miser sur la convergence du numérique et du spatial afin de consolider nos atouts et figurer au premier rang.

CAIA : Chez nous, l’initiative privée et le New Space apportent une bouffée d’air frais au secteur spatial. Pensez-vous que la Chine va aussi pouvoir s’appuyer davantage sur une dynamique de marché ?

M.L : C’est une très bonne question. Effectivement, la Chine suit de près des sujets comme le microsatellite, le lanceur réutilisable, les avancées de Space X... Alors pour accueillir les bonnes idées d’où qu’elles viennent, y compris chez nous, nous avons libéralisé dès 2014 l’activité spatiale et déjà une bonne trentaine de sociétés privées sont nées, comme Linkspace, fondée en 2014 par un jeune passionné, qui développe un petit lanceur réutilisable dénommé New Line 1. Dans les petits lanceurs conventionnels, on trouve ExSpace, spin-off de la CASIC ; Landspace, fondée par l’université Tsinghua de Pékin en 2015 ; OneSpace et i-Space, qui visent le marché des microsatellites... Cette dernière a obtenu l’équivalent de 80 millions d’euros de financements par des acteurs comme Baidu, notre Google chinois. Il y a aussi Space Transportation Technology, qui a co-développé avec l’université de Xian un engin hypersonique destiné à tester des concepts pour des vols commerciaux hypersoniques. Dans le satellite, on trouve ZeroG Lab, qui a levé 3,2 mUSD. Par ailleurs, les banques et les fonds d’investissement chinois ont placé quelques gros tickets sur des acteurs américains du New Space. D’ailleurs, si vous avez une société à vendre dans ce domaine, vous serez bienvenu, je vous trouverai facilement un acheteur, sans avoir à traverser la rue... Vous voyez, la Chine pratique, elle aussi, l’open innovation. Ce n’est pas une idée complètement neuve ici : souvenez-vous, « que cent fleurs s’épanouissent »... Et si une de nos start-ups parvient à casser les prix du marché international, ce sera très bien.Ceci dit, ne rêvez pas trop, nous n’en sommes pas au point où la Chine va confier des lancements gouvernementaux à des acteurs internationaux du New Space.

Auteur

François Dudeck

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