LES NOUVEAUX ENJEUX DE L’EUROPE SPATIALE
2019, ANNÉE CHARNIÈRE
L’espace change: des acteurs plus nombreux en compétition dans un marché incertain, une industrie qui se restructure et se tourne vers les services, et surtout le mouvement “NewSpace” qui remet tout en cause en Europe. 2019 est une année clé pour ces défis avec en particulier le prochain Conseil Ministériel de l’ESA en Novembre.
Les enjeux institutionnels européens
L’Europe spatiale a fait ses preuves, en dépit d’un investissement public faible au regard des autres puissances spatiales : l’investissement public spatial représente 0,01 % du PNB européen contre 0,25 % pour les Etats-Unis et 0,22 % pour la Russie. Nonobstant, l’Europe est devenue première en termes de nombres de missions et de kilogramme en orbite par euro public investi dans le spatial, et est leader dans de très nombreux domaines scientifiques et de service public comme la météorologie par satellite.
Le premier enjeu institutionnel européen pour la politique spatiale est de s’assurer de l’efficience de cet investissement public, par une gouvernance adaptée à la coexistence des niveaux national, intergouvernemental et communautaire. Cette multitude de niveaux d’intervention et la diversité des partenariats et coopérations qui en résulte est une richesse pour l’Europe. Il faut noter en particulier l’intérêt fort porté par l’Union Européenne au spatial depuis le début des années 2000 ; désormais, plus d’un tiers du budget de l’ESA provient de l’UE. Aussi une gouvernance reflétant ces évolutions est-elle nécessaire, dont le principe directeur devrait être un renforcement des rôles de chacun sur ses domaines d’excellence et de compétence, le tout dans un esprit de subsidiarité bien compris. Ainsi l’Union Européenne devrait renforcer son rôle politique et donner au sein du Conseil Européen les grandes orientations en termes de politique spatiale européenne.
L’Union, au travers de la Commission Européenne, a également un rôle réglementaire essentiel pour permettre au secteur spatial européen de pouvoir concourir sur pied d’égalité avec ses compétiteurs, par exemple en ce qui concerne les politiques d’approvisionnement, le cadre juridique ou l’établisse-ment d’un marché institutionnel européen. L’ESA, dont la flexibilité programmatique et les compétences en gestion de projet ont fait leurs preuves au travers de succès comme Ariane et Vega, Rosetta/Philae ou Meteosat et Copernicus, ainsi que les agences nationales, doivent continuer à développer les grands programmes européens de science, d’exploration et d’infrastructure spatiales et à soutenir la compétitivité industrielle et l’innovation technologique. Enfin, la GSA, agence de l’UE pour l’exploitation des systèmes spatiaux développés par l’Union tels que Galileo et Copernicus, doit affermir son développement et sa maturité et travailler plus étroitement avec l’ESA dans une logique où l’ESA développe le segment spatial des infrastructures, y compris leurs générations futures, et la GSA les exploite, en lien avec les communautés d’utilisateurs pour définir et fédérer leurs besoins. Tous les acteurs institutionnels du spatial européen doivent par ailleurs renforcer leur partenariat avec l’industrie spatiale, dans une logique de partage des risques et des responsabilités, et de coopération étroite pour ce qui concerne le développement des programmes spatiaux proches du marché.
Un deuxième enjeu institutionnel concerne le développement de l’Espace militaire en Europe. Celui-ci a pour l’instant été limité, à la différence des autres grandes puissances spatiales qui ont utilisé la défense comme moteur de leur programme spatial, et développé essentiellement au niveau national, avec quelques coopérations bilatérales intra-européennes. Les programmes Galileo et Copernicus de l’UE et de l’ESA ont déjà des applications importantes pour la sécurité, et l’engagement renforcé de l’Union dans les questions relatives à la sécurité pourra permettre de combler le déficit de l’Europe en la matière. De ce point de vue, la création et la dotation financière annoncée du Fonds européen de la défense pour la période 2021 - 2027 constitue un pas dans la bonne direction, d’autant plus que ce Fonds devrait inclure un soutien à l’ensemble du cycle de développement industriel des produits de Défense, de la recherche au développement de prototype et à la certification.
Le défi du NewSpace
Le NewSpace fait quotidiennement la une des journaux, que ce soit pour les lanceurs de SpaceX ou l’alunisseur de Jeff Bezos. Ce mouvement est né aux USA de l’irruption des grands acteurs du numérique dans le spatial, à la fois à cause des capacités uniques du spatial pour la collecte et la distribution des données, et de l’intérêt de ces grands acteurs pour l’exploration spatiale et de leur conviction que l’Espace sera la nouvelle dimension de notre futur. Toutefois le NewSpace ne représente encore qu’une minorité des activités spatiales, moins de 10 % aux USA et de 3 % en Europe, même si ses méthodes et idées nous mettent tous au défi d’évoluer.
Aussi, l’émergence d’acteurs privés dans un secteur dominé jusqu’alors par le public, la démocratisation du spatial désormais accessible à tous, l’importance du marché plus que de la technologie, des services plus que de l’infrastructure, des coûts de production plus que de l’excellence technique, la prise de risque ac-crue, un rajeunissement et une plus grande diversité des acteurs individuels, sont des tendances qui s’imposent à nous – et c’est une excellente nouvelle pour l’Espace en général.
L’Espace a définitivement quitté la niche restreinte de ses débuts pour devenir une dimension essentielle pour la planète, les citoyens et l’économie. Nous ne pouvons plus vivre sans les services fournis par les systèmes spatiaux et notre futur dépendra sans doute de manière critique des ressources de l’Espace.
L’Europe commence à prendre la mesure du défi. Les grands industriels s’inspirent de ce mouvement et initient des start-ups, comme ArianeWorks incubée par Starburst. L’ESA et les agences nationales démarrent des initiatives innovantes telles les 18 Business Incubation Centers de l’ESA ou le « Grand Challenge » qui vise à créer des liens entre secteur spatial et non-spatial au travers d’un prix récompensant l’usage de technologies spatiales pour répondre aux problèmes d’autres secteurs (énergie, extraction de minerais). Les agences spatiales doivent apprendre à être encore plus réactives, plus flexibles, plus ouvertes à la prise de risque – et à investir dans les idées nouvelles!
2019, année clé pour le changement de paradigme du spatial au 21e siècle.
Les mois à venir seront cruciaux pour le spatial européen. D’une part, en novembre prochain, le Conseil ministériel de l’ESA - «Space19+ » - devra décider des prochains grands programmes européens, en particulier pour la science, l’exploration et le vol habité, les applications (suite du pro-gramme Copernicus, nouveaux partenariats avec industriels et opérateurs pour les télécommunications), et pour la sécurité des moyens spatiaux. C’est ensuite dans le deuxième semestre 2020 que devrait se dérouler le premier vol de la nouvelle génération d’Ariane, Ariane 6, qui devra démontrer sa compétitivité sur un marché de plus en plus concurrentiel. C’est enfin tout au long des deux prochaines années que sera décidée la part consacrée au spatial dans le cadre financier pluriannuel de l’UE pour les années 2021 - 2027, et donc que seront confirmés (ou non) le poids et l’ampleur des ambitions de l’UE pour l’Espace.
Il faudra alors, plus que jamais, utiliser au mieux cet investissement public, pour préparer les technologies, les applications et donc les emplois de demain, dans une société de la connaissance qui utilisera de plus en plus l’infrastructure spatiale au service de toutes ses politiques, telles que recherche, environnement, sécurité, éducation, développement, transport et mobilité.
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