L’AGENCE DE L’INNOVATION DE DÉFENSE
MISE EN ORBITE EFFECTUÉE
Décidée par Florence Parly, Ministre des armées en mars 2018, l’Agence de l’Innovation de Défense a été créée dans les textes en septembre 2018. La CAIA a interrogé Alexandre Barouh, son directeur adjoint et Jean Meyrat, responsable des tutelles et partenariats pour en savoir plus, avec bien sûr, un focus sur le spatial...
La CAIA : pourquoi une Agence de l’Innovation ?
Alexandre Barouh : La création d’une agence de l’innovation part de deux constats.
Tout d’abord, l’ère du contrôle régalien exclusif d’un ensemble profond de technologies est révolue. Cela dépasse la notion de menace asymétrique posés par des états voyous, car il est facile de se procurer, par exemple des drones, et même un petit groupe bien organisé pourra les armer, se procurer des outils de télécommunication chiffrées, d’attaque informatique, etc. : conséquence inéluctable de la « démocratisation » de nombreuses technologies avancées.
Par ailleurs, dans des domaines pointus comme l’informatique, les biotechnologies ou le spatial, l’initiative n’est pas complètement à la main des gouvernements. Elle est parfois même, en termes de réalisations, concentrée davantage dans celle de ténors de l’informatique comme Google ou Apple, dont la surface financière est considérable, plus largement au sein d’écosystèmes propices à une dynamique forte et protéiforme d’innovation, comme la Silicon Valley.
Il faut donc mieux faire coller les systèmes existants avec l’innovation d’où qu’elle apparaisse, comprendre les tendances susceptibles de modifier la menace, et puiser dans les dynamiques ambiantes pour préparer les ruptures de demain ; et ce, en pratique très vite.
Sur le haut du spectre, composé de développements au long cours au profit des programmes futurs, et d’innovations de rupture et supériorité opérationnelle dans des domaines comme la robotique, l’informatique quantique, l’IA, l’hypervélocité ou la cyberdéfense, le dispositif de maturation « top-down » doit être maintenu et même affiné au plan opérationnel et contractuel, pour mieux s’ouvrir sur les innovations externes. La revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017 met le doigt sur le levier numérique, qui permet de décupler la puissance des systèmes, et sur l’évolutivité de ces derniers, en complément de leur durabilité.
Ce levier doit être complété par des approches « bottom-up » visant à susciter, exploiter et intégrer en cycle court les innovations utiles. Pour illustration, le « détournement d’usage » du civil vers des fins terroristes (exemple : drones armées ou espions) constitue un type de menaces contre lequel il faut être en mesure de réagir selon un double impératif de largeur de spectre (imaginer un ensemble large d’utilisations mal intentionnées, puis les analyser et les filtrer en termes de réalisme), et d’agilité (répondre vite à une menace avérée). A contrario, la dynamique d’innovation ambiante crée de nombreuses opportunités de progrès, qu’il convient de pouvoir capter selon le même double impératif. Dans les deux cas, il faut créer une porosité maximale avec lesstart-ups, les centres de recherche publics et privés, les universitaires, les réseaux d’innovation, etc., en cultivant une logique de réseau et même de réseau de réseaux.
De multiples dispositifs existaient déjà pour susciter et développer l’innovation : Astrid et Rapid, pour soutenir les projets au stade de concept ou un peu plus avancé ; plus récemment Definvest, pour soutenir le développement de PME stratégiques pour la défense ; des concours d’innovation ... sans parler de l’innovation participative pratiquée depuis 30 ans par le ministère. Mais il était devenu impératif qu’un chef d’orchestre apparaisse pour impulser l’optique évoquée ci-dessus de manière plus systématique : coordonner ces dispositifs et plus largement orienter et piloter l’innovation au profit des besoins futurs notamment des programmes d’armement ;
- susciter, capter et accélérer les dynamiques d’innovation pertinentes notamment civiles – notamment avec un « guichet unique » d’actions de soutien et l’innovation defence lab qui remplace le DGA Lab ;
- accélérer la valorisation et le déploiement des innovations vers ceux qui en ont besoin, plus particulièrement les opérationnels ;
- accompagner l’évolution culturelle au sein du ministère, consistant à passer du zéro risque à un risque maîtrisé dans le cadre d’une politique ministérielle de l’innovation, qu’il convient de « solubiliser » dans les achats.
C’est le rôle de l’Agence de l’innovation de Défense, instituée par arrêté du 30 août 2018, composée de quatre pôles réunissant au total une centaine de personnes.
Au titre de la Loi de Programmation Militaire 2018, elle disposera d’un budget d’innovation de 1 G€ au programme 144 en 2022, contre 730 M€ en moyenne dans la précédente. Elle assurera aussi la co-tutelle des établissements technologiques clé abondés par le programme 191 (recherche duale) : Cnes, part duale du CEA, ISL et Onera.
La CAIA : quelle est la situation dans le spatial ?
Jean Meyrat : Le secteur spatial a été télescopé dans ses composantes traditionnelles (lanceurs en particulier) et régaliennes par la diminution drastique du coût d’accès à l’espace, notamment grâce à des nouveaux process industriels, y compris jusqu’à ouvrir le champ des usages civils. Ce domaine illustre donc parfaitement les évolutions mentionnées ci-dessus, avec en particulier l’éclosion d’une offre de tourisme spatial qui emportera probablement à terme une banalisation du spatial en tant que moyen de transport intercontinental.
Le « newspace » nous pose donc un énorme défi, à la fois concret, parce qu’il apporte des solutions nouvelles très compétitives, et profond, parce qu’il remet en cause un postulat qui s’était inscrit de manière plus ou moins explicite dans notre culture : « le spatial c’est cher et on n’a pas droit à l’erreur ». Dans ce contexte, très peu de choses peuvent être considérées comme acquises et éternelles.
Mais on peut aussi discerner dans cette effervescence, comparable aux années vingt pour l’automobile (Ford), un formidable gisement d’opportunités. Au sein de l’ADI, nous avons une appétence forte pour voir le verre à moitié plein.
Par exemple, nous soutenons le développement d’une nouvelle filière de nanosatellites à bas coût, NanoSat Angels.
Nous avons même lancé récemment un premier challenge auprès d’écoles d’ingénieurs, concernant les satellites (voir plus loin).
Toutefois, il reste essentiel que nous gardions la maîtrise exclusive de certaines technologies, si nous voulons réellement peser demain dans la constitution d’un nouvel ordre spatial international.
Propos recueillis par Frédéric Tatout
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NANOSAT ANGELSLe développement de démonstrateur Angels (Argos Neo on a Generic Economical and Light Satellite), engagé en mars 2017, vise à structurer une nouvelle filière industrielle de nanosatellites (moins de 50 kg) de coûts et délais de réalisation réduits et de flexibilité fonctionnelle accrue, offrant des systèmes plus résilients au bénéfice d’utilisateurs de la Défense, sous forme de constellations. Cette filière sera particulièrement apte à des missions opérationnelles de type radiofréquences pour la collecte de données (par exemple Argos, AIS) ou la surveillance de spectre, et scientifiques. L’Agence de l’innovation de défense soutient ce projet par le biais d’un financement sur programme 191, recherche duale. L’innovation est disruptive tant au niveau technique qu’au niveau de la gouvernance. La dynamique créée entre le Cnes et Nexeya s’inscrit dans le NewSpace à la française. Lors du premier Forum Innovation Défense du 22 au 24 novembre 2018 à la Cité de la Mode et du Design à Paris, Jean-Yves Le Gall, Président du Cnes, a présenté le programme Angels à la ministre des Armées. Le satellite devrait être lancé fin 2019. |
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