UN ESPACE DE RESSOURCES NATURELLES
L’espace est un nouveau monde qui n’a pas manqué d’attirer les convoitises pour les ressources qu’il peut receler. Les états d’abord ont cherché à légiférer avec des textes parfois contradictoires, des entreprises se sont créées et des missions d’exploration ont même été lancées. Bien que pour le moment, les conditions techniques d’exploitation soient loin d’une faisabilité et encore plus d’une rentabilité, les ressources spatiales pourraient devenir une clef d’accès à la vie extra-terrienne ou à des technologies à haute valeur ajoutée...
En donnant la possibilité juridique à tout citoyen américain d’explorer et de récupérer à des fins commerciales les ressources de l’espace extra-atmosphérique, le SPACE Act de 20151, visant à fournir «un environnement plus favorable à la croissance d’une industrie spatiale commerciale en développement, en encourageant l’investissement du secteur privé et en créant des conditions réglementaires plus stables et prédictibles»2, constitue à n’en pas douter un événement majeur dans l’histoire de l’exploration spatiale.
Il s’agit en effet d’un changement de paradigme par rapport aux principes qui régissaient, et continuent de régir, le droit sur l’utilisation de l’espace. Ces principes reposent notamment sur le traité de l’espace de 1966, auquel les Etats-Unis sont partie depuis son origine, dont l’article 2 stipule : «L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’une appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen.»
Le législateur américain, sentant une difficulté à concilier le SPACE Act et le traité de 1966, a pris la précaution de préciser que le droit des citoyens américains sur les ressources de l’espace doit se faire «dans le respect des obligations internationales des Etats-Unis», et que «le Congrès ne considère pas que, par cette loi, les Etats-Unis proclament leur souveraineté ou des droits ou une juridiction exclusifs ou souverains sur un quel-conque corps céleste».
Décider si ces deux textes sont effectivement conciliables constitue une problématique intéressante, bien entendu. Mais de même que le contexte géopolitique a profondément changé depuis 1966, force est de constater que ces deux textes agissent sur des domaines distincts: là où le traité de 1966 se plaçait sur le plan politico-militaire, le SPACE Act, en permettant la possession, le transport, l’utilisation et la vente de ressources de l’espace, se place sur le terrain économique, ce qui, en première approche tout au moins, est tout à fait différent.
Il ne s’agit plus d’empêcher la proclamation de souveraine-té d’un Etat sur un territoire ou bien la mise en place d’installations militaires dans l’espace; le but du SPACE Act est avant tout d’encourager les initiatives et l’investissement privés en vue d’une exploitation des ressources de l’espace, que ce soit de l’eau ou des minéraux, comme s’il s’agissait de ressources naturelles de la croûte terrestre. Sans que le champ d’application du SPACE Act s’y limite, celui-ci mentionne en particulier les ressources situées au sein d’astéroïdes, ces derniers n’étant vus que comme des gisements de matières premières, qu’ils fassent quelques mètres ou des centaines de kilomètres de diamètre.
En effet, certains astéroïdes, dits de type «S», ont une valeur économique potentiellement considérable du fait de leur teneur élevée en métaux tels que le fer, le cobalt et le nickel, ainsi que des trace significatives en métaux précieux comme le platine ou l’or. D’autres astéroïdes, plus rares cependant, ont des teneurs en métal jusqu’à dix fois plus élevées (on les appelle astéroïdes de type «M»).
Véhicule minier sur un astéroïde (image d’artiste de la Nasa)
L’eau constitue une autre ressource pouvant être librement récupérée et exploitée au titre du SPACE Act. Pour quelle raison le législateur américain a-t-il pris la peine de le mentionner, alors que l’eau est très abondante et peu coûteuse sur Terre ? Précisons déjà que de l’eau se trouve en quantité au sein d’un troisième type d’astéroïdes, dit de type «C», riche en carbone. Cette eau pourrait être utilisée en tant que telle par les missions spatiales habitées, réduisant ainsi la masse de ces missions au départ de la Terre; elle pourrait également servir à fabriquer du carburant pour les véhicules spatiaux (en séparant hydrogène et oxygène).
Egalement attiré par la valeur considérable des ressources minérales situées dans l’espace, un autre pays, le Luxembourg, a légiféré, en 2017, dans le même sens que les Etats-Unis. La loi luxembourgeoise du 20 juillet 2017 sur «l’exploration et l’utilisation des ressources de l’espace» stipule ainsi que: «Les ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation».
Quelques entreprises ont même été créées avec pour objectif de parvenir à une exploitation «minière» des ressources de l’espace. Citons notamment deux d’entre elles, qui sont implantées à la fois aux Etats-Unis et au Luxembourg : Planetary Resources, fondée en 2009 sous le nom Arkyd Astronautics, qui se félicite d’ailleurs du lobbying qu’elle a exercé dans le cadre du SPACE Act, et Deep Space Industries, fondée en 2012. Le site américain de cette dernière est emblématique de la double culture de ces entrepreneurs: dans la Sillicon Valley, proche du centre de recherche Ames de la Nasa; à la fois la culture de l’exploration spatiale et la foi des créateurs de start-up...
Car toutes ces potentialités sont certes séduisantes, mais encore faut-il pouvoir les concrétiser, c’est-à-dire pouvoir récupérer physiquement ces ressources. Et y parvenir nécessitera encore beaucoup de temps et d’argent!
Pour donner un aperçu de l’ampleur des défis technologiques, évoquons par exemple la mission américaine OSIRIS-REx, dont le but est d’étudier l’astéroïde géo-croiseur3 Bénou et d’en ramener un échantillon sur Terre. Cette sonde, dont la mission aura duré 7 ans et coûté 800 millions de dollars (hors lancement), ne sera finalement en contact avec l’astéroïde que pendant 5 secondes et ne devrait récupérer qu’un échantillon de poussière de 60 g et 2 kg! On comprend bien que l’on est encore bien loin d’une exploitation économiquement rentable... Une des raisons est que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les astéroïdes présentent une difficulté particulière: leur masse très faible, comparée à celle d’une planète ou même d’un satellite tel que la Lune, se traduit par une gravité quasiment nulle, et donc par une difficulté accrue pour tout engin spatial de maintenir un contact prolongé avec un astéroïde...
Entre l’optimisme débordant de quelques entrepreneurs et la prudence qu’il convient d’adopter face aux gigantesques investissements que requerrait la concrétisation de tels projets, difficile de savoir si ces initiatives ont une chance quelconque d’être un jour rentables (financièrement, énergétiquement...). Mais comment ne pas les trouver passionnantes? D’autant que ces projets d’exploitation «minière» des ressources de l’espace comportent une dimension géostratégique. Il pourrait en effet s’agir d’une nouvelle source d’approvisionnement de minerais qui, sur Terre, seraient devenus trop rares ou inaccessibles. Comment ne pas penser par exemple aux terres rares, ces éléments chimiques essentiels aux technologies de l’information de notre quotidien, mais aussi à la production d’énergies non fossiles, tels que les panneaux photovoltaïques, produits en quasi-totalité en Chine ?
1 : Dans le présent article, à l’instar de nombreux autres articles de presse, on appelle SPACE Act la loi américaine n° 114-90 approuvée par le Président des Etats-Unis le 25 novembre 2015, bien que SPACE Act ne soit en fait le nom court de la première partie de cette loi.
2 : Traduction de l’auteur du présent article
3 : Un objet géocroiseur est un objet qui, au cours de son orbite autour du Soleil, passe à proximité de l’orbite de la Terre.
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