LES ENJEUX TECHNOLOGIQUES DU SCAF
Plusieurs voies sont possibles pour tenter de répondre à cette question. Une approche par plateforme ou par découpage industriel pourrait être suivie, mais l’approche proposée ici s’intéresse en premier lieu au « pourquoi ? » : le SCAF doit tout d’abord voler, puis survivre, pour enfin produire des effets militaires.
Voler !
Cela pourrait passer pour une lapalissade, mais tout bon système aérien se doit d’abord de voler. Or les enjeux technologiques qui se cachent derrière sont loin d’être maitrisés par tous et sont encore l’objet de recherches. Peuvent être cités ici les commandes de vol électriques, le contrôle aérodynamique des plateformes, les interfaces hommes machines, l’architecture logicielle du système qui doit viser une certaine résilience en cas de panne, la gestion de l’énergie à bord, l’hybridation électrique des systèmes, leur refroidissement, la tenue en température des matériaux, l’amélioration des rendements de la motorisation…
Survivre…
Reprenons par étape une chaine d’engagement typique, afin de montrer la difficulté à survivre dans le monde moderne, et les enjeux technologiques qui le permettent :
Proposition de réaction face à la chaine d’engagement ennemi |
Enjeux technologiques associés |
||
1. |
|
Ne pas être détecté. |
Furtivité, Capacité de suivi du terrain,… |
2. |
Si vous êtes détecté, |
ne pas être reconnu. |
Guerre électronique |
3. |
Si vous êtes reconnu, |
ne pas être identifié. |
Guerre électronique, Leurres,… |
4. |
Si vous êtes identifié, |
ne pas être localisé. |
Guerre électronique |
5. |
Si vous êtes localisé, |
ne pas être mis en piste. |
Guerre électronique, Leurres,… |
6. |
Si vous êtes mis en piste, |
ne pas être engagé. |
Guerre électronique, Attaque cyber, Vélocité |
7. |
Si vous êtes engagé, |
ne pas être la cible d’un tir. |
Guerre électronique, Attaque cyber |
8. |
Si vous êtes la cible d’un tir, |
ne pas être atteint par le tir. |
Guerre électronique, Vélocité, Manœuvrabilité, Leurres, Lasers |
9. |
Si vous êtes atteint par un tir, |
ne pas être détruit par le tir. |
Résilience des systèmes, Blindage |
10a |
Si la plateforme est détruite, |
ne pas être tué. |
Système d’éjection et de survie du pilote |
10b |
Si la plateforme est détruite, |
ne pas révéler d’informations compromettantes. |
Zéroïsation des mémoires de la plateforme |
Cassez un élément de cette chaine, et vous aurez une chance de survie. Pour plus de sérénité, visez d’abord les premiers maillons de la chaine…pour vous laisser l’occasion de briser un des suivants en cas d’échec…
Illustrons ce tableau par quelques exemples historiques tirés de systèmes aériens :
|
Menace prioritaire |
Design dont la survie repose surtout sur… |
Adaptation de la menace |
SR-71 |
Intercepteur russe |
La vitesse |
MiG-31 |
U-2 |
Sites Sol-Air |
L’altitude de vol |
Augmentation des portées en altitude |
A-10 |
ZSU-23, SA-7,… |
La redondance et le blindage |
Augmentation des calibres et des charges de missiles |
B-2 |
Système de détection longue portée |
La furtivité |
Démultiplication des capteurs |
Prowler / Growler |
Sites Sol-Air |
La guerre électronique |
Extension des bandes de fréquences |
Il n’est aujourd’hui plus possible de miser sur un seul aspect pour espérer survivre pendant des décennies : l’U-2 pouvait initialement voler au-dessus de ses menaces potentielles, jusqu’à ce que l’adversaire trouve la parade... Face à l’évolution des menaces, il nous faut à la fois rechercher
1) la bonne performance dans chaque domaine (manœuvrabilité, furtivité, vitesse,…) face aux menaces ;
2) le bon compromis (aérodynamique, soutenabilité financière,…) par plateforme ;
3) la capacité du système global à durer, se reconfigurer face à des menaces qui :
- se multiplient (cyber, lasers,…),
- se disséminent (achat par des puissances moyennes de systèmes performants, récupération par des bandes armées,…)
- et s’adaptent (portée des missiles, puissance des capteurs,…).
Ces éléments nous poussent à rechercher la complémentarité entre des plateformes aux caractéristiques différentes (habitées vs non habitées, subsoniques vs supersoniques,…). La présence de plusieurs types de plateformes, apportant chacune leur plus-value, complexifiera ainsi le travail de nos adversaires pour s’adapter à notre système. Tout cela tire des besoins technologiques en gestion de patrouilles hétérogènes, système de préparation de mission, intelligence artificielle, IHM…
…pour produire un effet militaire
Le but de tout ce qui précède est bien de permettre à des plateformes alliées d’être en mesure de produire un effet. Cet effet peut être :
- a) de détecter, reconnaitre, identifier, localiser des menaces et cibles potentielles, puis d’évaluer les effets d’un éventuel tir : les enjeux technologiques associés sont principalement les capteurs optroniques et radio-fréquences ;
- b) d’effectuer des tirs sur ces cibles : les enjeux technologiques associés sont principalement les conduites de tir, les aspects de navigation précises en environnement brouillé (sans GPS) et pour les munitions, les aspects de miniaturisation, de tenue aux températures et accélération élevées, de pyrotechnie,…
- c) de partager une situation tactique, et de rendre compte : les enjeux technologiques associés sont principalement les communications à haut débit, à faible probabilité d’interception,…
Quelles voies possibles ?
Tout l’enjeu des décennies à venir est de parvenir à relever ces différents défis technologiques tout en maitrisant la courbe des coûts, notamment par l’apport de la simulation. Cela nous conduit aussi à rechercher des approchantes innovantes, en rendant autant que possible les technologies agnostiques des plateformes sur lesquelles elles peuvent être utilisées, pour une meilleure communalité et capacité d’adaptation, en facilitant ainsi la fusion de capteurs multiplateformes.
Dans “Les fondements de la stratégie navale au XXI siècle” (Editions Economica, 2011), Joseph Henrotin décrit 3 mutations ayant touché le domaine naval au cours de dernières décennies :
- la mutation de la modularité ;
- la mutation de la marsupialisation qui « implique de considérer le bâtiment comme une plateforme disposant d’une capacité d’action et/ou d’observation qu’il peut déporter » ;
- la mutation de la réticulation : « le concept de guerre réseau-centrée (…) permet de passer d’une approche fondée sur les plateformes à une optique fondée sur leur réticulation et la puissance qu’elles étaient, ensemble et par leur combinaison, en mesure de générer ».
Dans le domaine aérien, la modularité peut se voir dans la multiplication et la diversification des pods (ravitaillement, reconnaissance, guerre électronique,…), la marsupialisation, dans l’émergence des Remote Carriers, et la réticulation dans la diversification des plateformes au sein de l’architecture du SCAF et leur interconnexion par la montée en puissance du Cloud de Combat.
Mathieu Ducarouge, Architecte de cohérence technique SCAF à la DGA
Architecte de Cohérence Technique du SCAF. X-SupAéro, Mathieu a été directeur d’essais à DGA EM site du Levant, avant de rejoindre DGA IP, d’abord en tant qu’architecte sur les moyens de simulation d’aéronefs, puis en tant qu’architecte sur les études amont d’aviation de combat.
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