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01 juin 2021

NEURON : UNE COOPÉRATION EXEMPLAIRE

Publié par Jean-Marc Gasparini, VP Dassault Aviation | N° 123 - COOPERATION AERONAUTIQUE EUROPEENNE

Premier démonstrateur de drone de combat furtif européen, le nEUROn est le fruit d’un programme en coopération qui a totalement respecté le triptyque coût-qualité-délais. Quelles sont les raisons de ce succès ?


Le nEUROn est un démonstrateur technologique de véhicule de combat aérien sans pilote à bord . Il a été développé sous la maîtrise d’ouvrage de la DGA et sous la maîtrise d’œuvre de Dassault Aviation, en coopération avec les équipes industrielles de cinq autres pays : Alenia (Italie), SAAB (Suède), Airbus-CASA (Espagne), Hellenic Aerospace Industry (Grèce) et RUAG (Suisse).

Le déroulement du programme

Le programme nEUROn a été lancé en 2003 à l’initiative du gouvernement français. Le travail de développement a commencé en 2006. Le premier vol a eu lieu à Istres le 1er décembre 2012. Dans les mois qui ont suivi, le nEUROn a fait l’objet d’une évaluation de ses performances de furtivité dans la chambre anéchoïde de la DGA à Bruz. Les essais en vol ont ensuite repris en France, en Italie et en Suède, et le cap des cent vols a été franchi le 26 février 2015. De 2016 à 2018, la DGA a organisé trois nouvelles campagnes nationales d’essais du nEUROn pour étudier notamment l’utilisation d’un drone de combat dans un contexte naval et pour réaliser de nouvelles confrontations face à des systèmes opérationnels. Fin 2016 et début 2017, une série supplémentaire de mesures de signature électromagnétique a été effectuée à Bruz afin de confirmer les performances de furtivité après plus de 130 cycles. Depuis 2019, de nouveaux vols d’essais ont lieu.

Les résultats obtenus

Durant tous les tests, au sol ou en vol, le nEUROn et les moyens associés ont fait preuve d’une disponibilité et d’une fiabilité exemplaires. Et surtout, les objectifs techniques assignés au programme ont tous été atteints :
- l’exécution d’une mission air-sol, basée sur la détection, la localisation et la reconnaissance de cibles au sol, de façon autonome ;
- l’évaluation de la détectabilité d’une plate-forme furtive face à des menaces sol et air, tant dans le domaine de la signature radar que dans celui de la signature infrarouge ;
- le tir d’armements réalisé à partir d’une soute interne, dans des délais de réactivité très courts.

A travers ces missions de démonstration, le but était aussi de valider des technologies de commandement et de contrôle d’un véhicule sans pilote à bord, d’une taille équivalente à celle d’un avion de combat, disposant de tous les modes secours nécessaires pour garantir le niveau de sécurité requis. Cet appareil devait également avoir la capacité de s’intégrer dans un réseau info-centré.
Les performances mesurées lors des différents essais, conduits avec la DGA et les armées, témoignent de l’étendue de l’avance technologique et de la maitrise des savoir-faire stratégiques, comme la furtivité, obtenues par la France et Dassault Aviation grâce à ce démonstrateur. Celui-ci confère naturellement à notre pays un rôle de leader dans l’aéronautique de combat en Europe.
De fait, les données et enseignements obtenus avec le nEUROn, notamment dans le domaine de la furtivité et de l’aérodynamique, sont utilisés avec profit aujourd’hui pour le programme NGF (New Generation Fighter) . C’était bien l’ambition initiale en 2003 : contribuer au développement de compétences clés pour le futur de l’aviation de combat ; maintenir un continuum entre le Rafale, qui entrait en service, et la génération suivante prévue pour 2040. Si l’on ajoute que le budget du programme (400 millions d’euros) et le calendrier ont été respectés, on peut dire que le nEUROn est une vraie réussite. Les lignes qui suivent ont pour but de mettre en lumière les facteurs de ce succès.

Un nouveau modèle de coopération

Quand le nEUROn est en gestation, au début des années 2000, la coopération en matière de programmes militaires a la réputation d’être un art difficile. Plusieurs exemples ont montré une certaine inefficacité, notamment pour maîtriser les coûts et les délais . Les raisons en sont les suivantes :
- absence de définition commune du produit, ce qui conduit à de multiples versions alors que les mêmes pays européens, lorsqu’ils achètent un matériel américain, acceptent la définition qui leur est proposée… ;
- pas de maître d’œuvre, ni de maître d’ouvrage clairement identifiés ;
- un choix des industriels coopérants non en fonction de leur compétence mais des technologies qu’ils souhaitent acquérir en participant au programme.
Dès lors, les architectes du programme nEUROn ont conscience qu’il faut redonner foi en la coopération aux Européens, sous peine de les voir se tourner définitivement vers les produits américains. Il s’agit de bâtir un programme véritablement exemplaire qui démontrera, non seulement, une capacité technologique pour préparer l’avenir, mais aussi une capacité méthodologique pour travailler efficacement à plusieurs.

La fédération des compétences

Le programme nEUROn est donc organisé de la manière suivante :
- une agence d’exécution unique, la DGA française, qui attribue le contrat principal au maître d’œuvre et gère le projet ;
- un maître d’œuvre unique, Dassault Aviation, responsable de l’exécution du contrat principal.
En fonction des objectifs fixés par la DGA, Dassault Aviation confie environ 50 % de la valeur des travaux à des partenaires européens, choisis à l’issue d’une sélection sévère, basée sur des critères précis :
- l’excellence et les compétences : l’objectif n’est pas de créer de nouvelles capacités technologiques en Europe, mais de tirer le meilleur bénéfice des compétences existantes et de répartir les tâches en fonction des savoir-faire démontrés par chaque partenaire ;
- la compétitivité : le projet a l’ambition de trouver de nouveaux moyens de réduction des coûts ; chaque partenaire, en complément de son excellence technologique, est invité à garantir le meilleur rapport coût–efficacité ;
- l’engagement budgétaire de chaque gouvernement : l’une des conditions fixées par la DGA française implique que chaque pays participant au programme nEUROn contribue à son financement ; pour plus de souplesse, il n’est pas appliqué un principe de « retour sur investissement géographique » ; ce point a été négocié au niveau des gouvernements des pays partenaires.

L’utilisation des bons outils

Capitalisant sur l’expérience acquise au cours de projets antérieurs, nEUROn a été le premier aéronef militaire au monde à être entièrement conçu et développé en « plateau virtuel », dans un environnement PLM (Product Lifecycle Management). Ce processus numérique, porté par les solutions de Dassault Systèmes, permet aux partenaires de travailler simultanément, en temps réel, sur la même base de données informatique, quel que soit le lieu d’exécution des travaux.
Toutes les équipes engagées dans le programme se connaissent grâce au travail initial de développement mené en commun au sein du « plateau physique » mis en place chez Dassault Aviation à St-Cloud. Après cette phase préliminaire, sont utilisés au quotidien les outils collaboratifs distants du « plateau virtuel ». Ces mêmes équipes se retrouvent ensuite au pied de l’avion ou sur banc d’intégration. Cette organisation spécifique et innovante, alliance équilibrée de l’humain et du numérique, a grandement favorisé la réactivité nécessaire pour résoudre rapidement les faits techniques identifiés durant le développement.

Conclusion

Le programme nEUROn a permis aux bureaux d’études européens de développer des technologies et des compétences clés pour le futur de l’aviation de combat. Il a assuré la transition vers les programmes d’aujourd’hui, dans une période où les budgets de défense étaient très contraints. Il a donné un nouvel élan à la coopération européenne en proposant un modèle pragmatique et innovant en termes de gestion et d’organisation. Avec le nEUROn, six États européens ont réussi la performance de faire voler un démonstrateur d’UCAV furtif juste après les Etats-Unis et pour un coût très nettement inférieur.

 

 

Jean-Marc Gasparini, VP Dassault Aviation 

Jean-Marc Gasparini devient pilote de chasse puis pilote d’essais. Il rejoint ensuite Dassault aviation ou il devient directeur du programme Rafale puis vice président exécutif, directeur des programmes militaires et spatiaux.

 

Auteur

Jean-Marc Gasparini, VP Dassault Aviation

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