LES MATÉRIAUX QUI CONNAISSENT LEUR USURE : SCIENCE-FICTION OU RÉALITÉ ?
Les innovations ne reposent pas sur des technologies de rupture, mais sur la capacité à utiliser ces technologies comme vecteurs de transformation des organisations qui les mettent en œuvre.
Dans cette logique, les multiples applications de l’impression 3D métallique peuvent révolutionner le maintien en conditions opérationnelles (MCO).
L’usure : un ennemi redoutable – Des facteurs aggravants
L’usure, « détérioration progressive par frottement, érosion, utilisation » mais aussi « affaiblissement, altération d’une qualité, de la santé » touche de nombreux domaines, équipements et systèmes, du monde du vivant à l’économie, et revêt des formes variées, plus complexes dans des environnements sévères. Elle est un ennemi redoutable par la criticité des dommages qu’elle génère malgré des avancées scientifiques et des progrès technologiques constants : impact en coût (quelques % du PIB) mais aussi opératif ou stratégique (interruption de la mission).
Du fait de la combinaison de conditions extrêmes d’environnement et d’un usage intensif des matériels lié aux conditions d’engagement actuel de nos forces armées, l’usure voit sa valeur s’accroître d’un ordre de grandeur et plus selon les véhicules ou composants. « Faire face à l’usure prématurée des matériels », « compenser le vieillissement des matériels, l’usure induite par le fort niveau d’engagement » sont d’ailleurs des objectifs inscrits dans la LPM.
Les solutions pour lutter contre l’usure
L’usure est à prendre en compte dès la conception en choisissant les matériaux et les traitements les plus à même de conférer les propriétés nécessaires à leur usage. Le choix des matériaux s’effectue sous l’angle de l’ingénierie mais aussi du design. Le numérique permet de corréler des attributs de performance (physique, mécanique, thermique, électrique…) avec l’univers des procédés, en prenant en compte également le coût ou l’impact environnemental.
La modélisation et la simulation des phénomènes d’usure, de nouvelles technologies telles la fabrication additive permettent d’élaborer les structures les plus adaptées avec de nouveaux matériaux plus résistants, plus légers, voire autoréparables, pour améliorer les performances des systèmes au long de leur cycle de vie. Mais certaines données sont encore manquantes, et les modèles comportementaux très perfectibles, c’est pourquoi ces axes restent au cœur des feuilles de route des laboratoires.
Le monitoring, vers une maintenance conditionnelle et prédictive
La surveillance ou le monitoring, via des capteurs spécifiques positionnés au niveau des éléments critiques s’est largement développée pour différentes raisons, dont une des plus notables est la sécurité des personnes. Un exemple qui illustre cette nécessité, de par la cause de l’avarie, la complexité des machines utilisées et les niveaux de contraintes en service vus par certains composants, est le train épicycloïdal d’hélicoptère.
L’optimisation du suivi de l’usure des matériaux est donc essentielle afin de prévenir les accidents, optimiser la maintenance et diminuer les temps d’immobilisation.
A défaut de disposer de matériaux intelligents communicants, la mise en place d’une maintenance conditionnelle et prédictive est indispensable. Elle repose sur l’utilisation de capteurs assurant la collecte de données représentatives de l’état de santé des matériaux et composants (vibratoires, acoustiques, ultrasons, températures, courants…).
Les nouvelles technologies sont un levier pour la maintenance prédictive : réseaux de neurones, modèles et algorithmes d’apprentissage, extraction des caractéristiques déterminantes, estimation du potentiel de vie résiduelle… sont autant d’outils pour apporter une connaissance sur l’usure. Toutefois, l’utilisation des capteurs présente des limites (durabilité, fiabilité…). Leur autonomie reste un enjeu en termes de recherche et d’innovation avec différents axes d’efforts autour notamment de l’optimisation de la récupération d’énergie (vibrations…), de la réduction de la consommation énergétique en fonctionnement. La fiabilité des capteurs doit particulièrement être améliorée pour les réseaux sans fil.
Vers des matériaux intelligents, autoréparables et communicants
Si la voie du monitoring permet de pallier les inconvénients liés à l’usure, une autre voie émerge à travers les matériaux eux-mêmes : matériaux sensibles, adaptatifs et évolutifs, matériaux hybrides, avec l’ajout de propriétés/fonctionnalités via de nouvelles technologies telles l’impression 3D. Transformer le matériau en un système nerveux par des réseaux de capteurs n’est plus une vision futuriste mais le changement d’échelle est difficile à franchir. Il s’agit en effet de transposer les acquis macroscopiques (possibilités de surveillance et d’actions correctives que procurent les capteurs) à l’échelle nano pour conférer au matériau des propriétés d’autodiagnostic et de communication. Certaines briques technologiques (ex. nanocomposites stimulables jouant le rôle d’éléments sensibles incorporables, électronique organique) émergent pour relever ce défi.
Le concept de matériaux super-intelligents communicants ou vivants, stimule les recherches : dissémination dans la matière de nanoréseaux de capteurs ou d’antennes, d’actuateurs, de moyens de produire de l’énergie à l’échelle moléculaire…
Une autre approche, qui a pris son essor dans les années 2000, est celle de l’autoréparation ou auto-cicatrisation, inspirée des facultés remarquables du vivant en la matière. L’auto-cicatrisation peut être obtenue au moyen d’un agent cicatrisant qui s’active dès l’apparition d’un dommage ou de manière non autonome, via une intervention extérieure (température, énergie lumineuse, …). Elle est caractérisée par une échelle de temps (min. des mois) et un facteur de récupération. Les polymères, facilement fonctionnalisables ou modifiables, sont les matériaux les plus étudiés et aboutis pour l’auto-cicatrisation (encapsulation de l’agent actif, approche bio-inspirée de type réseau vasculaire ou capillaire, nano et micro-structurées imitant la peau, …). Le mariage de la fabrication additive (qui permet de concevoir des formes et des structures de plus en plus complexes) au bio-mimétisme s’avère très prometteur.
On observe dans ce domaine un foisonnement de travaux : biomatériaux composites plus résistants et capables de s’auto-réparer, systèmes hybrides organiques-inorganiques dynamiques à base de polymères élastomères, matériaux thermosensibles pour auto-cicatrisation de tissus mous, peau sensible à la température et la pression, autoréparable, intégrant de nombreux capteurs, de quoi réaliser des robots ressentant la chaleur, le froid et le toucher ! Ainsi, la DARPA a lancé en 2016 le programme « Engineering Living Materials » en vue de réaliser des infrastructures pouvant s’ériger rapidement, s’auto-réparer et s’adapter aux changements de l’environnement, en incluant des matériaux biologiques vivants qui possèdent ces propriétés (réalisés par impression 3D).
Ces avancées atteignent progressivement le marché à l’instar du pneu connecté équipé de capteurs permettant de contrôler son état et de recueillir des données sur son environnement (état de la route), doté d’une peau autoréparable. Conclusion Le suivi de l’usure des matériaux est indispensable à titres préventif, curatif, stratégique et économique. Si le monitoring est encore de rigueur, l’utilisation de technologies telles la fabrication additive et l’IA, les avancées dans les domaines de la chimie, de l’ingénierie des matériaux bio-inspirés laissent envisager de nouveaux matériaux aux propriétés inédites conférant à la matière des capacités d’auto-surveillance, d’autoréparation et de communication. De quoi susciter et stimuler de nombreux travaux de recherche !
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