LES SOUS-MARINS PASSENT AU GARAGE : UNE JOURNÉE AU SSF TOULON
Qui veut voyager loin ménage sa monture. Lorsque la monture est un sous-marin nucléaire d’attaque, l’entretien se passe au port base de Toulon. Les équipes de Naval Group, maître d’œuvre, s’affairent quotidiennement pour assurer l’entretien préventif et correctif de la flotte sous-marine, pilotées par le Service de Soutien de la Flotte (SSF).
Il est 8h sur le port militaire de Toulon. Trois coups brefs de corne de brume interrompent le va-et-vient des véhicules : un Porte Hélicoptères Amphibie (anciennement BPC de type Mistral) appareille pour le Liban.
Sur le quai des sous-marins, je patiente aux côtés de deux ingénieurs de Naval Group : le Sous-marin Nucléaire d’Attaque Jade [SNA fictif de type Rubis] rentre au port suite à une perte d’étanchéité. Ces fuites apparaissent régulièrement sur les circuits d’eau de mer, dont les fonctions sont multiples : remplissage et vidange des régleurs afin d’affiner la pesée, refroidissement des turbo-alternateurs, mesure de l’immersion... Bien que mes interlocuteurs aient déjà une idée sur l’origine de la fuite, nous attendons l’accostage du SNA pour visualiser la vanne fuyarde et recueillir les cahiers de quart à bord, seuls documents manuscrits rassemblant des données sur les conditions d’apparition de la fuite. Comme souvent lors d’une maintenance corrective, nous ne pourrons pas identifier de manière assurée la cause de l’avarie. Naval Group, qui assure la maîtrise d’œuvre de la maintenance, proposera un plan d’action pour réparer dans les plus brefs délais tout en émettant quelques propositions à moyen terme pour éviter que l’avarie ne survienne de nouveau. Pour le SSF, maître d’ouvrage du MCO naval, je serai chargé de vérifier la cohérence et la compatibilité technique des propositions.
La journée se poursuit par une discussion technique avec l’équipe d’expertise en Sécurité Plongée de DGA Techniques Navales. Les clapets de chasse aux ballasts, qui assurent la flottabilité du sous-marin en surface, possèdent une pièce obsolète. Il est donc nécessaire de dimensionner un nouveau clapet pour remplacer les pièces équipées sur les SNA de la flotte. Cette modification est considérée comme majeure, car elle impacte directement la sécurité de la plate-forme et des marins à son bord : des clapets sous-dimensionnés ne permettraient pas au sous-marin de contrer une voie d’eau majeure, tandis que des clapets surdimensionnés généreraient une surpression néfaste pour la structure des ballasts. Penchés sur les plans des années 1980 des circuits de chasse, nous échangeons donc sur les critères techniques à respecter (débit d’air, dimensions admissibles, matériaux potentiels) et sur les justifications à apporter pour obtenir l’autorisation de modification de la DGA.
Lancé le 22 septembre 92, le SNA Perle a été victime d’un grave incendie accidentel le 2 juin dernier, heureusement sans faire de victime. La ministre des armées a annoncé le 28 septembre dernier que le SNA Perle serait transféré à Cherbourg pour en achever l’expertise et voir s’il est possible de le réparer voire d’envisager une solution plus radicale. On parle par exemple de cannibaliser des éléments du Saphir, retiré du service actif en 2019... |
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Une centaine de pompiers et 150 personnes en soutien pour venir à bout de l’incendie - crédit PREMAR TOULON |
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En repartant de la zone d’entretien des sous-marins, je jette un œil au nouvel arrivant de la flotte : le SNA Suffren, premier sous-marin issu du projet Barracuda. Trente ans et une révolution numérique séparent sa conception de celle des SNA type « Rubis », et la maintenance va s’en retrouver bouleversée : profusion de capteurs et de data, maquette 3D pour visualiser la localisation et l’encombrement des locaux, prééminence du rôle des systèmes d’information... Dans un premier temps, pour réaliser une maintenance efficace, nous devons collectivement apprendre à connaître ses composants et à adapter le rythme des entretiens. La force des équipes de maintenance réside dans leur expérience de conduite du navire et dans la diversité des avaries rencontrées : la maîtrise technique de la maintenance se fera progressivement, à mesure que le SNA Suffren nous livrera les secrets de ses entrailles. Aujourd’hui, certains défauts de fabrication et de montage sont rattrapés lors des courtes périodes d’entretien à quai, toutefois le SNA Suffren montre d’ores et déjà un taux de disponibilité remarquable. Observer le Suffren, c’est également observer l’avenir de la maintenance : la mise à niveau technologique des SNA permettra d’explorer de nouvelles méthodes de maintenance, comme la maintenance prédictive en exploitant les données de fonctionnement ou comme les tutoriels vidéo en maquette 3D pour montrer aux équipages les gestes à réaliser pour l’entretien courant.
Je repars de la zone d’entretien avec la satisfaction de rendre la disponibilité technique des SNA type « Rubis » et l’excitation de découvrir et appréhender le Suffren, objet parmi les plus complexes au monde.
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