30 ANS D'ACIERS NON CONFORMES ?
La taille, la complexité et le rythme du progrès technologique forcent les équipes en charge de développer, construire et utiliser un sous-marin, à se projeter sans cesse à la pointe de nombreux savoirs-faires, sans jamais oublier les fondamentaux ; un peu comme écrire une partition et la jouer dans la foulée, à plusieurs – et même beaucoup – sur un orgue datant du XVIe siècle.
Prenons le cas d’un producteur d’aciers spéciaux de la baie de Seattle, qui a défrayé la chronique cet été. En cause, des rapports d’essais falsifiés de lots destinés à la fabrication de sous-marins, histoire de donner quelques sueurs froides au management de la maison mère, Bradken.
L’affaire couvait depuis qu’un jeune expert appelé à prendre la responsabilité de la gestion du protocole de tests, avait identifié, peu après son arrivée, en 2017, quelques recopies suspectes réalisées par son éminent prédécesseur, une dame de bonne réputation, Elaine Thomas : première femme diplômée (1976) de l’université d’Etat de Washington en métallurgie, reconnue pour avoir beaucoup fait progresser les procédés de fabrication, dans cet univers au demeurant très masculin.
Reçue en entretien le lendemain de cette découverte, elle avoue avoir modifié « un seul chiffre ; mais pour le reste, les résultats étaient à la hauteur ». Les choses ne traînent pas : mise à pied et alerte du prime contractor dans la foulée. Puis, le management rappelle Mme Thomas, pour essayer de comprendre. Elle se ravise, perd un peu la mémoire, déclare qu’« il doit bien y avoir une bonne raison à l’origine des erreurs ... ». Bref, l’enquête interne patauge ! Dépité, espérant peut-être la clémence du donneur d’ordre, le management semble vouloir minimiser l’affaire, évoque des erreurs mais, tout de même, « pas une fraude délibérée ».
Jusqu’à ce que la conclusion de l’enquêteur envoyé dans l’usine par le DoD tombe : les « erreurs » sont tout, sauf dues au hasard. Elles concernent 240 relevés, soit presque la moitié des livraisons faites à la Navy par cette entreprise, depuis le début des années 90. Autant dire que c’est presque un miracle que le pire ne se soit pas produit entre temps.
Traduction : cela va prendre longtemps et coûter beaucoup d’argent pour mettre les sous-marins au niveau escompté. Bon prince, la Navy abandonne ses poursuites en échange d’une amende de 10,9 millions de dollars assortie de conditions, parmi lesquelles, que Bradken rende compte publiquement de ses agissements pour « éduquer les autres fournisseurs du gouvernement ». Ce fameux compte-rendu (https://www.sfsa.org/news/2020/june20.pdf.) évoque, bien sûr, les mérites d’un système de contrôle interne qui a manqué cruellement, et contient aussi cette perle : « la véritable coopération avec le Gouvernement ne doit pas se limiter à répondre à ses questions de manière réactive, au moment où elles vous parviennent. Il s’agit aussi de chercher, de manière proactive et indépendante, les preuves de malversation interne, plutôt que laisser le soin au Gouvernement de les trouver à votre place ». En bref, un peu de transparence n’est pas de trop ...
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