SUR LE TERRAIN, UNE COMPLEXITÉ IMPRÉVISIBLE
Le service de soutien de la flotte (SSF) assure la maîtrise d’ouvrage du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels navals de l’armée française. Le responsable d’opération (RO) FOST pilote plus spécifiquement l’entretien des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Il est également responsable de l’exploitation et du MCO de certaines servitudes terrestres et du Langevin, navire d’écoute acoustique des sous-marins. Son quotidien allie les activités d’un directeur de programme de la DGA et une expérience de terrain inestimable.
Retour aux sources d’un brestois qui était devenu parisien !
Né à Brest et après y avoir passé plus de vingt ans, j’ai étudié pendant une année la technologie des réacteurs nucléaires de la flotte à Cherbourg avant de consacrer treize ans de carrière à l’atome embarqué sur les navires à propulsion nucléaire et, plus largement, à l’architecture des sous-marins et de leur environnement terrestre... 13 années passées en région parisienne.
Mon apprentissage très académique dans le port normand de construction des submersibles ne m’ayant pas vraiment apporté une vision de terrain de la construction navale et Paris étant un peu loin des côtes, j’ai exercé des fonctions d’ingénieur naval de papier. Pour me sortir de cette condition et me faire humer la douce odeur du cambouis, je suis devenu responsable d’opération (RO) de la Force Océanique Stratégique au Service de Soutien de la Flotte, poste qui inclut notamment l’entretien des SNLE. Retour à Brest donc, sur mes terres natales.
Un pied dans le référentiel DGA, l’autre pied marin
Loin de l’image d’Épinal véhiculée par les postes liés à l’entretien des systèmes d’armes, mon quotidien ne consiste pas à démonter des lignes d’arbres les mains dans l’huile ou la graisse ! En fait, le poste de RO FOST ressemble beaucoup à celui d’un directeur de programme ou d’un directeur de segment de management parisien : gestion d’hommes et de femmes, rédaction et management de contrats, négociation avec des industriels et, bien sûr, dialogue avec l’ensemble des autres acteurs étatiques ... enfin, cela n’est vraique 90% du temps!
Il existe en effet quelques subtilités liées à un poste de terrain. Dans mes affectations précédentes, je n’ai jamais eu l’occasion de ramper ou de faire de l’escalade dans les superstructures d’un sous-marin avec son équipage et mes interlocuteurs industriels pour définir finement les contours du plan d’action anticorrosion à mettre en place lors de l’indisponibilité pour entretien (IE) d’un bâtiment. Mon bleu de travail s’en souvient encore !
L’environnement dans lequel j’exerce mon métier est aussi un peu différent. Quand mon emploi du temps me conduit, ou pour être plus précis « me fait naviguer », de Brest vers l’Ile Longue base des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins en transrade, je contemple les flots, le soleil levant sur la rade et je me souviens avec émotion, voire nostalgie, des vues imprenables sur les différents types de bétons qui faisaient face aux fenêtres de mes bureaux franciliens successifs.
Des transports en commun d’un autre type
La pression du planning opérationnel
Ce tour d’horizon ne serait pas complet sans connaître le passe-temps principal de presque tous les RO du SSF : optimiser les plannings ! Bien sûr, le respect de la sécurité, de la sûreté, des exigences techniques, des enveloppes budgétaires allouées ainsi que la stricte application du code des marchés publics sont des prérequis nécessaires à l’activité. Mais le respect de la Posture (le contrat opérationnel de la FOST en termes de disponibilité des SNLE) et donc des échéanciers d’entretien est un leitmotiv scandé plus souvent qu’au quotidien par tous les acteurs étatiques en lien avec la FOST, au premier desquels les sous-mariniers opérationnels.
Le poste de RO FOST présente comme principal défi la gestion d’un calendrier allant du très court terme au long terme : de la demi-journée de fin d’IE à la préparation de la planification des IPER les gros carénages étalée sur 20 ans. En réalité, j’entre dans mon bureau en pensant aux plannings d’entretien, je vais en réunion pour en parler, je fais des fiches pour les expliciter et il m’arrive même d’en rêver !
Tout est imbriqué dans le MCO des SNLE : les calendriers d’entretien des sous-marins, celui des infrastructures de l’Ile Longue et de Brest, les périodes de congés, la disponibilité des sous-traitants spécialisés... Il faut ajouter à cela la matrice des autorisations et des interdictions de co-activités de travaux qui est particulièrement complexe et conduit souvent à des besoins d’anticipation très en amont des interventions. Ces différentes contraintes font ressembler la planification d’une IE ou d’une IPER à un labyrinthe sournois où un seul chemin permet de réaliser l’ensemble des maintenances prévues dans le respect des délais. Tout écart à la prévision devient un casse-tête et nécessite régulièrement une replanification fine globale du reste à faire pour rattraper le retard ou, a minima, ne pas l’accroître.
La COVID ne passera pas !
Depuis cinquante ans environ, la posture est tenue. La COVID ne doit pas faire exception, impossible de confiner la FOST. La période de confinement n’a donc pas arrêté les chantiers de maintenance des SNLE. Il a fallu être créatif afin de trouver des solutions permettant de poursuivre l’activité sans impasse technique dans les mêmes délais qu’en temps normal, tout en respectant les gestes barrières et en limitant les conséquences d’un éventuel cas positif sur le chantier. Les équipes industrielles ont donc été scindées en deux : une bordée du matin et une autre de l’après-midi. Elles n’avaient aucun contact entre elles afin d’assurer la permanence de l’une d’entre elle si un travailleur venait à être contaminé.
Du côté de la maîtrise d’ouvrage, tout le personnel travaillant pour la FOST dont la présence physique dans l’arsenal était nécessaire à la tenue des chantiers a été mobilisé pendant tout le confinement, soit environ 70 % des effectifs. Pour certains par roulement, pour d’autres de façon permanente. Les 30 % confinés ont également pu contribuer à l’effort depuis leur domicile grâce à la mise en place de solutions de travail à distance adaptées. Enfin, les gestes barrière ont été mis en place avec une rigueur toute militaire (même pour les civils !) que ce soit sur le terrain ou dans les bureaux. L’ensemble de ces mesures a permis de préserver totalement l’activité malgré la pandémie.
Un quotidien prenant et une utilité palpable
La confrontation au réel est prégnante dans un poste où toute erreur ou toute difficulté prend des proportions énormes aux niveaux local et souvent national. L’utilisateur opérationnel final est particulièrement exigeant et il est nécessaire, encore plus que dans le cadre des programmes neufs, d’expliciter et de justifier tous les choix ; bref, de travailler ensemble à la recherche de l’optimum entre les contraintes du chantier industriel et les ressources étatiques disponibles. Il faut également composer avec un tissu industriel français mouvant et en proie à des difficultés qui rendent certaines réparations critiques et certains approvisionnements délicats.
Le sentiment d’être un rouage utile et nécessaire à la force de frappe est tangible au quotidien au plus près de ces navires. Je l’ai ressenti plus encore lorsque j’ai eu l’occasion, il y a quelques mois, de participer sous le dioptre à la démonstration de la crédibilité de notre outil de dissuasion via le dernier tir de M51 en date. Une épreuve de vérité qui combine stress de la préparation et fierté de la mission bien accomplie.
Le poste de RO FOST et, de façon plus générale, tous les postes du SSF réservent de belles missions pour qui veut se confronter au réel ; notamment pour des IA qui trouveront dans ce service des postes à haute responsabilité tôt dans leur carrière.
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