CONNAITRE LA MER
Une question de supériorité
De A la poursuite d’octobre rouge au Chant du loup, le cinéma a popularisé l’idée que l’environnement est un facteur essentiel pour les opérations :
Dans ce dernier film, la connaissance des monts sous-marins permet à Ramius de naviguer à grande vitesse dans la passe des jumeaux de Thor, alors que les « points magiques » permettent au commandant du sous-marin lanceur d’engins « L’Effroyable » de recaler sa position pour effectuer un tir de missile.
La connaissance de l’environnement est déterminante pour optimiser la discrétion ou la capacité à détecter. Mais le véritable enjeu est d’avoir une meilleure maîtrise de l’environnement que son adversaire pour obtenir un avantage tactique.
Mais au fait quels sont les paramètres qui comptent ?
Pour une grande part, les paramètres à prendre en considération sont ceux liés à l’acoustique sous-marine, car en raison de la bonne propagation du son dans l’océan c’est le mode principal de la lutte sous-marine.
Il faut donc résoudre l’équation du Sonar pour, selon les cas, se dissimuler dans l’angle mort du Sonar de l’adversaire ou si l’on est chasseur pour piéger une cible. Or la propagation du son dépend notamment de la température et de la salinité de l’eau de mer, de la nature des fonds, de l’état de la mer... Il est aussi utile de connaître le bruit lié au trafic maritime ou aux phénomènes naturels comme le déferlement des vagues ou le choc de la pluie à la surface de l’océan pour se fondre dans ce bruit ambiant. Ces paramètres sont à connaître sur des zones dont le contexte géostratégique repousse les frontières toujours plus loin (au-delà de l’Atlantique Nord-Est et de la Méditerranée, le Shom est déployé tous les 2 ans dans l’océan Indien nord-ouest et régulièrement depuis quelques années dans le « grand Nord »), et pour une gamme de fréquences acoustiques toujours plus étendue. Par ailleurs les capacités d’action vers la terre de nos sous-marins nucléaires d’attaque et en particulier de la nouvelles classe Suffren ne limitent pas le besoin de connaissance aux grands fonds dans lesquels il s’agirait de se fondre ou aux zones de passage à surveiller. Les approches discrètes par petits fonds pour les opérations spéciales par exemple nécessitent une connaissance fine de l’environnement aux niveaux des talus et plateaux continentaux.
Les phénomènes sont connus et les équations théoriques bien maîtrisées … mais la variabilité du milieu dans tous les axes de l’espace et du temps complique fortement la prévision. C’est ici que la maîtrise de l’environnement permet de gagner un avantage sur l’adversaire.
La compétition est aujourd’hui plus rude cependant car l’accès à une information de base libre et gratuite est devenu courant, les moyens de calcul se sont développés et de plus, de nombreuses marines qui n’en étaient pas pourvues jusque-là, s’équipent de bâtiments hydro-océanographiques, conscients de l’enjeu stratégique de la connaissance de l’environnement.
Il s’agit donc de fournir une information plus juste mais aussi de la fournir plus rapidement et sous une forme adaptée aux opérations pour en accélérer l’exploitation.
Les modèles de prévision océanographique pour l’appui des forces exploitent des données d’observation exclusives et le Shom a la capacité à les mettre en œuvre de manière souveraine. Chaque jour le Shom élabore des bulletins de l’état de l’océan et de paramètres dérivés directement exploitables par les forces. Les messages préparés par le Shom sont ainsi diffusés quotidiennement vers une vingtaine d’unités de la Marine Nationale par le Centre Interarmées de Soutien Météo-océanographique des Forces. Parmi ces messages certains donnent la situation des fronts et des tourbillons océaniques qui, du fait des différences de température et de salinité, impactent la propagation acoustique créant des menaces ou des opportunités pour se dissimuler.
Deux programmes de la DGA jouent un rôle essentiel pour moderniser les capacités dans ce domaine. Le premier, Geode4D, permettra de se doter d’un système interarmées de préparation, de diffusion et d’exploitation de l’information en géographie, océanographie, hydrographie et météorologie afin d’établir la vision partagée de l’environnement au sein d’une force. Geode4D permettra notamment d’augmenter l’agilité dans la reconfiguration des modèles et de faciliter la mise en œuvre de modèles océanographiques à aire limitée sur des zones d’intérêt opérationnel avec un court préavis.
Le second, programme CHOF de capacité hydrographique et océanographique future, permettra d’augmenter considérablement les capacités d’acquisition de données au retrait du service actif des bâtiments hydrographiques La Pérouse, Borda et Laplace à l’horizon 2025. Les contours de la capacité future sont à l’étude, elle comprendra des bâtiments, des drones autonomes de surface et sous-marin, des planeurs sous-marins… Ce renouvellement est essentiel car les modèles de prévision océanographique doivent s’appuyer sur des observations fiables qu’il faut acquérir sur des zones très vastes, et éventuellement de manière réactive et discrète.
Et demain
Si la propagation acoustique joue et continuera à jouer un rôle majeur dans la lutte sous-marine nécessitant de maintenir une excellence dans le domaine, d’autres paramètres d’environnement, comme la transparence de l’eau, la bioluminescence ou la connaissance des courants marins et du champ de gravité, sont également essentiels pour la discrétion ou encore la navigation à l’estime au moyen de centrales inertielles.
De plus, les sous-marins de prochaines générations devront affronter de nouvelles menaces notamment liées à la détection non acoustique que les études amont doivent permettre d’anticiper: électro-magnétisme, effets de sillage, perturbations bio-chimiques du milieu,…
Ce sont là de nouveaux défis pour la connaissance de l’environnement et la capacité à mieux l’exploiter que l’adversaire pour le succès des opérations.
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