LES RÉACTEURS NUCLÉAIRES DE LA MARINE
UNE HISTOIRE DE METAL
Construire un réacteur nucléaire embarqué reste un défi technique, notamment vis-à-vis de la mise en œuvre des matériaux. Le STXN, service mixte des chaufferies nucléaires de propulsion navale, apporte un soutien précieux notamment en mécanique et matériaux pour mener à bien les projets de réacteurs nouveaux pour les programmes Barracuda, SNLE 3G ou PA NG.
La construction et l’entretien des sous-marins et bâtiments de surface de la Marine nécessitent une maîtrise poussée des matériaux mis en œuvre dans ces navires. La métallurgie demeure ainsi une compétence centrale nécessaire chez les industriels comme à la DGA. La Marine américaine en a récemment fait les frais en découvrant que son fournisseur d’acier Bradken avait falsifié des tests de résistance à la rupture par choc pendant une trentaine d’années ! Cette exigence de maîtrise des procédés métallurgiques est encore plus prégnante lorsqu’il s’agit des chaufferies nucléaires embarquées.
Avec ses 5 SNA de type Rubis, ses 4 SNLE NG, son porte-avions (avec 2 chaufferies), son nouveau SNA de type Barracuda et son réacteur au sol, la Marine peut être considérée comme un grand exploitant nucléaire, comparable à EDF. À ce titre, elle se doit de maîtriser techniquement ses installations nucléaires afin d’assurer la sûreté de ses réacteurs. Le STXN, service mixte des chaufferies nucléaires de propulsion navale, regroupant des personnels du CEA, de la DGA et de la Marine, civils et militaires, assure ce soutien technique.
La Marine se distingue également par un grand nombre de réacteurs neufs en projet : 5 pour les SNA de type Barracuda et potentiellement 6 pour les SNLE 3G et le porte-avions de nouvelle génération. Construire ces réacteurs est un défi technologique et organisationnel dont la mécanique et les matériaux constituent une part significative.
Les matériaux utilisés dans les réacteurs de propulsion navale sont pour la plupart similaires à ceux du nucléaire civil : acier de cuve résistant à l’irradiation, superalliage à base de nickel pour les tubes des générateurs de vapeur, aciers inoxydables ductiles pour les composants en contact avec des fluides et combustible à base d’uranium enrichi et de zirconium. Cependant quelques matériaux sont spécifiques à la propulsion nucléaire. C’est le cas par exemple d’un acier inoxydable au niobium permettant de concevoir des composants internes au réacteur de petite taille et résistant aux chocs en cas d’agression « militaire » du navire. C’est aussi le cas des nuances dites à haute limite d’élasticité soudables (HLES), semblables à l’acier de coque des sous-marins, qui peuvent remplacer les aciers de structure standard quand l’encombrement devient critique.
La quasi-intégralité de ces matériaux sont mis en forme en France par TechnicAtome, Naval Group ou leurs sous-traitants dont les principaux sont Framatome, Industeel, Aubert & Duval et Vallourec.
Mettre en œuvre correctement ces matériaux demeure une gageure comme le montrent les difficultés rencontrées dans le monde civil. Le rapport Folz a mis en évidence les raisons des difficultés et retards de la construction de l’EPR de Flamanville. Il cite notamment une gouvernance et une organisation industrielle inadaptées, des relations insatisfaisantes avec les entreprises, un contexte réglementaire changeant et une perte de compétence généralisée. Nous osons penser que les projets militaires ont été jusqu’à présent épargnés des visions dogmatiques et que la dimension technique est restée prépondérante.
Surveillance industrielle
Dans son rapport, M. Folz décrit dans le civil une perte de compétence technique au sein des industriels, de l’exploitant et même des organismes de contrôle, embourbés dans les tâches administratives et perdant de vue l’importance du suivi sur le terrain.
Dans notre cas, la réglementation militaire impose un suivi et un contrôle renforcés de la deuxième barrière de confinement. Les équipements les plus critiques, notamment le circuit primaire principal et le circuit secondaire principal sont ainsi surveillés par un organisme chargé du contrôle (OCC) au sein du STXN. En plus de donner son avis sur des questions de conception (dimensionnement, matériaux, procédés, ...), l’OCC élabore un plan de contrôle qui peut concerner toute opération ou tout calcul sur le périmètre des circuits principaux. Il assiste donc régulièrement à des opérations de coulée, de forgeage, de traitement thermique, de soudage ou de montage chez les industriels. S’appuyant sur le service qualité de la DGA, l’OCC apporte un contrôle de second niveau, avec un regard du plus haut niveau technique.
L’existence de cette organisation, avec le maintien d’experts de haut niveau, contribue à la réussite des programmes nucléaires militaires. Les velléités de changement de réglementation, notamment l’application calquée sur le civil de l’arrêté sur les équipements sous pression nucléaires (ESPN), viendrait bouleverser une organisation qui a montré ses preuves, sans gage d’apporter un surcroît de qualité ou de sûreté.
Maintien des compétences techniques
L’OCC anticipe également les problématiques techniques en suivant les actualités nucléaires civiles. Un protocole entre EDF et le STXN permet d’échanger régulièrement et les experts du STXN participent aux groupes permanents de sûreté des réacteurs. Par exemple, Framatome a récemment identifié un écart concernant le traitement thermique de détensionnement appliqué aux soudures de générateurs de vapeur de centrales EDF. L’OCC veille à ce que de telles problématiques soient maîtrisées sur les composants militaires.
Disposer d’un contrôle et d’une maîtrise d’ouvrage d’un haut niveau technique ne saurait remplacer l’essentiel : la compétence technique des industriels. Certains composants prévus pour SNLE 3G n’ont pas été fabriqués depuis 20 ans. Par exemple, la fabrication de viroles forgées de grandes dimensions nécessite un savoir-faire délicat. L’État peut contribuer à maintenir ce savoir-faire en gérant le processus de commande : ni trop lent pour ne pas perdre la maîtrise entre deux fabrications, ni trop rapide pour ne pas tout oublier après avoir tout fabriqué d’un coup. Il peut également pérenniser ces savoir-faire par l’innovation et la R&D, ce qui passe par des contrats d’étude, des conventions de collaboration technique mais aussi par des financements de thèses ou de post-doctorats réalisés en commun chez un industriel et au CEA.
La construction de réacteurs nucléaires, qu’ils soient civils ou militaires, demeure un défi technique et organisationnel majeur. La Marine aura du mal à maintenir seule les compétences et les industriels français nécessaires à ses projets. Le renouveau du nucléaire civil, poussé notamment par le besoin d’énergie décarbonée, qu’il soit via la construction de nouveaux EPR ou via le développement de réacteurs avancés, est un atout fort pour la Marine que nous ne saurions qu’encourager.
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