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Transfert du SNLE entre l’Ile longue et le bassin 8 de Brest en début d’IPER/Adaptation
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01 octobre 2020

LES IPER/ADAPTATIONS DES SNLE

Une modernisation capacitaire de grande ampleur réussie

Quatre directeurs pour un grand programme depuis 2008 : Raphaël Jammes, Jacqueline Burin des Roziers, Jean Prudhomme, Maximilien Portier

Les trois premiers sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de deuxième génération furent livrés avec une dotation de missiles mer-sol balistiques stratégiques (MSBS) M45. Le dernier de la série, le SNLE Le Terrible, a quant à lui été mis en service en 2010 directement au standard M51. La modernisation de ses prédécesseurs a alors fait l’objet d’une opération d’armement spécifique conduite avec succès durant la décennie qui s’achève : c’est cette épopée menée tambour battant que vous présentent ici les 4 directeurs de programme qui se sont succédé depuis 2007. 


Un nouveau standard pour le dernier-né des SNLE

A l’heure où les programmes se conçoivent le plus souvent possible de manière incrémentale, grâce notamment à des mesures conservatoires prises ab initio, la composante océanique de la dissuasion et plus particulièrement les SNLE font figure de précurseurs dans ce domaine. 

La construction du SNLE Le Terrible s’est en effet accompagnée du développement et de la qualification de nouvelles installations majeures, constituant autant de ruptures technologiques et capacitaires. 

La composante embarquée du système d’armes de dissuasion (CESAD) en version M51, conçue par Naval Group et son principal partenaire CNIM, regroupe les tubes lance-missiles et l’ensemble des équipements permettant d’embarquer, de stocker et de mettre en oeuvre ces missiles moitié plus gros et lourds que les M45, dans un volume du sous-marin strictement identique. 

Le système de combat SYCOBS, partiellement commun avec les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) du programme Barracuda, a été réalisé par Naval Group et Thales DMS en apportant de nouvelles antennes sonar sur l’étrave et les flancs du navire, ainsi que des capacités de calcul démultipliées. 

Le système global de navigation (SGN) a été également refondu en cohérence avec les besoins de positionnement exprimés par le M51. SAFRAN a remplacé les centrales inertielles précédentes à gyroscopes mécaniques par des centrales à technologie laser. 

S’ajoute à cette liste une rénovation des systèmes de transmissions radioélectriques et de surveillance de l’état acoustique.

Une organisation ad hoc pour la rénovation des autres SNLE

Le seul exemple précédent de rénovation en cours de vie portait sur les refontes des SNLE de première génération (type « Le Redoutable ») pour passer du missile M20 au M4. Elles avaient été conduites dans les années 1980 à Cherbourg, port constructeur, dans un environnement industriel fort différent.

Or le périmètre de l’adaptation des SNLE au M51 est tout autre : entre les soutes missiles, les postes de conduite (navigation, opérations, système d’armes de dissuasion, transmissions), les locaux techniques, les équipements extérieurs (sonar, antennes de communication), le réseau des capteurs et hydrophones de mesure du bruit rayonné par le sous-marin, un bon tiers des SNLE devait être refait à neuf, soit plusieurs centaines de milliers de types de matériels, en s’intégrant harmonieusement dans les installations et l’emménagement existants.

Arrivée du SNLE au bassin 8 de Brest

Afin d’embrasser l’opération dans toute sa complexité, une organisation étatique originale fut imaginée et appliquée dès 2007, concomitamment au déroulement des essais de qualification des nouvelles installations du SNLE Le Terrible en usine, sur moyens DGA puis à bord.

Sous l’égide du directeur du programme d’ensemble Coelacanthe de la DGA, une co-maîtrise d’ouvrage fut créée, la DGA prenant la responsabilité des opérations de rénovation et la marine, via le service de soutien de la flotte (SSF), maîtrise d’ouvrage du MCO naval dans laquelle officient également des ingénieurs de l’armement, gardant la main sur les tâches de maintenance.

Cette répartition équilibrée des responsabilités, et les mécanismes de pilotage l’accompagnant, se révélèrent à l’usage suffisamment efficaces pour être reproduits depuis à plusieurs occasions, comme sur la modernisation du porte-avions Charles de Gaulle à l’occasion de son arrêt technique majeur n°2 et la rénovation à mi-vie des frégates de type « La Fayette ».

Côté industriel, la maîtrise d’oeuvre d’ensemble fut confiée à Naval Group, en partenariat étroit avec ses sous-traitants principaux : CNIM, Thales et SAFRAN pour l’adaptation, et TechnicAtome pour le MCO de la chaufferie nucléaire. En complément, des revues périodiques d’interfaces ont été conduites tout au long de l’opération sous supervision étatique avec le maître d’oeuvre du M51, ArianeGroup.

L'oeuvre collective au bassin 8 de Brest

Enjeux et préparation

Plusieurs défis d’envergure et nouveaux devaient être relevés.

Un défi d’ingénierie tout d’abord, consistant à adapter le processus de production et de qualification des systèmes rénovés pour les intégrer à Brest durant une indisponibilité programmée pour entretien et réparation (IPER), c’est-à-dire un arrêt technique majeur, et non pas en construction neuve à Cherbourg comme sur le SNLE Le Terrible. Il fallait superposer judicieusement les méthodes d’ingénierie de type « neuvage » à celles du maintien en condition opérationnelle (MCO), d’où l’appellation d’« IPER/Adaptations » pour cette opération hybride.

Ainsi, au titre d’études lancées dès 2007, chaque installation du bord fut classée dans l’une des catégories suivantes : entretien ou adaptation – en définissant les interfaces à respecter à terminaison. Les approvisionnements à longs délais furent lancés par étapes, lorsque nécessaire de manière groupée pour les 3 SNLE, et les études fonctionnelles et d’emménagement menées par les différents bureaux d’études de Naval Group et de ses partenaires industriels.

Second défi : la maîtrise du temps. Le respect du calendrier directeur Coelacanthe, qui régit la dissuasion océanique française, imposait en effet d’enchaîner sans discontinuer les modernisations respectives des SNLE Le Vigilant, Le Triomphant puis Le Téméraire entre l’entrée en service du SNLE Le Terrible et sa première IPER, et en cohérence avec les mises en service opérationnel des deux premières versions du missile M51.

L’élongation admise jusqu’alors entre 2 IPER était d’environ 7 ans, durée très insuffisante pour dérouler trois IPER/Adaptations. Après plusieurs séries d’études et de suivis en service particuliers à bord, le SSF, le CEA et la DGA ont justifié un allongement de cette périodicité entre IPER à 10 ans, libérant un intervalle suffisant pour dérouler les IPER/Adaptations. Cette durée est par ailleurs difficile à dépasser en raison de contraintes réglementaires et techniques sur la chaufferie nucléaire et les installations de sécurité-plongée.

Le temps de l’action

Une IPER/Adaptation se décompose en cinq phases. La première, au bassin au sein de la base opérationnelle de l’Ile longue, consiste à débarquer la dotation des missiles M45 et à décharger le coeur du réacteur nucléaire. Le SNLE reste sous la responsabilité de son équipage.

La deuxième, la plus longue, se passe au bassin à Brest après traversée de la rade, dans un site industriel spécialement aménagé pour la circonstance. L’équipage est désarmé et le SNLE confié à Naval Group. S’y s’enchaînent à haute cadence les démontages des installations, la remise à neuf de la zone missiles, les visites générales des équipements « IPER » en atelier ou chez les constructeurs, le remplacement des équipements « adaptés » et les premiers essais fonctionnels après remontages.

...PLUS DE LA MOITIÉ DES TUYAUX MÉTALLIQUES ET DES CÂBLES ÉLECTRIQUES REMPLACÉS, SOIT PLUSIEURS CENTAINES DE KILOMÈTRES EN ESPACE CONTRAINT

Ensuite, après un transfert retour au bassin à l’Ile longue, la nouvelle CESAD est validée progressivement à l’aide de maquettes fonctionnelles représentatives du M51, puis qualifiée sous l’angle de la sûreté nucléaire en présence du DSND, l’autorité de sûreté du périmètre « défense ». En parallèle, le coeur est rechargé et la chaufferie nucléaire progressivement redémarrée, aux commandes du nouvel équipage.

Plusieurs sorties d’essais à la mer en plongée s’enchaînent alors pour qualifier les installations adaptées et revalider celles ayant fait l’objet d’une visite décennale. Le tir d’acceptation d’un missile M51 d’exercice, sans tête nucléaire, en constitue le point d’orgue. Ce jalon, préparé de manière extrêmement rigoureuse et minutieuse durant les mois qui précèdent, mobilise tout un dispositif terrestre, maritime et aérien d’environ 1600 personnes : SNLE, centre « DGA Essais de missiles », bâtiment d’essais et de mesure Monge, industriels, marine et maîtrises d’ouvrage.

Enfin, la phase de transition parallélise l’embarquement de la nouvelle dotation de missiles M51 à bord du SNLE adapté et le débarquement de la dotation M45 du SNLE suivant.

Au travail !

D’un bout à l’autre du projet, pour les 1800 personnes qui y oeuvrent, chaque journée compte. Le chemin critique – l’adaptation des soutes et des tubes des missiles – se déroule en trois « huit ». Plus de la moitié des tuyaux métalliques et des câbles électriques du SNLE sont remplacés, soit plusieurs centaines de kilomètres en espace contraint. 20 000 soudures sur alliages spéciaux (acier à haute limite élastique et inconel), chacune sanctionnée par une gammagraphie, sont réalisées sur la coque épaisse du sous-marin, les tubes lance-missiles, la tuyauterie de la chaufferie nucléaire et de la missilerie.

Les travaux d’IPER et d’adaptation se matérialisent par plus de cent mille enregistrements à vérifier : notes de calcul, rapports de visites, comptes-rendus d’essais. Rien ne remplace toutefois la présence au quotidien à bord et sur le chantier, et aussi régulièrement que possible dans les sites industriels : occasions privilégiées de partage technique et humain, tant il y a à apprendre sur des objets aussi complexes que les SNLE.

Montage des mâts de mesure pour le tir de missile d'exercice

Trois IPER/Adaptations semblables mais non identiques

Bien qu’il s’agisse en théorie de conduire à trois reprises des travaux visant le même objectif, chaque IPER/Adaptation a présenté des spécificités choisies ou subies qui ont nécessité d’adapter le chantier, les logiques de déroulements et les procédés industriels, tout en tirant les enseignements des opérations précédentes pour améliorer la conduite des travaux reproductibles. 

Quelques exemples permettent d’entrevoir la multiplicité des situations : la politique de maintenance est plus exhaustive sur une deuxième IPER (cas des SNLE Le Triomphant et Le Téméraire) que sur une première (cas du SNLE Le Vigilant) ; le calendrier de l’IPER/ Adaptation du SNLE Le Triomphant, porteur de la qualification du M51.2, a dû s’imbriquer avec celui de cette nouvelle version du missile, tandis que les deux autres navires itéraient des qualifications déjà acquises ; des obsolescences et des altérations du paysage industriel des fournisseurs et sous-traitants de rang 2 sont allées crescendo au fur et à mesure des années de telle sorte que l’attention a dû rester constante jusque la dernière opération ; enfin, la crise sanitaire du COVID n’a pas eu raison des derniers essais à la mer du SNLE Le Téméraire grâce à une mobilisation générale sans faille, avec en point d’orgue la réalisation du quatrième tir d’acceptation M51.

Au bilan, une « oeuvre commune » préparée avec anticipation et soin, gérée au cordeau avec un très haut degré d’exigence, mais dans un climat de confiance et de respect mutuels entre acteurs étatiques et industriels. Tous les aléas techniques, sel de notre métier, n’ont pu être évités, mais tous ont été résolus avec succès et sans compromis sur les performances de nos SNLE.

 
Jacqueline Burin des Roziers, ICA, architecte au SASD
 
Jacqueline Burin des Roziers (X99) a dirigé le programme des IPER Adaptions au M51 de 2011 à 2014, lors de la remise en service du premier SNLE adapté, le Vigilant. Après avoir été chef de bureau à la direction du développement international, elle est revenue à la DO pour lancer le programme de Frégates de Défense et d’Intervention (FDI) en 2017. Depuis 2019, elle est l’architecte chargée de la Dissuasion, des missiles de frappe dans la profondeur et du NRBC au sein du Service d’Architecture du système de Défense. 
 

 

 
Jean Prudhomme, ICA, sous-directeur technique du SSF
 
Après s’être occupé de l’entretien courant des SNLE au SSF de Brest, Jean Prudhomme a rejoint la DGA en 2010 et travaillé sur différents programmes de sous-marins avant de lancer le programme «Flotte logistique» en coopération avec l’Italie. Il est depuis février 2019 sous-directeur technique du SSF.
 

 

 
Maximilien Portier, ICA, directeur de l'Innovation Défense Lab à l'AID
 
Maximilien Portier a occupé à partir de 2007 différents postes à la direction technique de la DGA d’abord dans le domaine guidage navigation puis pour la dissuasion océanique. En 2013 il rejoint la direction des opérations depuis les études amont du futur moyen océanique de dissuasion jusqu’au lancement du programme de SNLE de 3ème génération. Il évolue en 2017 sur le programme « adaptation au M51 ». Depuis le 1er septembre 2020 il est directeur de l’Innovation Defense Lab à l’AID. 
 

 

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