UN IA SUR SNA
À l’issue de la formation administrative et militaire des Ingénieurs de l’armement (FAMIA), j’ai eu l’opportunité rare d’effectuer mon stage opérationnel de trois mois au sein des forces océaniques et stratégiques de la Marine, et plus particulièrement d’embarquer sur sous-marin nucléaire d’attaque. Ce stage a couvert l’indisponibilité pour entretien (IE) du bâtiment, ainsi que la première partie de sa mission opérationnelle. J’avais déjà eu l’occasion de découvrir la Marine en stage de formation humaine et militaire en première année de l’X, mais c’est dans un monde complètement nouveau que je m’apprêtais à plonger.
Un IA sur SNLE : Les deux aussières de l’InflexibleLa veille du lancement de l’Inflexible (dernier SNLE lancé sur un plan incliné, en 1982), nous avons avec un ami toulon¬nais passé une partie de la nuit à en regarder les préparatifs. Les ouvriers étaient les héros du chantier, LEUR chantier, au bord des larmes d’émotion et de fierté. La retenue en acier commençait à être coupée au chalumeau, ne laissant bientôt qu’un mince crochet, qui cèdera à l’heure du lancement. Une solide aussière était reliée à un dispositif lourd pour ralentir la course du sous-marin une fois lancé. Nous constatons que l’aussière n’est pas reliée côté terre, elle est seulement posée sur le quai. Ignorants absolus et respectueux du travail, nous préférons nous taire. Et le lendemain, au lancement, l’Inflexible, sans frein, ira heurter le quai d’en face... ou plutôt la péniche placée là par précaution. Deux ans plus tard, j’assiste à bord à un essai de remorquage de l’Inflexible en rade de Brest, sous le contrôle de la commission des essais dont je fais partie. L’essai se déroule mal, et il faut se séparer de la lourde remorque, qui reste frappée au point d’étalingure. Une seule solution, peu élégante : un bosco la coupe à la hache, et la belle et longue aussière neuve est perdue, il ne nous reste plus qu’à en commenter le coût. DP |
Tout l’enjeu de la navigation sous-marine tient au fait que la passivité des systèmes sonars utilisés ne donne pas de donnée de distance des bruiteurs détectés. Le sous-marinier est donc constamment contraint d’effectuer différentes méthodes de triangulation pour déterminer cette distance, qui l’amènent à évoluer sans cesse. C’est une contrainte opérationnelle très forte, mais également un défi intellectuel passionnant.
Les navires de classe Rubis, les plus petits SNA du monde, ont évolué au cours des années et des circonstances parfois tragiques… Certains locaux techniques sensibles sont par exemple devenus des postes de quart. Une multitude de systèmes informatiques prenant un espace très important et surtout non prévu à la conception, ont été installés. Au bilan, du point de vue de l’encombrement, la situation est presque comparable aux récits des sous-mariniers des FNFL, comme celui de notre Antique Étienne Schlumberger (X36, GM)1 : dès lors que les vivres sont le facteur limitant l’autonomie du SNA, la nourriture non périssable est stockée absolument partout : sous les banquettes, derrière les cloisons, dans les faux-plafonds, sous les matelas et jusqu’à la chambre du commandant. Dormir sur un sommier constitué de canettes de soda est une expérience intéressante. Dormir sur une « rance », sur un matelas disposé dans la manutention des armes, entre une torpille et un missile, en est une aussi.
L’autre particularité de la vie sous-marine réside à mon sens dans la connaissance technique approfondie que possède chacun des membres d’équipage du bâtiment. Tous, du matelot à l’officier, passent un examen sur l’usine électrique, la chaufferie nucléaire, le circuit d’huile, les circuits d’air sous pression, etc. Cette connaissance accumulée, loin d’être superflue, est vitale à la sécurité du bâtiment. Un sinistre bénin sur bâtiment de surface est souvent d’une extrême gravité sur sous-marin. Le moindre départ de fumée nécessite le passage de tous les personnels du bord sous masque à air respirable, de jour comme de nuit, et la sécurité du bâtiment tient à la capacité de n’importe quel membre de l’équipage à effectuer des actions réflexes en un temps contraint.
Une période d’entraînement à la mer précède tout départ en mission. Ces exigeantes semaines sont consacrées à la sécurité, puis aux opérations antinavires et anti-sous-marines (ASM). Lors de la MEC LAN (mise en conditions de lutte anti-navire), le sous-marin s’entraîne à déjouer l’inconfortable surveillance du couple FREMM/ NH90 ASM, alliant la puissance du sonar remorqué de la frégate à la quasi-ubiquité du sonar trempé d’un hélicoptère à l’autonomie incomparable. Mais c’est lors de la MEC ASM que se révèle le coeur de métier de l’équipage du sous-marin, qui lors de scénarii prédéfinis de plusieurs dizaines d’heures doit détecter, identifier et engager fictivement un autre SNA. C’est à un véritable duel à armes égales que se livrent alors les deux sous-marins dont les signatures acoustiques sont connues mutuellement.
Enfin, le bâtiment est prêt à partir en mission, une mission faite de collecte de renseignement, de coopération avec des bâtiments français où alliés, mais encore et toujours de formation de l’équipage, responsabilité permanente de tous. Le lien à la terre, entretenu par une page A4 hebdomadaire relue par quatre personnes, se fait plus ténu et plus artificiel, et c’est alors que les apparences s’effritent, que les relations humaines se font plus vraies et que les discussions deviennent cathartiques. Les escales, rares et dans des endroits choisis, sont encore l’occasion d’éprouver l’extraordinaire esprit de cohésion de ces quatre-vingt marins, l’équipage étant logé dans un seul hôtel.
Au bilan, c’est l’équipage et tous les hommes qui le composent qui m’ont le plus marqué. Tous étaient incroyablement passionnés, prêts à prendre du temps et de l’énergie à expliquer et transmettre sans relâche le savoir technique et opérationnel acquis pendant des générations. J’ai été fier d’en faire partie, même brièvement, et ai pris conscience de ce que signifie efficacité collective.
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