UNE FILIÈRE INDUSTRIELLE POUR 60 ANS
UN DÉLICAT ÉQUILIBRE DE SOUVERAINETÉ, DUALITÉ ET COOPÉRATION
La France dispose de la capacité à concevoir, développer, construire, entretenir et démanteler en toute autonomie des sous-marins nucléaires d’attaque et lanceurs d’engins. Cela nécessite un grand nombre de compétences industrielles et technologiques qu’il convient d’entretenir par une action étatique sur la durée...
Complexité et souveraineté
La France est l’une des rares nations au monde à disposer de l’ensemble de ces compétences avec les USA, la Russie et la Chine. Certains considèrent qu’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins constitue une des entités technologiques les plus complexes créées par l’homme, avec de l’ordre d’un million de pièces assemblées, plusieurs myriades de tronçons élémentaires de tuyauterie, plusieurs dizaines de kilomètres de câbles, et des contraintes extrêmes d’intégration et de discrétion, permettant à un équipage complet de travailler et vivre en totale autonomie pendant plusieurs mois dans un environnement hostile. Ces compétences sont également mises à profit pour développer des sous-marins conventionnels répondant ainsi aux besoins de l’export.
Cet écosystème ne s’adresse qu’au marché de la défense, soit au travers de la commande nationale, soit au travers de marchés à l’exportation. Bien que l’alternance des programmes nationaux de SNA et de SNLE soit étudiée pour entretenir la pérennité de la BITD (Base Industrielle et Technologique de Défense) du domaine en lissant la charge industrielle, l’export s’avère un complément indispensable au maintien des compétences de l’ensemble de l’écosystème et particulièrement les PME et ETI sous-traitantes. Les exigences de souveraineté attachées à la dissuasion se répercutent pleine-ment dans ce domaine ; ainsi il est nécessaire de disposer d’une totale maîtrise de la filière industrielle qui se concrétise généralement par le recours à des solutions nationales pour la fourniture des équipements les plus critiques.
Il convient donc, dans le cadre des marchés exports qui s’accompagnent souvent de demandes de transfert de technologie et de transfert de production, de ne pas affaiblir les fournisseurs critiques. A titre d’exemple, deux aciéristes français fournissent la matière première pour les sous-marins français mais répondent également aux besoins britanniques et espagnols. Cette clientèle multiple est indispensable pour maintenir les sa-voir-faire. Au travers du programme des sous-marins australiens, gagné par Naval Group, la création d’une filière locale d’aciers spéciaux est envisagée. Il conviendra de s’assurer qu’elle ne constituera pas une concurrence fragilisant l’industrie nationale sur ses marchés.
« DEUX MAÎTRES D’ŒUVRE, UNE CENTAINE D’ÉQUIPEMENTIERS MAJEURS, DES TPE DE 10 PERSONNES... »
A la tête de cet écosystème complexe, se trouvent les maîtres d’œuvre que sont Naval Group et TechnicAtome. L’Etat est actionnaire de ces deux sociétés et siège à leur Conseil d’Administration avec des représentants de l’APE (Agence de Participation de l’Etat) et de la DGA, qui s’assurent ensemble de la bonne prise en compte des intérêts de l’Etat. Ces deux maîtres d’œuvre de 1er rang s’appuient sur des équipementiers majeurs tels que Thales, MBDA, ArianeGroup et Safran Electronics&Defense. Plus d’une centaine d’entreprises, choisies pour leurs performances technologiques et leur compétitivité, constituent les fournisseurs de premier ou second rang, mais elles-mêmes reposent sur un ensemble encore plus vaste de sous-traitants. Certains de ces acteurs critiques du domaine sont des TPE de moins de dix personnes. Ces entreprises sont indispensables, elles représentent une part importante de la valeur ajoutée des sous-marins.
Ouvrir au civil et accompagner
Les entreprises de la filière sont confrontées à des exigences en terme de tenue à l’environnement, discrétion acoustique, fiabilité et sécurité qui rendent les systèmes ou équipements parfois uniques. Le cycle de vie complet d’une génération de sous-marins est souvent supérieur à 60 ans, nécessitant une attention particulière sur le maintien des compétences. Ainsi le modèle économique de certains fournisseurs, comme ceux des moteurs (MAN), des pompes (FAPMO), des vannes, des hélices (FAI) ne peut reposer sur le seul secteur des sous-marins.
Afin de diversifier leur portefeuille de produits, ces industriels, se doivent également d’aborder d’autres marchés tels que le secteur des bâtiments de surface pour la défense ou les secteurs civils (le nucléaire et l’Oil&Gas : pour les pompes et les vannes), l’aéronautique (pour la mécanique ou les traitements de surface). Ces derniers secteurs constituaient des marchés plus volumineux et plus réguliers. Cependant, ils sont impactés que ce soit par la transition énergétique qui s’amorce ou par la crise sanitaire récente. Un accompagnement particulier devra donc être fait pour permettre à ces acteurs de consolider leur portefeuille d’activités.
« NE PAS CONFONDRE SOUVERAINETÉ ET AUTARCIE »
La question de l’indépendance actionnariale de ces industriels vis-à-vis d’acteurs étrangers est également à traiter. Les outils réglementaires concernant les Investissements Etrangers en France (IEF) permettent d’encadrer toute prise de participation étrangère supérieure à 25%. Néanmoins, il ne faudrait pas confondre la souveraineté, qui consiste à pouvoir accéder librement au meilleur de la technologie, et l’autarcie qui n’est financièrement pas accessible. C’est au travers de dépendances consenties, d’actions concertées, de coopérations, d’alliances et parfois d’intervention directe de l’Etat, que nous devons positionner notre industrie afin qu’elle reste suffisamment compétitive.
Une intervention de l’Etat nécessaire
La parfaite connaissance de la BITD sous-marine est un préalable à une intervention pertinente. C’est un travail d’équipe regroupant la DGA dans ses différentes composantes (programme, technique, industrielle, ...) et les maîtres d’œuvre. Cette mission ne peut être déléguée à l’industrie mais ne peut être conduite sans elle.
Une fois cette connaissance acquise, il faut identifier les entre-prises les plus critiques ; celles qui disposent d’un savoir-faire unique non substituable. Parmi ces entreprises, une deuxième analyse doit être faite pour s’assurer de leur viabilité dans la durée. En cas de besoin, plusieurs solutions existent allant de la recherche de débouchés complémentaires dans des domaines connexes, en passant par un accompagnement capitalistique (le fonds spécifique Definvest a été créé pour cela), voire par la reprise des activités critiques par le maître d’œuvre lorsque aucune autre solution n’existe ou enfin la consolidation de la filière au travers d’un adossement à une autre entre-prise de façon à créer des ETI suffisamment résilientes. La responsabilité des grands maîtres d’œuvre, acteurs majeurs dans les bassins d’emplois où ils sont implantés en France, est pleinement engagée dans ce travail ; ils se doivent de se comporter en « grands frères » que ce soit dans le cadre des programmes nationaux et à l’export. Dans le domaine de l’export, la DGA au travers de ses responsabilités dans le processus de CIEEMG (Commission Interministérielle pour l’Etude des Exportations de Maté-riel de Guerre) examine également les propositions de substitution de fournisseur français par une solution étrangère afin d’évaluer l’impact, aussi bien sur la pérennité des fournisseurs français que sur l’autonomie nationale recherchée.
Conclusion: un écosystème fragile sous l’attention de la DGA
Les sous-marins constituent un enjeu stratégique majeur pour la France. La BITD sous-marine est un écosystème, complexe et fragile. Elle se compose d’un grand nombre d’intervenants, présente des enjeux techniques spécifiques et des contingences particulières dans le domaine de l’export. La DGA, conformément à ses missions, reste attentive à la pérennisation des compétences tant au sein de Naval Group et TechnicAtome que dans l’ensemble de l’écosystème. C’est cette compétence industrielle, technique et technologique, rassemblée dans un sous-marin, qui permet de fournir dans la durée des sous-marins et leur armement au meilleur standard mondial à la Marine Nationale, de disposer des compétences pour les entretenir et les faire évoluer dans des conditions économiques compétitives. Le maintien dans la durée de cet outil industriel est donc essentiel.
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