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Expert du sommeil, le Dr Mounir Chennaoui a écrit "le petit livre du sommeil"
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15 mars 2021

RECHERCHE MÉDICALE ET COMMANDOS

Publié par Dr Mounir Chennaoui, SSA | N° 122 - Les Forces Spéciales

La gestion du rythme veille-sommeil est de plus en plus déterminante sur l’efficacité du militaire, surtout quand il évolue dans le cadre d’une mission critique et de longue durée, en environnement contraignant au plan cognitif, psychologique et physiologique. Heureusement, des techniques existent. 


Sommeil et fatigue sont deux termes antinomiques avec la mission dévolue au militaire. Même si la préparation et l’entraînement particulier du militaire lui permettent de reculer au maximum l’apparition de la fatigue et le début des dégradations des performances physiques, psychomotrices et mentales, l’évolution du combattant dans un milieu spécifique, souvent contraignant, parfois hostile, nécessite une gestion minutieuse et adaptée de nos rythmes circadiens.

Ces opérations associent à des degrés divers une charge mentale, des contraintes physiologiques d’origine physique et/ou climatique, une perturbation du cycle veille/sommeil et une pression émotionnelle forte. Elles peuvent être à l’origine d’une fatigue « opérationnelle » d’origine multi-factorielle (Figure 1), laquelle constitue en elle-même un facteur limitant la poursuite des activités humaines en général, militaires en particulier.

Figure 1 : Conséquences de l’environnement opérationnel sur le développement de la fatigue aiguë et/ ou chronique.

L’altération du cycle veille/ sommeil a été identifiée comme une des contraintes impactant la performance et les capacités opérationnelles (Figure 2).

Afin de limiter les effets délétères sur la performance et la santé, un ensemble de contre-mesures d’ordre organisationnel, comportemental, nutritionnel ou pharmacologique utilisables avant, pendant et après le contexte opérationnel, est à disposition des personnels et du commandement. Cependant, une grande variabilité des réponses individuelles aux effets de la privation/restriction de sommeil d’une part et aux différentes contre-mesures d’autre part impose une individualisation spécifique de l’utilisation des contre-mesures.

Pour les personnels navigants des forces armées, en temps de crise comme en temps de paix, les activités aéronautiques se traduisent par des vols de longue durée voire de très longues durées alternant des séquences monotones et intenses (ravitaillement en vol, appontage, attaque) répétées chaque jour ou nuit, auxquelles s’associe un décalage horaire. Ces missions vont donc nécessiter un niveau élevé et prolongé de vigilance et de performance cognitive et psychomotrice.

Parmi les facteurs intervenant dans la fatigue en milieu aéronautique on retrouve fréquemment des facteurs liés à une charge de travail intense et/ou prolongée (la charge de travail mental en vol, la charge physique liée à la posture, le stress psychologique induit par la pression temporelle et la responsabilité incombant aux navigants) mais également des facteurs d’environnement du vol (durée du vol, le nombre de décollages et de périodes de travail pendant 24 h, les nuits courtes, les dettes de sommeil, les perturbations du rythme veille / sommeil, le décalages horaires, les accélérations, les activités à des horaires non physiologiques, le travail en ambiance bruyante.

Le confinement prolongé est une situation très particulière se retrouvant surtout dans le cadre de la navigation sous-marine mais également en milieu aéronautique avant le départ d’une mission aérienne de riposte en cas d’attaque nucléaire.

L’évolution incessante des technologies de la défense requiert des interfaces homme-système de plus en plus sophistiquées, mais exige avant tout un sujet en pleine possession de ses capacités psychomotrices, cognitives et psychologiques. Evoluant dans un environnement tridimensionnel à risque, le pilote de l’aéronautique de défense doit avoir son attention rapidement portée sur des informations ou des alertes pertinentes pour assurer sa survie, qu’il s’agisse de communications verbales ou d’alarmes vocales ou non vocales. Ces informations doivent être reconnues rapidement avec un haut niveau de précision, tout en requérant le moins de ressources cognitives possible.

Les armées seront confrontées prochainement, à des changements importants avec l’introduction de nouveaux systèmes hautement automatisés et assistés par intelligence artificielle. Il est indispensable d’anticiper sur les nouveaux modes de fonctionnement des futurs systèmes socio-techniques complexes et leurs performances globales, afin de maintenir la fiabilité et la sécurité des systèmes. Là encore, l’attention soutenue qui sera requise, ne pourra être fournie que par une bonne gestion du rythme veille-sommeil.

La sélection a pour but de recruter des personnels dont l’aptitude physique et mentale est en bonne adéquation avec le poste que le sujet devra tenir au sein des armées. Les critères d’aptitude sont bien évidemment fonction des caractéristiques du poste demandé et des qualités attendues pour y exercer de façon optimale.

Figure 2 : En milieu militaire et selon le type de mission dans laquelle le combattant est impliqué, les privations de sommeil peuvent être totales ou partielle. C’est le cas des opérations dites soutenues (SUSOPS) ou continues (CONOPS).
Une fois sélectionné le personnel concerné peut recevoir une préparation psychologique au combat avec trois objectifs principaux : l’amélioration de la performance, le maintien de l’intégrité psychique et l’épanouissement personnel. Cette préparation doit à la fois être individuelle, mais aussi collective, la première permettant la formation du caractère (connaissance de soi et affirmation de soi), le maintien de la forme psychologique (bien être psychique et conscience de la situation) et la maitrise de soi (relaxation-concentration, stratégie de « coping » face au stress, etc...) ; la deuxième ayant pour but d’améliorer la performance des équipes (esprit d’équipe) et la cohésion du groupe. Il ne fait aucun doute que cette préparation représente un atout majeur pour l’amélioration des performances opérationnelles et la protection des personnes en les préparant à gérer la fatigue. Au sein d’une armée professionnelle et compte tenu de l’évolution des conflits armés, la préparation physique des militaires français est devenue une nécessité opérationnelle.

En opération, le sommeil, parce qu’il n’est pas substituable, reste le meilleur moyen pour limiter la dégradation de la performance cognitive voire physique. Il faut « sanctuariser » en priorité le sommeil nocturne ; et à défaut, la sieste. En situation de dette de sommeil, toute période de sommeil, même courte, est bonne à prendre, quelle que soit la période du jour ou de la nuit. Il conviendra donc de dormir le plus possible en fractionnant son sommeil.

Les effets de la sieste s’avèrent bénéfiques lorsque l’on est en déficit aigu ou chronique de sommeil. Néanmoins ils peuvent être néfastes pour une personne qui n’est pas en déficit de sommeil ou qui souffre d’insomnie. La sieste, surtout l’après-midi, risque alors de perturber le sommeil nocturne. On distingue trois types de sieste (longue, courte ou micro) en fonction de leur durée. Le choix sera guidé par la période impartie, l’objectif attendu et les conséquences d’éventuels effets secondaires. La sieste est un outil de maintien des capacités opérationnelles. Elle favorise la mission au cours d’une privation de sommeil.

Dans certaines conditions il a été démontré que nous pouvions faire de la provision de sommeil en allant se coucher au lit 2 heures plus tôt pendant une semaine, entrainant ainsi une provision de sommeil d’environ 75 minutes en moyenne, permettaient de limiter la dégradation des performances mentales lors d’une privation de sommeil.

 

Pour en savoir plus : https:// www.groupe-uneo.fr/s-informer-et-prevenir//les-specificites-du-sommeil-des-militaires/ conseils-pratiques-pour-prendre-soin-de-son-sommeil

    
Docteur Mounir Chennaoui (PhD, HDR)
Ancien officier supérieur du service de santé des armées (SSA), chef de la division santé du militaire en opération et adjoint au directeur scientifique et technique de l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA). Co-directeur de l’équipe d’accueil EA7330 VIFASOM de l’université Paris 5 Descartes. Auteur de publications scientifiques et d’ouvrages sur le sommeil dont le dernier, « Le petit livre du sommeil » vient de paraitre chez First.
 

 

IRBA Institut de recherche biomédicale des armées Division santé du militaire en opération

Le combattant et sa santé sont au centre des préoccupations de l’IRBA. En effet, la préservation de son état de santé à l’entrainement, en opération et après blessure ainsi que l’amélioration de sa prise en charge médicale sont au cœur des activités de recherche, d’innovation, d’expertise et de formation de l’Institut.
Les contraintes et les environnements du milieu opérationnel auxquelles il fait face orientent particulièrement la division santé du militaire en opération (SMO) dans le domaine du facteur humain et de la recherche médicale opérationnelle.
Les objectifs de recherche/innovation, d’expertise et de formation de la division SMO sont de :
• Garantir au mieux les performances du combattant dans son environnement
• Détecter et identifier tout facteur pouvant altérer sa santé
• Préserver son état de santé et améliorer sa protection face à des milieux hostiles/extrêmes ou face à des équipements inadaptés
• Améliorer sa prise en charge médicale en cas d’altération de sa santé physique ou mentale
La division santé du militaire en opération est composé de plusieurs départements et d’unités de recherche dans les domaines :
- Neurosciences et sciences cognitives (Perception sous contrainte, réalité augmentée, milieux confinés. Gestion du risque et de l’erreur, prise de décision. Vulnérabilité et prévention des états de stress aigu et post-traumatique) ;
- Environnements opérationnels (Gestion de la fatigue et du rythme veille – sommeil. L’optimisation et la bonne tolérance de l’entrainement physique et sportif, ainsi que l’adaptation physiologique voire pathologique aux environnements extrêmes. Tolérance au port de charge);
- Soutien médico-chirurgical des Forces (Etude des effets du blast et de la balistique lésionnelle. Thérapie cellulaire et tissulaire : peau, muscle et os);
- Recherche, expertise et formation aéromédicales (Physiologie aéronautique. Instructions aéromédicales, crew ressource management. Expertise en sécurité aéronautique);
- Recherche subaquatique opérationnelle (Amélioration de la sécurité des activités opérationnelles dans le domaine de la plongée et des activités nautiques).

 

 

Auteur

Dr Mounir Chennaoui, SSA
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