LES CONTRÔLES DES EXPORTATIONS EN EUROPE
A LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE ENTRE SOUVERAINETÉ ET INTÉGRATION
Dans un environnement réglementaire hétérogène, l’adaptation des pratiques nationales de contrôle export est un facteur essentiel de la réussite des futures coopérations et de l’émergence d’une véritable BITD européenne.
En 2008 et 2009, les pays européens ont adopté une position commune et une directive fixant respectivement des principes de contrôle des exportations d’équipements militaires et des règles communes en matière de transferts intracommunautaires. La volonté était alors d’harmoniser la politique des États-membres en matière d’exportations d’armements à destination d’États tiers et de créer un environnement favorable aux échanges au sein de l’Union. Sans porter atteinte à la liberté des États de décider de leurs exportations, des critères communs d’évaluation des demandes d’autorisation d’exportation et une liste commune d’équipements contrôlés étaient définis. Les règles et les procédures applicables aux transferts intracommunautaires étaient, quant à elles, simplifiées et uniformisées.
Dix ans plus tard, alors que la Commission européenne finalise à peine les dernières recommandations relatives à la mise en oeuvre de la directive sur les transferts intracommunautaires d’équipements liés à la défense, l’harmonisation n’a certainement pas atteint le niveau espéré.
Une harmonisation inachevée
Dans le domaine du contrôle des exportations, le champ laissé à l’interprétation des États touche autant la définition technique des matériels contrôlés que la mise en oeuvre administrative du contrôle, ou les limitations sur l’utilisation finale des équipements.
Le classement des biens conditionne le régime auquel sera soumise leur exportation. Qu’il s’agisse d’équipements militaires ou de biens à double usage, cette opération, qui peut éventuellement conclure à une absence totale de contrôle, est essentielle. Et la frontière entre les mondes est parfois très subtile. Elle est même rendue volontairement floue par la nécessité de parvenir à un consensus dans les instances internationales chargées de définir les listes de contrôle identifiant les biens dont l’exportation doit être maîtrisée. Aussi, il n’est pas rare que des autorités nationales consultent leurs homologues pour lever les ambiguïtés de classement sur certains matériels et des travaux sont encore en cours au niveau européen pour préciser certains termes des listes. Reste qu’aujourd’hui, le champ-même d’application du contrôle au sein de l’Union européenne montre une grande diversité d’un pays à l’autre.
L’étude de l’organisation des autorités de contrôle révèle par ailleurs une faune aussi bigarrée que les processus qu’elles sont chargées de mettre en oeuvre. Le contrôle relève ainsi tantôt d’un ministère de l’économie, tantôt d’un ministère des affaires étrangères, d’un parlement, ou d’une structure interministérielle, voire de différentes autorités en fonction de la sensibilité de l’opération considérée. Ces instances mettront quelques jours à de longs mois à se prononcer sur les requêtes que l’industrie leur présente en vue, selon les réglementations nationales, de procéder à une exportation, d’accepter une commande ou simplement d’entamer des négociations commerciales. Elles feront enfin un usage varié des différentes autorisations prévues par la directive sur les transferts intracommunautaires – licences individuelles, globales ou générales et dérogations – et s’inquiéteront plus ou moins de l’utilisation finale des biens par l’emploi qu’elles feront de conditions, de clauses de non réexportation et d’exigences de traçabilité.
Des objectifs politiques discordants
Au-delà des divergences techniques, qu’une organisation industrielle adaptée permet malgré tout de gérer, le contrôle en Europe se caractérise par une grande disparité politique, beaucoup plus délicate à concilier ou anticiper.
Tout d’abord, la sensibilité de l’opinion publique vis-à-vis des exportations d’armements peut aller d’un soutien indéfectible à l’industrie de défense, où, grosso modo, toute exportation qui n’enfreint pas un embargo de l’Union européenne ou des Nations unies est bonne à prendre, à une aversion
presque viscérale pour les affaires militaires, au point de rêver probablement que ses clients s’engagent un jour à ne jamais utiliser les matériels qu’on leur livre. Les pays de l’Union poursuivent alors à travers leur politique d’exportation, à des degrés divers, des objectifs d’affirmation de valeurs morales, de succès économiques, d’influence diplomatique, de garanties sécuritaires ou de souveraineté nationale.
Il convient maintenant de remarquer que par le jeu des clauses de non réexportation, un État peut imposer ses propres restrictions à l’export à tout produit intégrant les siens, même si l’intégration intervient dans un pays voisin. La difficulté pour une industrie européenne en voie d’intégration est alors de devoir se conformer dans ses opérations export aux objectifs parfois diamétralement opposés que lui fixent les pouvoirs politiques.
« LE CONTRÔLE EUROPÉEN : UNE SOLUTION DE FACILITÉ POUR DES EXPORTATIONS NON ASSUMÉES »
Une autre difficulté pour le développement de coopérations industrielles européennes résulte de l’incertitude que fait peser la politique sur les opérations internationales des entreprises. Si certains pays comme la France reconnaissent qu’une relation bilatérale, particulièrement dans le domaine de la défense, se construit sur de longues années et ne peut donc être révisée qu’au terme d’une réflexion approfondie, ce n’est pas le cas d’autres gouvernements beaucoup plus sensibles aux réactions passionnées de leur opinion publique. Les répercussions de l’affaire Khashoggi et les mesures de rétorsion prises en matière d’exportations d’armement sont ainsi symptomatiques de la volatilité de certains États. En agissant de la sorte, les gouvernements privent leurs entreprises de la visibilité nécessaire à la conduite de leurs activités, et, par ricochet, handicapent leurs partenaires industriels européens.
Un enjeu majeur pour l’Europe de la défense
En multipliant les procédures, les exigences de conformité, et les risques de refus politique au sein de la chaîne d’approvisionnement, les États européens pénalisent leurs entreprises dans leur compétition face à des entreprises extra-européennes qui ne répondent généralement qu’à une seule réglementation nationale. En ce sens, la volonté de développer une BITD européenne intégrée se heurte, dans le domaine du contrôle des exportations aussi, aux principes de souveraineté défendus par les États-membres.
Ce genre de constat n’est pas rare lorsqu’il s’agit de conjuguer Europe et défense. L’ambition actuelle d’aller encore plus loin dans l’intégration et donner à l’Europe de la défense un outil industriel pour assurer sa souveraineté capacitaire rend toutefois la question critique. En raison de la nécessité pour l’industrie européenne de défense de compléter les commandes domestiques par des marchés extérieurs, la coopération structurée permanente, le fonds européen de défense et les projets ambitieux de coopération franco-allemands ne pourront réussir que si les États y participant parviennent à s’entendre sur la question des exportations.
« UN ÉTAT PEUT IMPOSER SES RESTRICTIONS EXPORT À SES PARTENAIRES »
Il n’est pas question pour autant d’abandonner aujourd’hui nos souverainetés nationales à une autorité de contrôle européenne, comme le suggèrent certains pays mal à l’aise avec leurs exportations d’armements. La solution pour les États coopérants consiste plutôt à établir un environnement favorable aux échanges industriels et assurant la compétitivité des produits européens sur le marché international. Cela suppose, d’une part, que l’obtention des autorisations de transferts au sein d’une coopération soit simplifiée pour réduire la charge administrative au strict nécessaire, ensuite, que les États partenaires respectent la souveraineté de chacun et s’accordent à limiter les cas justifiant que l’un puisse s’opposer à ce que l’autre exporte le fruit de leur coopération ; enfin, que les États exportateurs donnent aux entreprises suffisamment de visibilité en faisant preuve de constance en matière de politique d’exportation. La concrétisation de la coopération structurée permanente exige maintenant des autorités de contrôles européennes qu’elles agissent vite.
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