EXPORTATIONS D’ARMEMENT EN EUROPE ET BASE INDUSTRIELLE ET TECHNOLOGIQUE DE DÉFENSE
Coopérations, capacités industrielles, partenariats et grand export : un système complexe appelé à évoluer en liaison avec nos partenaires européens dont la DGA est l’un des leviers majeurs.
Grâce à une action constante et continue depuis plus de cinquante ans en matière de recherche et d’investissement, la France dispose d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) forte, étendue, diversifiée, innovante et compétitive, reconnue au niveau international. Elle regroupe une dizaine de grands groupes, plus de 4 000 PME et s’appuie sur 200 000 emplois en France. L’export est une nécessité pour maintenir cette BITD qui permet d’adresser l’ensemble des capacités de défense nécessaires à nos armées. De fait, le montant de nos importations annuelles d’équipements de défense (1,5 à 2 G€ en moyenne) est faible comparativement aux acquisitions domestiques, mais aussi par rapport à notre volume d’exportations (6 à 8 G€ en moyenne).
Des échanges européens logiquement déséquilibrés
Nos importations sont issues pour moitié de l’Union Européenne1 (Royaume uni, Allemagne, Espagne et Italie notamment) et à près de 30 % des États-Unis. Elles portent notamment sur des composants ou systèmes nécessaires aux forces que seuls les États-Unis, par leur puissance industrielle et technologique, sont actuellement en mesure de fournir, répondent souvent à un besoin opérationnel urgent (ex : drone Reaper), ou entrent dans le cadre d’achats « sur étagère » de matériels (ex : Fusil d’assaut allemand HK 416F successeur du FAMAS...).
L’Europe n’est pas non plus la destination majoritaire de nos exportations de défense. Quatrième, voire troisième au niveau mondial selon les années, la France occupe le premier rang en Europe en matière d’exportation d’équipements de défense. Ainsi, même lors des meilleures années 2015 (17 G€) et 2016 (14 G€), tirées par des contrats exports de matériels majeurs (ex : Rafale...), les clients sont majoritairement hors d’Europe (Égypte, Inde, Qatar...). La part des pays européens représente 10 % en moyenne sur les dix dernières années et concerne principalement des pays membres de l’UE, notamment nos partenaires historiques comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Parmi les principaux clients de la France sur cette période, ne figure qu’un seul pays européen, la Grande-Bretagne, et à la neuvième place.
De surcroît, la part des contrats inférieurs à 15 M€ gagnés par l’industrie française y est bien plus importante, tandis que les contrats de plus de 200 M€ constituent une exception.
Différents facteurs explicatifs peuvent être évoqués. D’abord, plusieurs pays européens (Royaume-Uni, Allemagne, Italie) peuvent être vus comme nos équivalents et disposent d’une BITD leur permettant de mener seul certains programmes d’armement et de nous concurrencer.
Par ailleurs, l’achat « européen »
n’est pas toujours l’option privilégiée dans tous les pays de l’UE. L’acquisition d’équipements américains est en effet souvent préférée par les pays dont l’organisation nationale pour les acquisitions d’armement est limitée, voire inexistante. Très peu de pays disposent d’un équivalent de la DGA. Ils privilégient souvent le recours aux Foreign Military Sales, plus simples que les procédures d’acquisition de matériels européens encadrées par la réglementation applicable en Europe sur les marchés publics de défense et de sécurité. Il est également parfois difficile pour l’industrie européenne de concurrencer les offres américaines, bénéficiant notamment d’un effet de volume important faites soit directement, soit au travers de l’Otan dans les pays particulièrement attachés à la préservation de liens privilégiés avec les USA et à la garantie de la protection militaire apportée par ces derniers. La forte présence américaine sur les marchés d’armement est particulièrement notable en Europe Centrale et de l’Est, ainsi que dans les pays baltes.
TRÈS PEU DE PAYS DISPOSENT D’UN ÉQUIVALENT DE LA DGA
Cette part relativement modeste de l’Europe dans le montant total des exportations françaises s’explique également par le fait qu’aux côtés des opérations qualifiées « d’exportation » (vente d’équipements français à des États étrangers), les programmes en « coopération » (visant à répondre à la fois aux besoins des forces armées françaises et étrangères par un co-développement) constituent un volet structurant des activités européennes en matière d’armement. Or la coopération est également un vecteur majeur de vente de la production française à l’étranger. Elle y contribue en effet, directement par la participation de l’industrie française à ces programmes, mais aussi indirectement en soutenant l’intégration de l’industrie européenne améliorant par la même occasion sa compétitivité sur le marché international.
Des cadres multiples
Nos principaux interlocuteurs et nos principaux partenaires en matière de coopération sont les pays fondateurs2 du groupe de la Letter of Intent (LoI) qui sont ceux disposant de la BITD la plus développée en Europe.
La France participe aujourd’hui à la plupart des grands programmes européens actuels, dans un cadre multilatéral ou bilatéral : notamment A 400M, NH 90, Tigre, Fremm, les systèmes de missiles FSAF/PAAMS sur la base des missiles Aster, les missiles Meteor et Antinavire léger (ANL), la Guerre des mines futures (MMCM).
Nos partenaires historiques principaux sont le Royaume-Uni, l’Italie et l’Allemagne. Avec le RoyaumeUni, le traité de Lancaster House définit un cadre stratégique unique du fait des proximités stratégiques entre nos pays et de notre culture d’intervention commune. Notre relation est dense et centrée, pour les programmes, autour des missiles, de la guerre des mines et des technologies de l’aviation de combat future. Avec l’Italie, la France poursuit notamment sa coopération sur les systèmes de défense
A400M au décollage sur piste en terre (photo Airbus)
LA FRANCE EXPLORE SYSTÉMATIQUEMENT LA PISTE D’UNE COOPÉRATION EUROPÉENNE POUR TOUTE NOUVELLE OPÉRATION D’ARMEMENT
aérienne basés sur le missile Aster, va coopérer sur le programme LSS/Flotlog (pétroliers ravitailleurs) et travaille à une feuille de route conjointe pour identifier les opportunités à venir dans le secteur spatial (prochaines générations de systèmes d’observation et de communication), domaine historique de coopération franco-italienne. Avec l’Allemagne, la dynamique bilatérale a été relancée lors du sommet franco-allemand de juillet 2017 qui a établi une feuille de route particulièrement ambitieuse sur l’aviation de combat future, la nouvelle génération de systèmes terrestres, les systèmes de patrouille maritime, les hélicoptères (prochain standard Tigre) et la poursuite de la participation commune au programme Eurodrone, associant également l’Espagne et l’Italie.
A l’exception de certains domaines souverains comme la dissuasion, la France explore systématiquement la piste d’une coopération européenne pour toute nouvelle opération d’armement. Elle développe
ainsi depuis plusieurs décennies une politique ambitieuse de coopération avec ses partenaires européens, politique qui la place au premier niveau des nations coopérantes.
Cette ambition de coopération européenne a été réaffirmée dans la dernière revue stratégique de défense et de sécurité nationale. Le président de la République a appelé, dans sa préface, à relancer l’Europe de la défense, notamment « en consolidant nos industries de défense pour qu’elles conservent leur excellence technologique et demeurent compétitives à l’échelle mondiale ». La loi de programmation militaire 2019 2025 a par ailleurs inscrit l’autonomie stratégique nationale de la France dans la perspective d’une autonomie stratégique européenne et érigé en principe que « le nombre de programmes en coopération avec des partenaires européens sera augmenté de 36 % par rapport à la précédente LPM ».
Version française de la FREMM franco-italienne
Quelques pistes en cours
En ce sens, les initiatives récentes lancées par l’Union Européenne (coopération structurée permanente (CSP) et fonds européen de défense -Fedef) constituent des opportunités à saisir. La Direction générale de l’armement, en coordination avec les autres acteurs du ministère, a un rôle majeur à jouer dans le renforcement des dialogues bilatéraux et multilatéraux et le développement conjoint de capacités de défense entre États.
Ces initiatives sont des opportunités pour soutenir les projets industriels ambitieux qui permettront de construire des systèmes de défense européens « made in Europe ». La promotion de l’autonomie stratégique européenne et le soutien à une industrie de défense efficace au niveau européen sont désormais des objectifs clairs et tangibles, partagés par une large majorité de pays européens.
Les enjeux sont majeurs et les attentes élevées. La construction d’une Union Européenne plus forte dans le domaine de la défense ne doit pas pour autant affaiblir les liens avec les partenaires hors UE. Ces liens doivent être plus que jamais renforcés. La relation stratégique avec le Royaume-Uni reste essentielle pour l’Europe de la Défense et doit être maintenue malgré le Brexit. Avec l’Otan, il convient d’assurer une complémentarité et cohérence des actions conduites au niveau européen. Renforcer la défense européenne aura pour effet de renforcer l’Otan. Les initiatives européennes participent en effet au « partage du fardeau » et à la prise en charge par les alliés européens des efforts nécessaires en matière de défense.
Le développement des exportations françaises en Europe passe d’ailleurs également par le renforcement de la position française au sein de l’Otan, enjeu significatif pour l’industrie française. Des solutions industrielles européennes doivent être bâties et proposées pour répondre aux objectifs capacitaires de l’Otan. Il convient également de porter attention aux initiatives d’achat groupé qui se mettent progressivement en place via l’agence NSPA (Nato Support and Procurement Agency). Elles sont, pour la France, des opportunités à saisir pour promouvoir les équipements français auprès des autres nations. La France doit également s’inspirer du concept de FNC (Framework Nation Concept) promu par l’Allemagne au sein de l’Otan, qui consiste à mettre en commun des capacités et forces par regroupements autour de nations cadres3. A l’instar de la démarche ainsi initiée par l’Allemagne, la France a tout intérêt à mettre à profit les capacités opérationnelles et technologiques dont elle dispose pour proposer aux nations partenaires une offre associant, en sus des équipements livrés, un accompagnement multidimensionnel dans la durée : formation partagée, entraînements communs, etc.
Partenariats au cas par cas
En parallèle, nous devons être innovants et savoir adapter nos
outils juridiques d’accompagnement étatique des prospects, à l’instar des contrats d’État à État mis en place pour répondre à une demande croissante de pays clients (y compris en Europe) d’un accompagnement fort de l’État français. C’est l’exemple même du partenariat que nous sommes en train de mettre en œuvre avec la Belgique dans le domaine de la mobilité terrestre, autour du programme Scorpion. Il permettra l’émergence d’une coopération sans précédent entre nos deux armées.
Le maintien de la capacité à exporter de notre BITD en Europe et hors d’Europe reste une nécessité. Par conséquent, le développement en commun de capacités, en bilatéral ou en multilatéral, et éventuellement dans un des cadres actuellement promus par l’UE, et quel que soit le schéma retenu, ne doit pas être un frein à l’export de nos équipements. Il convient donc également de progresser avec nos partenaires sur les modalités de contrôle du transfert et de l’exportation d’équipements qui seraient développés dans un contexte de partenariat, afin qu’elles ne soient pas un frein à l’exercice de nos politiques d’exportation nationale. Nous devons notamment avoir ce type de discussion avec l’Allemagne, dans l’esprit de l’accord « Debré – Schmidt », qui avait constitué un principe fondateur des coopérations franco-allemandes lancées il y a plusieurs décennies.
1 : Source : bulletin de l’observatoire économique de la défense, mai 2018
2 : France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne et Suède
3 : La Nation Cadre disposant d’une large palette de capacités joue un rôle moteur et fédère les contributions complémentaires spécialisées apportées par des « petites » nations n’ayant pas les moyens de développer en propre un éventail large de capacités.
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