DE LA « POUDRERIE » À L’INDUSTRIE 4.0
TÉMOIGNAGE SUR 30 ANS D’ÉVOLUTIONS
Mon parcours à la Direction Générale de l’Armement m’a donné l’opportunité de visiter pendant plus de trente années les différents sites industriels du domaine munitionnaire et pyrotechnique. La France dispose de compétences de premier plan sur tous les aspects de ce domaine, en chimie, en production, en usages. Les filières se sont restructurées et modernisées, comme l’illustre l’automatisation des chaînes et l’introduction du flux continu. La sécurité et l’environnement sont omniprésents, et recouvrent tout le cycle de vie. Une industrie radicalement transformée et bien vivante.
A la fin des années 80, exception faite des installations liées à la dissuasion ou au spatial, le tissu industriel français dans le domaine de la pyrotechnie est en grande partie vieillissant et surcapacitaire. Cette situation peut alors paraitre d’autant plus inquiétante que des tournants majeurs s’amorcent dans la société :
- la fin de la guerre froide ;
- une concurrence mondialisée ;
- des exigences de qualité et de sécurité accrues ;
- de nouveaux enjeux environnementaux ;
- le début de l’ère du numérique…
Certes, depuis, certaines activités ont disparu du territoire national et des sites importants ont été fermés. Cependant, on peut faire le constat global que l’industrie pyrotechnique française a été capable, durant ces trente années de se transformer, de se moderniser, de s’adapter à une nouvelle donne technique et économique.
La grande diversité de nos capacités industrielles
Le premier constat que l’on peut faire, c’est que notre pays dispose aujourd’hui, dans ce domaine, d’un ensemble de capacités industrielles et de recherche remarquable, probablement le plus large d’Europe. Les produits fabriqués vont d’objets destinés à l’amorçage, qui peuvent ne contenir que quelques mg de produits pyrotechniques, aux boosters d’Ariane 5 qui emportent plus de 230 t de propergols.
Les substances pyrotechniques par leurs capacités à générer différents effets se trouvent associées avec réussite aux développements de nombreux produits. Les piles thermiques qui sont notamment utilisées dans les applications spatiales et missilières en sont un exemple très intéressant. En effet, ce sont bien des compositions pyrotechniques qui par leur réaction chauffent les électrolytes des piles et ainsi permettent le fonctionnement de ces dernières. La position française est assez remarquable sur ce produit et se développe significativement.
L’utilisation des caractéristiques du fonctionnement pyrotechnique se trouve également dans des produits de notre quotidien et de grande consommation comme les générateurs de gaz pour les airbags des voitures. Cela démontre la capacité de notre industrie à se positionner de façon compétitive sur des segments très concurrentiels.
La profession a également su faire évoluer sa chaine de valeur en développant des prestations élargies. Dans le domaine des explosifs civils pour mines et carrières, ce n’est plus seulement une quantité d’explosifs qui est vendue mais un service global comprenant des prestations de logistique et d’ingénierie sur le minage.
Une modernisation des capacités de développement et de production
Des progrès considérables ont été faits dans la modélisation du comportement des matériaux énergétiques. Ces nouvelles capacités permettent de réduire significativement le nombre d’essais dans les développements et ainsi de réduire les coûts et les délais de ces derniers. Cela donne au secteur des capacités d’innovation et de réactivité qui n’existaient pas dans le passé.
Ce qui frappe le plus dans une visite d’atelier aujourd’hui, en comparaison d’il y a trente ans, c’est bien évidemment la mise en place de nouveaux moyens de production. L’automatisation des chaines de production s’est développée significativement. Ces évolutions ont fait appel à des efforts très conséquents d’ingénierie pour garantir le respect des exigences réglementaires et de sécurité. Cette automatisation a permis d’apporter un accroissement de compétitivité, de qualité et de traçabilité des produits, mais également de sécurité, en mettant les opérateurs à distance des produits pyrotechniques.
Les exemples de ces nouveaux moyens industriels sont nombreux, on peut en particulier mentionner les chaines de production pour les munitions de moyens et gros calibres, pour les charges modulaires d’artillerie de 155 mm…Le domaine civil n’est pas en reste avec des procédés continus d’extrusion par bi-vis qui permettent de produire des poudres pour la chasse ou le tir sportif. Ce moyen de production en continu permet à notre industrie d’être compétitive, là encore, sur des secteurs très concurrentiels.
CRÉER UN CAMPUS PYROTECHNIE DU FUTUR À BOURGES
Une meilleure prise en compte des exigences environnementales
Bien évidemment, la profession a également pris en compte dans ses transformations les nouvelles exigences environnementales, avec la réduction des divers rejets et effluents. Et cela, aussi bien, pour les activités de production que pour celles de destruction et de démantèlement.
Ce qui frappe le plus dans une visite d’atelier aujourd’hui, en comparaison d’il y a trente ans, c’est bien évidemment la mise en place de nouveaux moyens de production. L’automatisation des chaines
Un moyen de traitement biologique avec l’usage de bactéries qui « mangent » les propergols à base de perchlorate d’ammonium a été mis au point pour le démantèlement des gros propulseurs à poudre.
Plusieurs fours de destruction de divers produits pyrotechniques ont été mis en place avec des capacités de récupération et de traitement des fumées issues des combustions.
Bien évidemment, le secteur continue d’évoluer et de se moderniser en permanence. On peut, en particulier, noter les investissements en cours pour la construction d’une nouvelle usine de fabrication d’hexogène, les recherches pour l’utilisation de malaxeurs acoustiques….
Toutes ces évolutions, transforment nos sites de production mais aussi les métiers associés. L’adaptation et le renforcement des compétences techniques des personnels est donc un enjeu majeur pour la profession, d’autant plus que l’on connait un contexte de turnover des jeunes salariés plus important que par le passé. Ce sont les objectifs des travaux en cours qui concerne la création d’un « Campus Pyrotechnie du Futur » à Bourges. Ce campus aura pour vocation d’apporter, en partenariat avec les autres acteurs de la formation, des solutions concrètes à ces enjeux de compétence.
Jean-Yves Kermarrec, ICETA, formateur et consultant Après son diplôme de l’ENSTA Bretagne, il effectue une carrière de plus de trente ans à la Direction Générale de l’Armement avec des postes en lien avec le domaine munitionnaire : expertise technique, management de projet, politique industrielle, adjoint sécurité pyrotechnique auprès de l’inspecteur pour les poudres et explosifs. Il est aujourd’hui formateur/consultant pour la réglementation de sécurité pyrotechnique et la gestion de projet en lien avec ce secteur. |
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