LA PETITE PYROTECHNIE
UN DOMAINE ESSENTIEL MAIS TROP FRAGMENTE
Avec pas moins d’une dizaine d’acteurs industriels significatifs recensés en France, la petite pyrotechnie est un secteur étonnant : tantôt client, fournisseur ou concurrent, ses acteurs nouent des relations à géométrie variable et à forte imbrication… Notre filière ne manque pas d’atouts : moderne, exportatrice, duale, majoritairement souveraine, elle sert avec brio nos grands programmes d’armement ou spatiaux. Elle doit pourtant s’adapter pour éviter que sa fragmentation ne la fragilise au moment où l’environnement international est devenu beaucoup plus compétitif.
Née de la fusion des sociétés Pyromeca et Pyrospace, respectivement créées en 1957 et 1987, Pyroalliance s’appuie sur un héritage historique fort de plus de 2000 références produit et fêtera cette année les 25 ans de sa création. C’est une filiale dite « stratégique » de l’État qui exporte 30% de sa production et contribue avec succès aux plus grands programmes de missiles tactiques et de lanceurs spatiaux européens. Nos produits assurent avec une fiabilité incomparable des fonctions dites « critiques » pour les systèmes qui les embarquent : allumage moteur, transmission d’ordres, séparations d’étages, actionnements et déploiements d’appendices, neutralisation et sauvegarde, fragilisation de verrières, etc.
Leader français du secteur, Pyroalliance (environ 200 collaborateurs – classe 30 à 40M€ de Chiffre d’Affaires) présente un pédigrée assez emblématique des forces mais aussi peut-être les limites actuelles de cette filière sur lesquelles il est intéressant de se pencher…
Les forces de notre filière…
La petite pyrotechnie occupe une place de choix dans un nombre remarquable de systèmes – qu’on peut eux-mêmes qualifier de produits d’exception – depuis les grands programmes de missiles tactiques (Missiles de croisière Scalp / Storm-Shadow, Intercepteurs de la famille Aster, Missiles antinavires de la famille Exocet pour n’en citer que quelques-uns) jusqu’aux programmes de lanceurs spatiaux (avec les familles européennes Ariane et Vega), en passant par les avions d’armes (comme le Mirage 2000 ou le Rafale). Elle permet d’assurer les fonctions précitées avec une fiabilité à toute épreuve et ceci dans des environnements particulièrement exigeants. Ces grands systèmes comptent et compteront encore longtemps sur la technologie pyrotechnique, en particulier pour ses propriétés de densité énergétique si précieuse pour des systèmes embarqués.
Initiateurs Fonctionnant par Ondes de Chocs (IFOC) – un produit spatial aujourd’hui également décliné pour les missiles tactiques
L’industrie française, prise collectivement, maîtrise l’ensemble des technologies associées, et sait les combiner avec succès pour équiper nos programmes. Elle sait également innover et s’adapter aux évolutions des marchés. Pour sa part, Pyroalliance a par exemple su s’imposer dans le très concurrentiel domaine du New space en livrant les écrous pyrotechniques qui permettent le déploiement d’une méga-constellation de plusieurs centaines de satellites. Les succès à l’export de notre industrie aéronautique et missilière ainsi que le dernier méga-contrat remporté par Arianespace pour déployer avec le nouveau lanceur Ariane 6 les satellites d’Amazon laissent présager de belles perspectives de productions en série, autant de gages de pérennité pour la filière française.
Les approvisionnements : un sujet délicatDans notre filière, les volumes de matériaux énergétiques approvisionnés sont modestes et représentent souvent un handicap quand les quantités commandées s’expriment en kilogrammes auprès de fournisseurs qui traitent les matières à la tonne avec leurs autres clients, avec – autre spécificité – un niveau d’exigence de qualité très élevé. Les prix mais surtout la priorité de traitement et les délais de livraison s’en ressentent et doivent faire l’objet d’une surveillance accrue. Par ailleurs, la variété sans limite des poudres et propergols d’intérêt pour nos applications et les faibles volumes associés font de la sécurité et de la souveraineté d’approvisionnement un enjeu majeur : des choix industriels ont dû être faits et, si les composants essentiels restent encore disponibles auprès de producteurs français, il faut parfois user de stratégies complexes pour accéder à l’approvisionnement de certaines compositions. |
Enfin, notre filière bénéficie d’un soutien institutionnel souvent précieux pour faire émerger les évolutions technologiques nécessaires aux programmes nationaux et européens. Nombreux sont les exemples de technologie dont la montée en maturité a pu être accompagnée financièrement par des dispositifs DGA, CNES, ou ESA jusqu’à atteindre le niveau de TRL (Technology Readiness Level) suffisant pour entrer en développement. La dualité des technologies pyrotechniques permet à de nombreux produits, même s’ils doivent obéir à des spécifications d’environnement adaptées aux applications visées, de s’appuyer sur une souche commune. Les allumeurs des moteurs à propulsion solide – appelés Initiateurs Fonctionnant par Ondes de Chocs (IFOC) – utilisés pour les propulseurs des missiles tactiques ont par exemple bénéficié d’une technologie initialement développée pour les accélérateurs à poudre des lanceurs spatiaux…
…et ses limites qui incitent à la vigilance
En revanche, si l’on peut se féliciter du savoir-faire de l’« Equipe de France » de la pyrotechnie, sa fragmentation est un sujet qui interroge : en effet, tous ses acteurs sont de taille modeste sur le segment de la petite pyrotechnie (au plus quelques dizaines de M€ de Chiffre d’Affaires) et aucun de ses acteurs ne maîtrise seul l’intégralité de la chaine pyrotechnique complète [sécurisation – initiation – propagation – fonctions terminales]. Beaucoup, si ce n’est tous, dépendent d’autres acteurs pour certaines briques ou composants de leurs solutions. Les lignes de produits des uns et des autres se superposent et il n’est pas rare dans les appels d’offres de faire face à 4 ou 5 concurrents nationaux ! Le maintien des compétences est aussi un défi de taille pour des structures, parfois, de quelques dizaines de personnes. Il peut être difficile, en effet, de garantir, dans ces circonstances, la qualité et la pérennité des produits quand les compétences critiques impliquées reposent parfois sur un nombre réduit à quelques « sachants ». Enfin, tous sollicitent pour financer leur R&T les mêmes soutiens institutionnels qui se trouvent ainsi trop dilués pour permettre à tous de rester en pointe sur tous les fronts face à la concurrence internationale.
A contrario, de l’autre côté de l’Atlantique, la concentration a déjà eu lieu et les acteurs autrefois aussi fragmentés que les nôtres sont désormais concentrés autour de 3 « champions » qui maîtrisent l’intégralité de la chaine et pèsent chacun entre 150 et 200 M$ de Chiffre d’Affaires. Ils disposent de portefeuilles produits très étoffés et proposent quantité de produits sur étagère déjà qualifiés et dont les couts de développement ont déjà été amortis sur des programmes nationaux. Ainsi, sur tous les marchés ouverts à la concurrence américaine, l’industrie européenne de la petite pyrotechnie fait face à des concurrents redoutables. De leur côté, les donneurs d’ordre américains ont gagné au change : tout en préservant la possibilité de mise en concurrence, ils disposent de sous-systémiers robustes, compétitifs et innovants.
Une vision pour la filière
La solution est à la fois simple à formuler – concentrer les forces sur quelques acteurs – et complexe à mettre en œuvre car cette fragmentation en Europe est aussi le fait de maîtres d’œuvre intégrateurs qui possèdent des compétences en propre et ne sont pas prêts à s’en départir, soucieux d’en garder la maîtrise de manière autonome. La crise actuelle en Ukraine va renforcer encore un peu plus la volonté d’une souveraineté durable sur les technologies critiques de défense ; assurément il y a sur cette question une voie qu’il conviendrait d’instruire pour notre filière.
François Degryse IPA, Directeur de la Stratégie et du Business Development, PyroallianceAprès 10 ans à la DGA essentiellement consacrés aux programmes spatiaux militaires, François Degryse (X93/SupAero) rejoint Astrium Services en 2008 pour développer l’approche services dans les télécommunications spatiales des Forces Armées puis Astrium Space Transportation en 2012 où il négocie les contrats de production du lanceur Ariane 5. Impliqué en 2015-2016 dans la genèse du programme Ariane 6 chez Airbus Safran Launchers, François rejoint Pyroalliance, filiale d’ArianeGroup en 2017. |
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