IMMERSION DANS LES PRÉFECTURES
DES IA 2022 SUR LE TERRAIN
Là où leurs illustres antiques embarquaient jadis sur la Mission Jeanne d’Arc, les IA 2022, terminant leur Formation Administrative et Militaire, ont inauguré un nouveau format de stage : une immersion de 3 mois dans les services publics, pour la plupart au sein de cabinets de préfets. Dans cette interview croisée, deux d’entre eux témoignent de leur expérience au sein des préfectures de l’Indre et du Calvados.
La CAIA : Après un stage opérationnel et la FAMIA, vous voici en préfecture. Quel rapport d’étonnement faites-vous ?
Alexandre : en arrivant dans l’Indre, je n’avais pas vraiment d’idée du travail concret d’une préfecture ; j’imaginais vaguement le rôle de préfet comme celui de « chef du département », une sorte de pouvoir local. En réalité le préfet est le représentant de l’État dans le département, il incarne donc l’action du gouvernement et la centralisation. Les services de la préfecture cherchent principalement à décliner l’action ministérielle dans les politiques publiques locales. En temps de crise, c’est tout le contraire qui se produit : le préfet commande l’action de l'État dans son département et réquisitionne les moyens nécessaires. La gestion des crises est en quelque sorte la raison d’être de la préfecture : une grande partie de son travail vise justement à les prévenir et à préparer les moyens nécessaires pour y faire face si besoin.
Le rôle du préfet est essentiellement tourné vers le court terme, avec beaucoup de problématiques opérationnelles, là où nos études et la FAMIA nous préparent à un travail de fond, avec un horizon de plusieurs années voire des décennies pour certains programmes d’armement. Le changement d’horizon fut d’autant plus net lors de mon stage avec le relai de la flamme puis les épreuves olympiques de tir sportif à Châteauroux. La charge de travail liée aux JOP et à nos faibles effectifs nous a détourné des sujets de fond. A cela s’est ajoutée une série noire de 4 homicides entre fin avril et début juin, puis une liquidation judiciaire sensible. L’inconvénient est qu’à force de ne traiter que des urgences, il est difficile de prendre du recul sur les choses.
« Les décisions de la Préfecture peuvent s’appliquer à l’ensemble de la population, et sont parfois très attendues. »
Joseph : Je rejoins Alexandre sur la notion du court terme qui est très éloignée de ce que nous envisageons usuellement dans notre formation d’ingénieur, et plus particulièrement d’IA. J’ai pu expérimenter cette notion de temps court en temps de crise (ou plutôt d’organisation de grand événement) avec le 80ème anniversaire du Débarquement en Normandie mais également dans le travail courant du cabinet du préfet. Dans tous les cas, les sollicitations sont nombreuses, les enjeux complexes et multiples et il importe de prendre en compte l’ensemble des points de vue exprimés. De plus, chaque décision peut avoir un impact direct très important et visible sur la vie des habitants. Au contraire de ce qui transparaît du rôle d’un IA, les décisions de la préfecture peuvent s’appliquer à l’ensemble de la population, et sont parfois très attendues.
La CAIA : Que peut-on dire de l’équilibre des pouvoirs en régions ?
Alexandre : Dans la vie quotidienne, les politiques locaux (maires, conseil départemental, voire régional) financent de nombreux services, actions et événements au sein des territoires, et sont donc plus visibles. Les préfets peuvent abonder avec les dotations de l’État, mais celles-ci restent faibles. Aussi leur rôle reste surtout régalien (ordre public et protection des populations). En revanche, leur rôle central et l’image de puissance de l’État qu’ils incarnent leur donnent un important réseau et la capacité de mobiliser des acteurs variés pour les faire travailler ensemble.
Pour les sujets de défense et de sécurité, c’est surtout l’échelon zonal qui compte : non pas la préfecture de région, mais la préfecture de Zone de Défense et de Sécurité. Dans l’Indre, nous travaillions donc surtout avec Rennes (ZDS Ouest). Les armées n’étant pas un service déconcentré de l’État, j’ai pu constater que le lien avec le préfet est en réalité assez limité. Il peut néanmoins s’appuyer sur son délégué militaire départemental, chargé entre autres de le conseiller sur ces sujets. Par ailleurs, les 80 ans du débarquement nous ont offert l’occasion d’organiser une grande cérémonie au château de Valençay, avec comme mot d’ordre le lien armée-nation !
La CAIA : Au contact des acteurs des territoires (économiques, services publics au sens large, sociétaux), qu’est-ce qui vous frappe ?
Alexandre : L’Indre est un département de la célèbre “diagonale du vide”, beaucoup le traversent entre Paris et Toulouse mais peu le connaissent. Les cultures céréalières sont moins rentables que dans la Beauce, la ressource en eau est limitée, le tourisme peu développé, la désindustrialisation s’est fait sentir et les médecins manquent. Cependant, ce territoire compte bien rebondir ! La réindustrialisation amène de nombreux espoirs, et le secteur de l’armement n’y est d’ailleurs pas pour rien... J’ai vu des acteurs – publics comme privés – cherchant sans relâche à faire vivre leur département, conscients de ses difficultés mais fiers de les relever. Les JOP amènent leur lot de complications mais sont globalement vus par les indriens comme l’occasion unique de faire briller leur département aux yeux du monde entier !
« Un territoire qui a subi la désindustrialisation (…) mais qui compte bien rebondir »
L’éloignement politique et administratif de Paris est tangible au quotidien. Même durant les JOP, il était rare d’entendre parler de Châteauroux dans les médias ! En contrepartie, la faible population de l’Indre et la petite taille de son administration permettent de composer directement avec une multitude d’acteurs, ce qui nous a été bien utile dans le cadre du plan social lié à la liquidation judiciaire d’un industriel emblématique du département. Nous avons convié tous ces acteurs autour de la table et « mis de l’huile dans les rouages » pour que tout le monde arrive à bien coopérer : PME, grands groupes, organisations patronales, services de l’État… A force, tout ce petit monde se connaît bien, et sait faire preuve d’une grande solidarité quand la situation devient difficile. Nous avons ainsi pu multiplier les offres de reclassement pour les salariés, ce fut pour moi une grande bouffée d’optimisme. A défaut d’argent public, on a des idées !
La CAIA : En prévoyant votre retour, que voudriez-vous garder de cette expérience ?
Alexandre : J’en retiendrai surtout des enseignements humains. Il est intéressant de sortir du cadre du MinArm et de se frotter à l’interministériel, a fortiori car ce type de poste se généralise dans les carrières d’IA. Ensuite, travailler directement avec le préfet m’a permis de côtoyer de très près un grand décideur, avec une riche expérience hétéroclite, et d’être considéré comme un membre à part entière de son cabinet. J’ai pu être mis rapidement en situation de responsabilité ce qui m’a poussé à me dépasser, à assimiler et oser prendre en main rapidement des sujets divers, totalement nouveaux pour moi, et à m’imposer dans des discussions.
« Il faut savoir trancher et avancer »
Enfin, pour gérer des sujets aussi complexes et sensibles, il est impossible d’être expert dans chaque domaine. J’ai en revanche pu voir tout l’intérêt d’un bon sens politique pour faire travailler ensemble des personnes dont les intérêts divergent, ou pour arbitrer entre différentes solutions, en bref, quand il faut savoir « trancher et avancer ».
Joseph : Je pense comme Alexandre que ce stage m’a surtout donné une autre vision de travail, avec un savoir-faire très différent de ce que l’on apprend en école d’ingénieur. Par exemple, la connaissance et la recherche des réglementations qui s’appliquent à un sujet ainsi que la lecture de lois et de décrets pour retrouver rapidement les informations nécessaires.
Comme j’indiquais précédemment, les sujets abordés incitent à avoir une vision panoptique des différents points de vue mais également à prendre des décisions sur les éléments à mettre en exergue de manière autonome.
D’un point de vue plus pragmatique, ce stage m’a permis la rédaction de diverses notes et la synthèse de documents, qui sont des exercices classiques dans l’administration. Il signe donc à mon sens une incursion intéressante dans un monde que nous avons peu côtoyé durant notre formation.
Enfin, par l’essence même des services d’une préfecture, j’ai eu l’occasion d’aborder une grande diversité de sujets. Ainsi, j’ai appris à passer facilement d’une discussion sur des enjeux d’ordre public à des problématiques de réglementations environnementales, avec une totale maitrise de mes différents sujets. A mon sens, ce stage, d’autant plus au sein d’un cabinet de préfet, nous apporte un complément de soft skills nécessaire à notre formation.
Après une quatrième année à l'ENSTA Paris en génie maritime, Joseph MARTIN est amené à prendre son premier poste en affectation temporaire à Naval Group sur le site d'Ollioules.
Passionné d’aéronautique dès son jeune âge, il étudie à l’X puis à l’ISAE-Supaéro. Il entame actuellement la formation de pilote du corps technique avant de prendre son premier poste à DGA Essais en Vol (Istres) dans la cellule Systèmes et Drones.
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