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26 octobre 2024

INGÉNIEUR VOLTIGEUR
TÉMOIGNAGE AU CONTACT DE LA BITD

Publié par jacques rousseau | N° 133 - TERRITOIRES

La remontée en cadence de plusieurs secteurs industriels (aéronautique, spatial, ferroviaire, énergies, défense, naval) ont mis en lumière la nécessité d’une mission de contact au plus près des entreprises sous-traitantes des grands noms de l’armement. La capacité à équiper les forces repose à 90% sur des PME & ETI. C’est désormais le rôle des référents industrie de défense du ministère des Armées en région avec ses deux axes : veille économique et technologique de la BITD locale et relations publiques auprès des acteurs étatiques et associations d’entreprises de la région.


Lorsque j’ai candidaté début 2022 à ce poste, je n’imaginais pas l’enjeu que la parole présidentielle lui donnerait rapidement à l’issue de mon entrée en fonction. A cette époque, le poste s’intitulait Correspondant DGA, c’était un poste en affectation temporaire hors-MINARM et la fiche de poste ne suivait donc pas le canevas habituel. De plus le suivi de la BITD par le S2IE (Service des affaires industrielles et de l’intelligence économique) consommait moins de 1% des ressources humaines de la DGA, laissant croire à tort le caractère accessoire de cette mission par rapport aux deux piliers que sont l’expertise technique et la conduite des opérations d’armement. Mais les tambours résonnaient depuis la crise de la COVID, avec une nouvelle ambition d’accompagner l’adaptation de la BITD à l’économie de guerre. Grâce à ses attachés d’industrie de défense en région, la DGA était présente dans les territoires et comptait bien s’y renforcer.

J’ai toujours abordé mes postes successifs en gardant à l’esprit la finalité de la DGA : équiper les forces, en évitant toute tentation technophile. Cet objectif nécessite aussi de maîtriser l’ensemble des chaînes de production des systèmes d’armes et équipements, dans la mesure raisonnable de notre modèle économique libéral : du fournisseur de matière première, d’outils de coupe qui permettront de la débiter, des briques réfractaires des forges qui lui donneront sa forme et ses propriétés, à l’intégrateur qui assume la responsabilité d’assembler ces puzzles. La BITD étant un écosystème majoritairement industriel, elle ne déroge pas à l’implacable statistique : 70% de l’emploi industriel est dans des villes de moins de 20 000 habitants, 30% en milieu rural. Pour développer et consolider la relation de partenariat que la DGA souhaite avoir avec ses fournisseurs, il faut donc des agents dédiés à cette mission spécifique qui arpentent les territoires à la rencontre des dirigeants d’entreprises, pour s’intéresser à eux et à leurs difficultés quotidiennes, découvrir leurs sites de production, s’émerveiller devant leurs produits. Je me positionne donc à l’extrême opposé d’un directeur de programme, et nous avons chacun un rôle complémentaire.

« ... POUR CONSOLIDER LES PARTENARIATS... DES AGENTS DÉDIÉS... »

Bien que considéré comme un client, j’ai abordé ma mission avec beaucoup d’humilité : humilité devant le caractère historique de beaucoup d’entreprises, petites, très petites, mais toujours dignes des plus grandes sagas familiales, assumant tant leur rôle social d’employeur que patriotique de contributeur à l’outil de défense ; humilité devant l’excellence des savoir-faire entretenus ; humilité devant la capacité de ces dirigeants à se renouveler face aux difficultés régulièrement surmontées.

Des pépites

Si je ne les avais pas vues de mes propres yeux, les histoires de quelques pépites me sembleraient des légendes urbaines : telle entreprise installée aux portes d’une ancienne mine, fondée par un chercheur désintéressé et qui exporte des produits inégalés dans les installations scientifiques les plus exigeantes, tel solitaire dans son garage de la région lyonnaise sans lequel quelques sous-marins n’auraient pas quitté leur bassin, tel entrepreneur prêt à créer une méga factory pour répondre à l’énorme défi stratégique du besoin en aimants face à l’hégémonie chinoise sur les terres rares.

Mais tout aussi conscient de l’enjeu stratégique de la mission de connaissance de ces sociétés (800 entreprises en région Auvergne-Rhône-Alpes sur les 4500 suivies : 2ème région BITD et 1ère région industrielle de France), j’ai dû me faire ma propre place, face parfois à un certain dénigrement de l’industrie de défense, et faire preuve d’audace et d’un peu de culot pour jouer des coudes au sein des nombreux organes publics présents dans les territoires, audace également pour représenter la DGA face aux nombreuses entreprises qui voient de très loin les programmes, et audace aussi pour développer de nouveaux réseaux locaux.

La réorganisation de la DGA et la création de la DID ont donné à ma mission une visibilité renforcée qui me facilite le travail mais renforce mes responsabilités : à l’initiative directe du ministre des Armées nous avons été mis en relation avec chaque préfecture de région et chaque président de région.

Je passe en moyenne 2 jours par semaine à mon bureau

Je rythme donc mon quotidien par de nombreuses visites d’entreprises connues pour leurs contributions aux programmes d’armement, auprès desquelles j’ai la responsabilité de capter le plus d’informations possible (santé économique, technologique, humaine…), dans le cadre strict du secret des affaires. J’en profite aussi pour les sensibiliser sur la sécurité cyber et physique, la sécurité des approvisionnements ; et pour présenter les dispositifs de soutien au développement économique sur l’innovation, le fonctionnement ou l’export. Je visite le plus d’entreprises possible car c’est la source de légitimité de ma parole : je suis écouté si je connais la réalité de l’activité industrielle. Il me faut aussi rester présent auprès des pôles de compétitivité, source importante et fiable d’informations sur les écosystèmes de leurs filières.

Je maintiens également une présence régulière dans les organes de l’action publique dans les territoires : DRSD pour le volet contre-ingérence économique, préfectures, conseil régional, banque de France ou des organisations privées : cluster, UIMM, Medef, CPME, cercles de réflexions…, toute invitation (ou presque) est bonne à honorer.

Enfin, nombreuses sont les sollicitations de porteurs de projets qui marquent leur intérêt pour l’équipement des forces, attirés probablement par une LPM présentée comme généreuse. C’est là que la formation d’un OCA, qui m’assure d’être crédible auprès d’un patron de PME en comprenant la technicité de sa société, me permet de filtrer les initiatives non pertinentes.

Visite de l’usine Centralp à Vénissieux (69)

Visite de l’usine Centralp à Vénissieux (69)

De l’état d’esprit ingénieur je garde la curiosité intellectuelle et le souci de la précision : ce sont des sources d’empathie avec le dirigeant, d’émerveillement devant le travail réalisé. De la tradition du voltigeur, je garde l’agilité et l’autonomie, chaque visite, chaque rendez-vous est une escarmouche un peu derrière les lignes dont je ne peux pas repartir bredouille, je dois donner le sentiment d’être présent partout. Grâce à la mission d’attaché d’industrie de défense qui m’a été confiée, forger les armes de la France ne sera jamais une expérience plus concrète.

Photo de l auteur
Jacques Rousseau, IPETA

Attaché d’industrie de défense en région Auvergne-Rhône-Alpes (AIDeR), Direction de l’industrie de défense. Jacques Rousseau a commencé sa carrière en 2011 à DGA MI dans l’autoprotection infrarouge des avions d’armes, qu’il poursuit comme architecte détection IR au service de programmes aéronautiques. Il a rejoint la DID en 2022.

Auteur

jacques rousseau

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