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Visite à Preuilly en compagnie du maire
22 octobre 2024

DANS LE MILLEFEUILLE ADMINISTRATIF DE LA FRANCE PÉRIPHÉRIQUE !
UN IA EN POLITIQUE, EN CHARGE DES ROUTES, DE L’EAU ET DE L’ENVIRONNEMENT DANS UN DÉPARTEMENT RURAL

L’organisation territoriale est censée mettre en œuvre le principe de « décentralisation » et rapprocher ainsi la prise de décision des citoyens. Ce qui apparaît est la complexité et des codes de gouvernance très différents de ceux du monde de l’industrie d’armement !


C’est le « millefeuille administratif ». Fraîchement élu et « bombardé » vice-président dans l’exécutif d’un département rural, j’en découvre les arcanes quotidiens

Le cadre administratif

Dans le Cher (300 000 habitants), le Conseil départemental est composé des élus de ses dix-neuf cantons. L’élection départementale, au mode de scrutin binominal mixte majoritaire à deux tours, permet d’élire deux représentants par canton, une femme et un homme.

Le conseil, élu en juin 2021 pour six ans, réunit donc trente-huit élus, vingt-quatre de la majorité (droite et centre) et quatorze de la minorité (gauche).

Il se réunit régulièrement soit en assemblée plénière (et publique), soit en commission permanente au formalisme allégé. Des commissions préalables thématiques préparent et examinent les dossiers des délibérations qui seront soumises au vote des conseillers. 456 décisions de tous types ont ainsi été votées en 2023.

Le président, élu par ses pairs du groupe majoritaire, est assisté par un premier-vice-président et dix vice-présidents ayant chacun délégation dans son domaine de compétence. Ce pilotage politique s’appuie sur les 1600 agents des services départementaux, conduits par le directeur général des services. Ils appliquent les politiques publiques obligatoires et historiques (routes, social, culture, tourisme, sports…) et les priorités définies par la majorité (eau, jeunesse, insertion, environnement, attractivité du territoire…).

Le budget total de 465 M€ (385M€ en fonctionnement et 80 M€ en investissement) est très majoritairement alloué par l’État, les départements n’ayant quasiment plus de ressources propres, en dehors des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

D’abord élu d’un canton

Vice-président du Conseil départemental, je suis d’abord élu du canton de Dun-sur-Auron, qui compte 32 communes et 15 000 habitants. A ce titre, je dois assurer l’interface avec les habitants et les élus locaux, ce qui suppose une bonne connaissance du territoire, plus difficile depuis l’augmentation de la taille des cantons après le redécoupage de 2014.

Représentant le Département, je siège ainsi aux conseils d’administration d’organismes aussi différents que les collèges, les maisons de retraite, des clubs sportifs, des associations diverses et le Service départemental d’incendie et de secours (SDIS). Je suis bien sûr invité à participer à de nombreuses cérémonies civiles et militaires, aux remises de diplômes et aux remises de prix de divers concours et compétitions, comme les concours de bestiaux où j’ai dû parfaire ma connaissance de la race charolaise !

Comme conseiller départemental, j’accompagne aussi les maires, surtout des villages, dans la constitution et la défense des dossiers de demande de subventions pour l’équipement, l’aménagement ou la modernisation de leurs communes. Le millefeuille administratif les conduit à solliciter trois, quatre, cinq ou six échelons ou entités administratives différentes susceptibles de contribuer au tour de table des « financeurs », et ils sont souvent perdus dans cette jungle pleine de chausse-trappes, de contraintes évolutives et de jargons abstrus. Par exemple, pour sauver une exceptionnelle fresque médiévale de l’église d’une commune de 200 habitants, il a fallu convaincre le Département, la Région, le ministère de la Culture et la Fondation du patrimoine.

Des compétences déléguées

Vice-président délégué pour l’environnement, l’eau et les routes, je m’appuie sur les services de la collectivité, en partenariat avec des entités extérieures. Il s’agit de présider à l’élaboration de la politique menée par la majorité, d’accompagner sa mise en œuvre et de contrôler son exécution. Cela me conduit naturellement à représenter le président dans diverses instances, comme par exemple l’agence de bassin Loire-Bretagne, le « Parlement de l’eau » qui regroupe, à Orléans, environ 170 représentants de parties prenantes très diverses.

Visite de chantier du pont toulouse à Vierzon - crédit photo LPinault (19)

Visite de chantier du pont toulouse à Vierzon - crédit photo LPinault (19)

Pour l’environnement, ce sont notamment les 24 espaces naturels sensibles (ENS) aux paysages très diversifiés, avec une faune et une flore rares à étudier, à protéger et à faire connaître, avec un budget annuel de plus d’un million d’euros, financé par la taxe d’aménagement.

Au cœur des enjeux de l’eau

Pour l’eau, sujet éminemment sensible pour les agriculteurs, chaque couche du millefeuille territorial veut mettre son « grain de sel ». La Région Centre-Val de Loire voudrait bien mettre le sien. Mais ce sont les communes et communautés de communes qui sont responsables de la fourniture d’eau à leurs habitants et des services d’assainissement associés.

Le Département doit assurer la cohérence d’ensemble, susciter des interconnections de réseaux et soutenir les petites communes et les syndicats (rivière, eau potable, assainissement) qui trop souvent manquent cruellement de moyens. La juste répartition entre les différents usagers d’une ressource qui diminue impose une large concertation entre tous les acteurs, y compris les associations environnementalistes, qui ont souvent des objectifs totalement contradictoires. Il me faut présider avec diplomatie la commission locale de l’eau du bassin Yèvre-Auron, avec le soutien des experts de l’Établissement public Loire dont je suis administrateur. Le financement est le plus souvent un empilement de contributions qu’un comité des financeurs s’efforce de synchroniser…

4 600 kilomètres de routes

Vice-président en charge des routes (4 600 kilomètres et 1 200 ouvrages d’art, 30 M€ annuels), je compte sur les 330 agents de la direction des routes et de la mobilité, en sachant qu’en agglomération la chaussée d’une route départementale est du ressort du Département alors que les trottoirs et autres aménagements, sont du ressort de la commune !

Il faut aussi bien sûr respecter le code de l’environnement protecteur des amphibiens et autres poissons d’eau douce, construire un giratoire, dégager au plus vite les arbres tombés sur la route après un coup de vent, saler au plus tôt les axes les plus importants les nuits d’hiver… Tout cela est le lot commun des agents de la route.

Je suis ainsi la cible de critiques, souvent vives, la part d’élus locaux et d’habitants mécontents des trous dans la chaussée, des travaux pour boucher les trous, ou parce que l’herbe est trop haute, ou que la saleuse n’est pas encore passée, etc.

Les besoins sont immenses, alors que les ressources manquent, que les coûts augmentent sans cesse, que les missions obligatoires imposées par l’État sont de plus en plus lourdes et les contraintes sociales et environnementales de plus en plus sévères. Comme les autres Départements, le Cher n’échappe pas à l’étau d’une situation qui devient ingérable !

Et si c’était à refaire ?

Rouler des milliers de kilomètres et rencontrer des milliers de personnes est épuisant ; mais oui, je le referais car c’est passionnant, ne serait-ce que par la richesse des relations humaines que cela apporte.

Alors, IA retraités, vous avez appris à gérer la complexité des grands systèmes. Ce savoir-faire est précieux pour gérer la complexité du « millefeuille » territorial et administratif !

Quelques constats après ces trois premières années de mandat :

· La diversité des interlocuteurs comparée à celle plus homogène et diplômée du secteur de l’armement,

· L’expertise, le dévouement et la gentillesse des agents de la fonction publique territoriale qui rappellent ceux des personnels des arsenaux du début de ma carrière,

· La complexité des structures et la lourdeur des procédures qui rappellent aussi celles des arsenaux,

· Le fossé abyssal qui sépare le monde rural des élites parisiennes,

· Le poids raisonnable des postures politiques au sein d’un Conseil où les extrêmes sont absents,

· La réalité toute relative des beaux principes de la décentralisation, les départements n’ayant quasiment pas de ressources budgétaires propres.

Photo de l auteur
Didier Brugère, ICA, VP du Conseil Départemental du Cher

Après 40 années dans la Défense et l’Aéronautique (DGA-GIAT, Dassault Electronique, Thales) il est conseiller municipal de sa commune (1000 hab.) dans le Cher. Élu conseiller départemental en 2021, il est membre de l’exécutif du département en tant que vice-président chargé des routes, de l’eau et de l’environnement.

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