ENTRETIEN AVEC ARIEL LÉVY
IA, VP DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL DU LOIRET, ET ENTREPRENEUR DANS L’INDUSTRIE
Ariel Levy, industriel leader du freinage sans contact
La CAIA : Ariel, après quelques années de conseil, tu t’es engagé en politique et tu t’es investi en parallèle dans une entreprise industrielle. Est-ce pour toi une manière de réindustrialiser, ce mot à la mode ?
Ariel Lévy : C’est malheureux que la réindustrialisation soit une question de mode. C’est notre indépendance stratégique qui est en jeu !
Un pays sans industrie, c’est un pays qui est dépendant vis-à-vis de ses importations et surtout de ses créanciers. Comme une entreprise qui ne prévoit plus de nouveaux projets, de valeur ajoutée, ses banquiers ne lui prêteront plus et exigeront par tous les moyens d’être remboursés avant que ça ne devienne une coquille vide. Pour un pays, c’est pareil : ne plus produire, ne plus créer de richesses, ne plus innover ni industrialiser de nouveaux produits, c’est la pente glissante vers transformer la France en un gigantesque site touristique et les Français en gardiens de musée.
Je suis élu à Montargis dans le Loiret. 15 000 habitants, 65 000 avec l’agglomération. Je constate une disparition progressive du tissu industriel au profit soit de délocalisations vers des pays « low cost », soit d’une hyper métropolisation, la métropole d’Orléans et celle de Paris (la banlieue parisienne est à moins de 100 km) servant de pompes aspirantes. Le résultat est clair : hausse du chômage, disparition des services publics, baisse des recettes des collectivités territoriales et donc des projets qu’elles mènent, sentiment de déclassement et d’isolement de la population. Tout cela conduisant naturellement à une hausse des votes extrêmes, en particulier RN dans les zones plus rurales.
C’est pour peser sur ces questions économiques que je me suis présenté dans un département rural, hors de la métropole. La survie du pays et notre souveraineté sont en jeu !
La CAIA : Que pourraient faire les différents acteurs pour inverser cette tendance ?
AL : Je suis jacobin de souche. Je crois que la vision stratégique de l’aménagement du territoire appartient à l’État. En revanche, mon mandat politique local – je suis vice-président du Département en charge du numérique après l’avoir été au développement économique –, me donne la certitude que sa déclinaison et sa mise en œuvre ne peuvent être réalisées que par les collectivités territoriales.
Comme disait Lionel Jospin « l’État ne peut pas tout », mais au moins qu’il donne un cap ! A force de s’occuper de tout, l’État risque de ne plus s’occuper de rien. Depuis plus de trente ans, il n’y a plus de politique d’aménagement du territoire. C’est pourtant le rôle de l’État : avoir une vision, fixer les objectifs, puis laisser la main au local. En d’autres termes : la vision c’est l’État, l’action, ce sont les collectivités.
La CAIA : quel serait alors le rôle de l’État ?
AL : On attend de l’État qu’il identifie les marchés de demain, nos besoins domestiques et à l’export, puis que l’on croise ces éléments avec nos savoir-faire et nos talents. Avant d’investir massivement pour apprendre des savoir-faire que nous n’avons pas, développons ceux que nous avons. On peut citer le nucléaire, la défense, le ferroviaire, l’aéronautique, même notre industrie automobile qui est aujourd’hui maltraitée ; dans ces domaines, nous avons de grandes compétences.
L’enjeu est de créer des bassins d’emploi spécialisés, de développer des pôles de compétitivité et des filières d’excellence intégrées. C’est ce qui s’est fait autour d’Airbus dans la région de Toulouse. Autour d’une entreprise-phare, créer un réseau de sous-traitants et rapprocher les formations des lieux de production. Former nos jeunes en lien étroit avec leurs futurs employeurs, c’est l’assurance qu’ils auront une formation adaptée, concrète et qui les prépare à travailler demain dans une entreprise du secteur. Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises compensent les manques, comme cet équipementier automobile du Loiret que nous avons accompagné pour créer une école de production en son sein pour former ses talents de demain.
La CAIA : Et pour les collectivités ?
AL : Il leur revient de créer les conditions d’attractivité et d’aménagement pour constituer un bassin d’emplois et travailler en filière. Nous devons apprendre à mieux chasser en meute pour peser à l’international. Il faut arrêter d’être naïfs : tout le monde joue, plus ou moins discrètement, la préférence nationale, sauf les Français !
Les lois de décentralisation ont confié les compétences en matière de développement économique aux régions et aux intercommunalités. Les subventions, les aides et l’organisation territoriale de développement économique leur incombent. Cependant, n’oublions pas les maires, qui restent les interlocuteurs du quotidien, et les départements, qui ont un rôle important à jouer en matière d’attractivité :
Attractivité pour encourager les entreprises à s’installer en investissant dans nos infrastructures : les routes ou le très haut débit. En charge du numérique dans mon Département, je constate tous les jours leurs attentes pour leur permettre de travailler efficacement avec leurs salariés, leurs fournisseurs ou leurs clients. Notre politique initiée depuis plus de vingt ans dans le Loiret porte ses fruits : plus de 95% du département est couvert par la fibre.
Attractivité également pour les populations qui souhaiteraient s’installer ou pour les faire rester. Pensez aux jeunes couples qui cherchent un endroit pour fonder leur famille. Ils attendent d’avoir des services et des infrastructures de qualité pour leurs enfants : le collège, c’est le Département qui s’en occupe ; les activités sportives ou de loisir, c’est le Département qui en finance une bonne partie ; les sorties culturelles ou touristiques, de nouveau le Département y prend toute sa part.
Les collectivités territoriales jouent donc un rôle majeur dans la réindustrialisation de notre pays. On peut donc s’étonner de voir que par confort, l’État, plutôt que de réduire son train de vie, diminue toujours en priorité les dotations aux collectivités territoriales. Elles sont pourtant souvent bien gérées et un maillon essentiel pour créer les richesses de demain.
La CAIA : Comment vois-tu le rôle du politique ?
AL : Pour bien comprendre le rôle du politique, il faut le comparer à un entrepreneur. J’ai la chance d’avoir les deux casquettes : d’un côté je suis entrepreneur dans l’industrie, de l’autre je suis élu local.
Un entrepreneur c’est quelqu’un qui croit avec ferveur à son projet, le porte au quotidien et prend tous les coups pour le faire aboutir.
Un politique, c’est pareil, mais au lieu d’avoir un projet lié à une innovation ou un produit, son projet est sa vision pour la France, pour son territoire, pour l’intérêt général.
L’histoire récente de Duralex en est un bon exemple. L’usine Duralex implantée à La Chapelle-Saint-Mesmin dans le Loiret devait fermer ses portes. Les élus locaux, convaincus par le projet de redonner vie à cette marque que nous avons tous bien connue dans les cantines de nos écoles, a réussi à faire reprendre le site par les salariés. C’est un sacré coup, mais à haut risque. Sans être adossé à un groupe, ce site de production aura besoin de trouver les moyens de financer ses investissements et de gagner rapidement des parts de marché. L’État devrait, en cohérence avec une stratégie industrielle, accompagner le processus dans un cercle vertueux main dans la main avec les élus locaux. C’est ce qu’on attend d’un préfet facilitateur.
Dans cette optique, nous avons tous le devoir de jouer collectif. Comme pour Duralex, acheter français c’est soutenir notre industrie, nos emplois, notre qualité de vie.
Telma, mon entreprise, est leader mondial des ralentisseurs électromagnétiques pour les véhicules industriels. J’ai repris cette entreprise il y a maintenant presque 2 ans avec l’objectif de sauver des emplois et de préserver notre savoir-faire. On a sauvé 125 emplois, évité une délocalisation, protégé le savoir-faire et nous investissons chaque année 10% de notre chiffre d’affaires dans l’innovation et la R&D. Nous commençons à commercialiser des produits innovants pour hybrider n’importe quel véhicule de plus de 3,5t ou réduire de 85% les émissions de particules fines issues des freins. Les principaux constructeurs de véhicules civils ou militaires s’y intéressent et, en cohérence avec mon engagement pour l’industrie française, j’encourage mes équipes à travailler autant que faire se peut avec d’autres entreprises françaises.
Ce réflexe qu’ont par exemple les Allemands ou les Américains de faire spontanément travailler leurs compatriotes est une des forces de leur économie. À nous de l’acquérir et à nos politiques nationaux, dont le rôle est de nous donner un cap, de l’encourager.
Auteurs
Coach professionnel certifié et accrédité "master practitioner" par l'EMCC.
Fondateur de Blue Work Partners SAS qui propose :<br>
- Formation au leadership
- Coaching de dirigeants
- Accompagnement d'équipes projets
X84, ENSTA, coach certifié IFOD,
Auteur du guide de survie du chef de projet (Dunod 2017).
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