PYROTECHNIE MILITAIRE : LES ENFANTS DE SNPE
DE L'OCTROI ROYAL À L'ENTREPRISE
Tout commence en 1336 avec l’octroi par le roi Philippe VI de Valois d’une charte aux fabricants de poudre, placés sous l’autorité du Grand Maître des Arbalétriers.
Puis en 1665, Colbert met en place le régime de Ferme générale des Poudres, transformée en Régie royale des Poudres et Salpêtres en 1775 dont Lavoisier fut l’un des responsables, régie reprise par l’Etat en 1791.
Avec le traité de Rome, ce monopole d’Etat, porté par la direction des Poudres de la Délégation Ministérielle pour l’Armement (DMA), doit être aménagé : la loi du 3 juillet 1970 portant réforme du régime des poudres et substances explosives porte la Société Nationale des Poudres et Explosifs (SNPE) sur les fonts baptismaux en 1971.
SNPE face à la chute du mur
La chute du mur de Berlin en 1989 vient perturber l’activité militaire de SNPE. Les « dividendes de la paix » font s’effondrer le marché des munitions en Europe. Le volume des poudres et explosifs accessible à SNPE est divisé par 10 dans la décennie qui suit. C’est le temps des réductions d’effectifs (baisse d’environ 2 000 emplois) et des recherches de partenariats.
SNPE réduit alors ses capacités. La poudrerie de Bergerac qui accueillait 5 lignes de production de poudres gros calibre (capacité unitaire de 1 000 tonnes/an) en ferme 4. L’établissement de Sorgues ferme ses ateliers de tolite (TNT) et d’octogène et supprime l’une des deux lignes de production d’hexogène (1 200 tonnes/an). L’arrêt des commandes de roquettes MLRS réduit également considérablement l’activité de propulsion tactique de Saint-Médard.
Dès lors, la restructuration s’impose. Elle se fera en bon ordre pen- dant 20 ans, segment par segment.
La propulsion tactique : alliance franco-britannique
La première consolidation est l’intégration verticale entre l’activité propulsion tactique de SNPE (Saint-Médard-en-Jalles) et celle de moteurs de missiles tactiques d’Aérospatiale (Bourges). La société CELERG est créée en 1992, détenue à parité. Les parts d’Aérospatiale dans CELERG seront ensuite apportées à Matra Bae Dynamics, devenue MBDA.
En 2003, l’activité de CELERG est fusionnée avec celle de son homologue de Royal Ordnance (GB) à Summerfield : ROXEL voit le jour, aujourd’hui détenue à parité par SAFRAN et MBDA.
ROXEL, complétée des activités de PROTAC situées à La Ferté-Saint-Aubin (Loiret), lors du rachat de Bayern Chemie par MBDA, porte aujourd’hui l’activité franco-britannique de moteurs pour missiles tactiques, en grande partie au profit de son actionnaire missilier.
Les poudres et explosifs : filière nordique
Sur ce secteur perçu comme une commodité, plusieurs péripéties bloquent les trois projets de consolidation menés par SNPE : en franco-allemand entre SNPE et Wasag en 1992, en franco-britannique avec Royal Ordnance en 1993/1998, et de nouveau en franco-allemand avec Rheinmetall en 2001 lorsque l’Etat refuse, sous la pression de GIAT Industries, que Rheinmetall ait la majorité.
SNPE face à la chute du mur La chute du mur de Berlin en 1989 vient perturber l’activité militaire de
Dès lors, la restructuration s’impose. Elle se fera en bon ordre pendant 20 ans, segment par segment.
NEXPLO et ses actionnaires scandinaves font alors un appel du pied à SNPE qui aboutit en 2004 à la formation d’EURENCO (60% SNPE/20% SAAB/20% Patria) et au transfert des poudres de Bergerac vers la Finlande et la Suède. Il est ainsi mis fin à la production de poudres militaires en France.
Par la suite, les actionnaires scandinaves se retirent du capital d’EURENCO en juin 2010 pour ne pas être dilués en raison du besoin de refinancement de l’entreprise pour moderniser l’atelier d’hexogène de Sorgues.
EURENCO sera ensuite racheté, via SNPE, par GIAT Industries en décembre 2013, après un nouvel échec de rapprochement avec Nitrochemie (détenue par Rheinmetall et RUAG), l’Etat s’opposant aux demandes germano-suisses sur la répartition du capital. Enfin, la création de KNDS entre NEXTER et Kraus Maffei Wegman (KMW) en 2015 interrompt le rapprochement d’EURENCO avec le munitionnaire NEXTER, EURENCO n’étant pas retenu dans la corbeille des mariés.
La grosse propulsion: consolidation française et mariage arrangé avec les italiens dans le spatial
C’est Saint-Médard-en-Jalles avec la poudrerie nationale et le centre d’essais de la DMA, devenu CAEPE (Centre d’Achèvement et d’Essais des Propulseurs et Engins) en 1967 qui est retenue pour implanter les moyens de production des missiles balistiques de la Force Nationale Stratégique (FNS).
Pendant 40 ans, l’Etat va organiser la consolidation de cette filière majeure de souveraineté.
Le tournant des années 70 voit le début de la production des missiles SSBS et MSBS et amène une première consolidation avec la création de la SEP (Société Européenne de Propulsion), la SNIAS (Société Nationale Industrielle Aérospatiale) et la SNPE. Un groupement d’intérêt économique, le G2P, entre la SNPE et la SEP assure la maîtrise d’œuvre des moteurs.
En parallèle pour les activités spatiales, un volet franco-italien est mis en place entre 1989 et 1992 dans le cadre de la politique de juste retour industriel sur Ariane.
Puis la consolidation reprend au début des années 2000 avec le projet de regroupement des activités de grosse propulsion solide de la SNPE et de la SEP (absorbée entre temps par SNECMA). Ce projet est baptisé HERAKLES (par analogie avec son homologue américain, la société HERCULES, motoriste du missile Trident).
La filialisation des activités menées au sein de SNPE et SNECMA est réalisée fin 2002 avec la création de SPS (SNECMA Propulsion Solide) et SME (SNPE Matériaux Energétiques), cette dernière reprenant également les participations de SNPE dans Celerg, PyroAlliance, Structil et Regulus. Bergerac et Sorgues sont intégrés dans EURENCO dont SME est actionnaire à 60%.
Mais un événement majeur vient bouleverser la physionomie de SNPE : le 21 septembre 2001, l’usine de Toulouse de SNPE est balayée par l’explosion de l’usine voisine d’AZF. Suite à l’émoi causé localement par la présence d’activités considérées comme dangereuses, il est acté à la mi-2002 par le gouvernement que l’activité phosgène ne redémarrera pas. En revanche, l’atelier de perchlorate d’ammonium, matière première essentielle de la propulsion solide, obtiendra son autorisation de redémarrage
après un an d’instruction du dossier, incluant la réponse à plus de 1 200 questions de la DRIRE et une tierce expertise menée par l’organisme néerlandais TNO.
Toutefois, la crise de Toulouse a complètement mis à mal l’effort réussi de diversification de la SNPE dans le domaine de la chimie : le démantèlement de SNPE s’accélère. Toutes les activités civiles de SNPE sont alors cédées au fil de l’eau et le projet HERAKLES est réorienté vers une cession de SME à SNECMA/SAFRAN sans le périmètre EURENCO. La nouvelle société voit le jour en 2011. Elle est intégrée environ un an plus tard dans ASL (Airbus Safran Launchers) avec les activités lanceurs militaires et spatiaux d’Airbus : c’est aujourd’hui ARIANEGROUP.
Trois destins, un ADN commun
Ainsi, les 3 secteurs d’activités de SNPE se sont épanouis dans différentes entreprises : ROXEL, EURENCO et ARIANEGROUP. Au cœur de cette famille, un acteur les a soutenus et accompagnés : le Centre de Recherche du Bouchet, véritable matrice de leur expertise et de leur développement technologique ; il fait l’objet d’un bel article en fin de revue, que je vous invite à lire.
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Jacques Cardin ICA, Après avoir débuté sa carrière au CAEPE en 1980, Jacques Cardin quitte le cabinet du délégué (Yves Sillard) en 1992 pour rejoindre la SNPE en tant que directeur du département poudres et explosifs. Nommé directeur général adjoint Matériaux Energétiques début 2001, il est président directeur général de SME et président du conseil d’administration d’EURENCO dès leur création après avoir participé à la décennie de négociations préalables. |
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