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Patricia ADAM
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01 mars 2018

LE CORPS DES INGÉNIEURS DE L’ARMEMENT : AU SERVICE DE LA SOUVERAINETÉ DE LA FRANCE

CORPS DE L’ARMEMENT : LA PAROLE À PATRICIA ADAM, FEMME POLITIQUE FRANÇAISE, PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES DE JUIN 2012 À JUIN 2017

 

UNE EFFICACITÉ DÉMONTRÉE, DES ATTENTES RENOUVELÉES. 

 

C’est aujourd’hui une banalité de le dire : les mutations s’accélèrent. La défense n’est pas en reste. Que ce soit en contact étroit avec le monde de la mer dans ma circonscription à Brest ou lors de quinze années de travaux passionnants à la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale, j’ai été un témoin privilégié de ces changements passés ou à venir dans le monde militaire et dans l’industrie de défense. Face à ces défis, la défense est en mouvement et doit faire preuve d’encore plus d’innovation et d’audace. Pour cela, la France dispose d’atouts considérables, parmi lesquels le corps des ingénieurs de l’armement. Entre expertise et loyauté, ce modèle singulier devra continuer de s’adapter au service de l’autonomie stratégique française et d’une ambition européenne 


La défense nationale est un sujet de première importance pour le Parlement, comme le précise la constitution française : « la loi détermine les principes fondamentaux de l'organisation générale de la Défense nationale ». A ce titre, l’Assemblée Nationale – et sa commission de la défense nationale et des forces armées – et le Sénat – et sa commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées – mènent des travaux pointus sur des sujets opérationnels, capacitaires ou technologiques, et formulent des recommandations, des avis ou prennent des décisions structurantes, par exemple pour les lois de programmation militaires. Le Parlement contrôle aussi les grands programmes de leur phase de développement jusqu'à leur maintien en conditions opérationnelles et des sujets industriels clefs, tels que les privatisations. Dans le cadre de mes fonctions, j’ai eu maintes occasions de côtoyer des ingénieurs de l’armement sur des sujets de la défense et de la sécurité.

Je ne me risquerai pas à une rétrospective sur un glorieux passé des ingénieurs militaires (maitrise de l’atome, accès à l’espace, programmes aéronautiques, navals et terrestres, etc.), duquel je ne suis pas totalement familière. Ce magazine dédié au cinquantième anniversaire du corps des ingénieurs de l’armement est assurément l’occasion de revenir sur quelques-uns des grands accomplissements du passé. A l’inverse, je suis ravie de témoigner d’un passé plus récent et de mon expérience sur ce modèle singulier d’un corps d’ingénieurs de l’armement, à la lumière de mon expérience sur les sujets défense à l’Assemblée Nationale.

Certains qualifient mon parcours d’atypique. Il est vrai que rien ne me prédestinait à tant d’attachement au monde de la défense. Engagée dans l’action sociale, puis le bénévolat et le nautisme, je suis entrée un peu par hasard dans la politique locale puis nationale. Pendant trois législatures, j’ai dédié une grande partie de mon énergie à la défense nationale. La richesse des hommes et femmes des forces armées, leur fidélité à des valeurs, leur intégrité, leur investissement dans un idéal, celui de la défense, qui les dépasse m’a très vite marquée. Cet engagement quotidien des forces et de l’ensemble de la communauté de défense, ainsi que l’appréhension des enjeux actuels et à venir, furent de réels déclencheurs. Je suis une passionnée et le monde de la défense est passionnant.

Dans le cadre de mes fonctions, j’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreux ingénieurs de l’armement, de tous les grades, qu’ils soient en fonction à la DGA, dans l’industrie de défense ou ailleurs. Il n’y a pas de portrait-robot de l’ingénieur de l’armement. Cependant, un recrutement très sélectif, essentiellement à la sortie de l’École Polytechnique ou d’écoles de haut niveau comme l’ENSTA, une formation initiale de haut niveau et une trajectoire de carrière offrant des responsabilités très tôt, leur permet de tous se caractériser par une expertise et une loyauté extraordinaire, au service de la souveraineté de la France. Qu’ils soient experts techniques de haut niveau, architectes, directeurs de programmes, conseillers ministériels ou capitaines d’industries, j’ai été impressionnée à de nombreuses reprises par ces cadres qui œuvrent discrètement pour équiper nos forces, anticiper et exporter. Par ailleurs, comme d’autres grands corps techniques de l’État, ils ont des capacités d’analyse et de synthèse tout à fait remarquables et une approche rationnelle rassurante pour le pouvoir politique.

Pour illustrer mon propos, voici un exemple datant de 2003. Bien que je ne sois pas ingénieur, j’ai été rapporteur de la mission d'information sur le mode de propulsion du second porte-avions. Pendant près de neuf mois, cette mission s’est penchée sur ce sujet mêlant des aspects techniques, industriels, financiers et opérationnels. Il ne nous revenait pas de trancher pour l'une ou l'autre des solutions, mais de mettre l'accent sur plusieurs points d’importance. Cette mission m’a permis d’appréhender l’imbrication des enjeux opérationnels, capacitaires et industriels, avec de surcroît un enjeu de coopération européenne en filigrane. Il fut frappant de voir les implications de choix techniques en termes de performance, de coûts, de délais, de risques et de conséquences industrielles sur les grands maîtres d’œuvres et la base industrielle et technologique de défense. Ces choix sont le quotidien des ingénieurs de l’armement, qui œuvrent en toute indépendance pour trouver la meilleure solution possible.

« J’AI ÉTÉ IMPRESSIONNÉE À DE NOMBREUSES REPRISES PAR CES CADRES QUI OEUVRENT DISCRÈTEMENT POUR ÉQUIPER NOS FORCES, ANTICIPER ET EXPORTER. »

La France a besoin d’ingénieurs (i) disposant d’une expertise technique et industrielle poussée et reconnue, permettant de répondre aux besoins capacitaires des opérationnels, (ii) indépendante des industriels de défense dont les intérêts ne sont par définition pas strictement alignés avec ceux de l’État et (iii) compatibles des temps longs des programmes d’armement, qui n’est pas l’horizon habituel des politiques, où les décisions engagent souvent pour plusieurs décennies : c’est ce qui justifie un grand corps d’ingénieurs solide et pérenne en complément d’autres corps d’ingénieurs ou d’administrateurs et de contractuels de droit privé de haut niveau

Ce besoin est d’autant plus fort dans le contexte de consolidation des dernières décennies, où l’État pousse l’émergence de champions nationaux ou européens. Cette situation de dépendance mutuelle des États clients et de ces champions industriels – et de la base industrielle et technologique de défense – est exigeante car elle peut parfois paraître faussement confortable : pourtant, il faut que l’audace et l’innovation restent de mise, comme le dit Florence Parly dans son avant-propos à la revue stratégique de défense et de sécurité nationale publiée cet été, car les changements vont se poursuivre à bon rythme. Il convient d’en être pleinement acteur.

Qu’ils soient géopolitiques, économiques, climatiques ou technologiques, les bouleversements s’accélèrent dans un contexte d’incertitudes fortes. Ces bouleversements impactent largement les volets opérationnels, capacitaires et industriels de notre modèle de défense. Afin que la France conserve sa capacité à décider et à agir seule pour défendre ses intérêts, il me semble primordial d’avoir un corps de haut niveau, qui allie expertise poussée dans la compréhension des systèmes et la conduite des projets complexes et loyauté pour l’État. En bref, tant qu’il y aura un État et donc un besoin de souveraineté, je pense qu’il y aura besoin d’ingénieurs de l’armement, au même titre qu’il y aura besoin de forces armées, de grands maîtres d’œuvres et d’un tissu industriel de défense. Les ingénieurs de l’armement sont un atout précieux pour le pouvoir politique et l’exécutif.

Ceci ne veut pas dire que le corps des ingénieurs de l’armement ne doit pas évoluer : il convient en effet de veiller à ce que ce corps reste attractif pour les jeunes talents et propose des trajectoires ambitieuses, que la formation se transforme pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain et que la vocation du corps s’élargisse à l’ensemble des enjeux de souveraineté, au-delà de la sphère de défense française. Je formule ainsi trois souhaits.

Le premier est que les ingénieurs de l’armement en particulier et le monde de l’armement en général fassent preuve d’audace, d’agilité et d’innovation au quotidien, afin d’aborder les bouleversements à venir avec un esprit de conquête et de ne pas s’endormir dans une relation d’apparence confortable au plan national. Le deuxième est que les ingénieurs de l’armement essaiment plus largement au-delà de la DGA, ce qui relève aujourd’hui encore trop de l’exception, en favorisant les allers-retours vers d’autres administrations régaliennes (intérieur et économie et finances notamment) ou des industries de pointe qui sont également des acteurs clefs de la souveraineté où se prennent des décisions majeures. Le troisième est que la France saisisse l’élan européen et sache y faire valoir ses intérêts, que ce soit dans le cadre des coopérations multinationales ou dans le cadre des initiatives de la Commission Européenne : pour cela, les ingénieurs de l’armement semblent bien placés pour être le bras armé de la France.

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Patricia ADAM

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