LE SUPPORT DES AVIONS D’AFFAIRES FALCON ORGANISATION, MÉTIERS, ENJEUX
Flottes dispersées et inhomogènes, extension mondiale, clients extrêmement exigeants, métiers spécifiques (ébénisterie et sellerie de luxe !), l’aviation d’affaires présente des challenges particuliers en termes de support (terme employé de préférence à celui de MCO). Retour sur une organisation qui, à l’instar d’une armée, combine travailleurs de l’ombre et troupes de choc.
Objectif : moins de 2 annulations pour 1 000 missions
Née il y a un peu plus de cinquante ans avec l’arrivée d’appareils fiables et performants tels que le Falcon 20, l’aviation d’affaires comprend une gamme très large de machines dont le nombre est estimé entre 25 et 30 000 dans le monde, soit un nombre comparable à celui des avions commerciaux. La famille Mystère – Falcon, positionnée dans le haut de gamme de ce vaste ensemble, compte environ 2 200 membres toujours actifs sur 2 500 appareils produits. Répartie entre environ 1 300 propriétaires sur l’ensemble de la planète, comprenant des individus de tous âges1 (certains F10 et F20 des débuts de production volent encore, notamment aux Etats-Unis), la flotte est diverse, inhomogène et morcelée, à l’opposé des grandes flottes militaires ou commerciales. Les exploitants ne disposent en général2 d’aucune capacité technique à assurer eux-mêmes leur maintenance et ne disposent pas de stocks de rechanges. L’impératif de fiabilité est ainsi considérable puisque on peut rarement compter sur des appareils de substitution ni sur du support local : on recherche des « dispatch rates » très élevés correspondant à moins de 2 annulations pour 1 000 missions. Le support de ces flottes pose donc des défis très particuliers.
Grand confort et sellerie de luxe, les clients de l’aviation d’affaires sont exigeants
Whatever it takes : constructeur, une organisation centrale dédiée au service des clients Falcon
Au sein de la direction générale des avions civils de Dassault Aviation, le responsable mondial du support des Falcon, Jean Kayanakis, a depuis le 1er janvier 2019 rang de directeur général adjoint. Il supervise une organisation implantée des deux côtés de l’Atlantique et comprenant le suivi des flottes en service (les responsables support programmes ou RSP), l’administration des programmes de garantie et de support à l’heure de vol (dispositif Falcon Care), la documentation de vol et de maintenance, le stock de rechanges (près de 900 M$ de valeur de stock réparti sur 15 points de distribution sur 3 continents) et l’activité de réparation sous-jacente, ainsi que l’ensemble du dispositif de la « front line » : le groupe des Customer Support Managers ou CSM, chargé d’assurer la présence du constructeur auprès des clients, le support opérationnel auprès des pilotes, le « Command Center », au cœur du dispositif « Falcon Response » de réponse aux AoG3 (voir encadré), les spécialistes techniques du support, notamment le groupe Structure Repair qui traite de l’ensemble des dommages structuraux en service, et enfin, last but not least, la supervision des « stations-services ».
Un Falcon en visite en atelier : 50% des besoins de travaux sont non connus à l’entrée du chantier
Les stations-services, bras armés du support
Le rôle des stations-services est d’assurer au quotidien la réalisation des actions de maintenance en ligne ou en base, programmée et non programmée, et l’application des bulletins services et modifications demandées par le client ou exigées par les autorités.
Chez Dassault Falcon Service, l’activité de maintenance en base comprend environ 400 interventions par an dont une trentaine de visites C (l’équivalent de la grande visite ou GV des militaires). La difficulté de l’activité de maintenance en base vient de ce qu’environ 50% de la charge est in fine issue de travaux supplémentaires, donc non connus à l’entrée de chantier. La maintenance en ligne, assurée par un département dédié, réalise environ 2 800 interventions par an sur et hors site.
Quant à l’activité de modifications couvre un spectre assez large, allant de la modernisation avionique à la rénovation complète de cabines ou à l’installation de systèmes de communications satellites (SatCom) ou de loisirs à bord (systèmes audio-vidéo et connectivité WiFi). Elle mobilise en phase de conception des compétences pointues de d’ingénierie et de certification et fait appel en réalisation à toute la palette des métiers du câblage, de la structure, de la mécanique, des systèmes et de l’intérieur (« menuiserie » / ébénisterie et sellerie).
Au-delà de la réalisation proprement dite, la gestion financière des chantiers est également une activité complexe dans la mesure où chaque chantier peut comporter plusieurs clients : garantie constructeur, contrats à l’heure de vol pour la cellule, pour le moteur ou pour l’avionique, client réel (parfois deux s’il s’agit d’une maintenance effectuée dans la cadre d’une vente d’avions).
Enfin l’ensemble des activités de maintenance doit être accompli dans le respect du « triangle sacré » : sécurité des vols et des personnes, satisfaction des clients (et notamment tenue des délais) et rentabilité économique ! L’équation n’est pas toujours simple à résoudre, notamment dans un contexte où les coûts d’opération en France et notamment en région parisienne sont particulièrement élevés.
Maîtriser l’expérience client à travers le réseau de stations-services, un impératif vital pour le constructeur
Le réseau de stations-services Falcon est historiquement constitué en Europe de trois acteurs principaux, Dassault Falcon Service, filiale du groupe, TAG Aviation, acteur indépendant et Jet Aviation, filiale de Gulfstream, rival de Dassault Aviation. Aux Etats-Unis, le réseau est constitué de trois stations propriété du groupe au sein d’un marché très compétitif (Duncan Aviation, Standard Aero...). En 2018, Jet Aviation procède à l’acquisition d’Hawker Pacific, principale station de support Falcon en Asie, basée à Singapour.
Face à ces menées, soucieux d’étendre son empreinte géographique et de garder en propre la maîtrise de son réseau et de l’expérience client, Dassault Aviation a mené depuis le début de l’année 2019 une politique de recomposition de son réseau en rachetant coup sur coup les activités de maintenance d’Execujet (11 implantations, principalement en Afrique et en Asie), celles de Tag Aviation (principalement sites de « heavy maintenance » de Genève et de Farnborough) et dernièrement celles de RUAG à Genève et à Lugano.
Des concurrents d’autrefois deviennent donc désormais partenaires au sein d’un réseau propriétaire qui entend contrôler plus de 60% du marché de la maintenance Falcon, il s’agit d’un tournant historique dans un secteur peu habitué aux changements brutaux.
Prévenu à l’avance d’une défaillance par le biais de son Falcon Broadcast ou confronté à une panne ou à un incident inattendu, l’exploitant se tourne vers le Command Center (3 implantations à travers le monde pour couvrir l’ensemble de la plage horaire). Celui-ci va évaluer la situation, produire un premier diagnostic et si nécessaire déclencher l’une des « Go Team » prête à répondre dans le réseau de stations-services. Enfin, en cas de besoin, il peut déclencher le dispositif Airborne Support, fondé sur deux avions dédiés basés de part et d’autre de l’Atlantique, prêts à partir sous 2 heures, emportant pièces de rechanges et équipe de mécanos d’astreinte et apte à prendre en charge les passagers du client si nécessaire. En Europe, ce service est assuré dans sa totalité (pilotes et mécanos) par Dassault Falcon Service au Bourget. |
Les clients de l’aviation d’affaire ont salué ces efforts en élisant Dassault Aviation n°1 en termes de support dans les deux enquêtes professionnelles Aviation International News et Professional Pilot qui chaque année donnent la tendance entre les différents constructeurs d’aviation d’affaires. C’est un résultat remarquable face aux « machines de guerre » nord et sud américaines (Embraer, Cessna, Bombardier et Gulfstream).
Face à ses enjeux d’avenir, le support constitue un univers passionnant, y compris pour des ingénieurs de haut niveau
Pour satisfaire des clients de plus en plus exigeants et affronter une compétition extrêmement dynamique, le support des avions d’affaires Falcon doit faire face à plusieurs enjeux : augmentation de la performance (réduction des délais, augmentation de la disponibilité), réduction des coûts, amélioration constante de la réactivité. L’innovation technologique et la transformation numérique sont des leviers puissants qui rentrent désormais en force dans les ateliers. L’organisation et le management constituent les ingrédients de toujours, hautement indispensables dans des métiers qui mobilisent une main d’œuvre très qualifiée qu’il faut savoir motiver et conserver.
Loin d’être de tout repos (je pense souvent à ce que nous disait Yves Gleizes à la tête du Service des Programmes Aéronautiques : « le MCO c’est 20% de mon budget et 80% de mes emm... »), l’univers du soutien aéronautique est un secteur réellement en mouvement apte à offrir à des ingénieurs souhaitant déployer des compétences à la fois techniques et managériales un terrain d’exercice professionnel plein d’adrénaline et de passion.
1 : Parler de ces avions en termes d’individus et de famille n’est pas qu’une simple image mais correspond à une réalité dans laquelle chaque « Serial Number » est connu de façon individuelle. Il se développe ainsi des réflexes d’attachement quasi sentimental... Le démantèlement de l’un de ces vieux guerriers a récemment été vécu comme un deuil !
2 : A l’exception notables des départements aviation des grands industriels, qui se sont donné les moyens d’effectuer chez eux une partie de leur maintenance.
3 : Aircraft on Ground : acronyme devenu synonyme de situation d’urgence
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